Jésus n'était pas un philosophe tranquille, ni un pieux
"coach" de vie, encore moins un clerc au service d'un culte.
BIBLE STORY JÉSUS,
HOMME DE RISQUES
Partie 1
À couteaux tirés avec les Dinosaures
Cette première partie a déjà été publiée dans le blogue de février 2022.
La seconde partie commence plus bas.
JÉSUS, tu t'es confronté à
trois sortes de Dinosaures:
1- Les Sadducéens : la plupart étaient
des prêtres, tous ultraconservateurs. Ils
détenaient très serrées les rênes du pouvoir et voyaient des ennemis
partout. Toi, au contraire, tu étais l'homme de l'ouverture à tout le monde. Tu
étais l'homme du peuple, tu étais l'homme des exclus.
2- Les scribes et les Pharisiens : hommes
savants qui contrôlaient rigoureusement l'opinion publique. Ils auraient pu
être tes amis, mais plusieurs d'entre eux étaient des fondamentalistes.
Ils mettaient la loi au-dessus du bien
des individus, alors que toi, tu la mettais au service des personnes. Eux
étaient les hommes du mot-à-mot des codes de moralité, toi, tu étais l'homme du cœur, l'homme de l'Esprit, l'homme du bon sens.
3- La Police, l'Armée, les grands propriétaires
terriens, les usuriers, les gros marchands et bien d'autres...qui n'avaient
aucun intérêt à ce que les choses changent. Toi, tu étais l'homme du
changement. D'un changement en profondeur. D'un changement permanent comme la
vie!
Les Dinosaures
étaient l'INERTIE, toi, tu étais le MOUVEMENT.
Toi, Jésus, plus tu
fascinais les foules par ton interprétation large et libératrice de ce qu'on
considérait la "Parole de Dieu", plus les Dinosaures grinçaient des
dents. Plus on t'applaudissait, plus les Dinosaures te posaient des pièges et
t'affublaient de titres aussi honorables que charlatan, hérétique, illuminé,
fou, ivrogne, goinfre, subversif et démon. À peine ouvrais-tu la bouche que
déjà les Dinosaures t'enterraient vivant.
Parenthèse:
tous ne mordaient pas
À noter que les Dinosaures n'étaient pas tous
des enragés. Le plus grand nombre d'entre eux avaient peu de dents et campaient
à mi-chemin entre les durs de leur bande et les voies nouvelles que tu ouvrais
devant leurs yeux. À l'heure de choisir, cependant, ils regardaient ailleurs et
restaient muets. Ils ressemblaient étrangement à la plupart d'entre nous, les
chrétiens de presque toujours : ni figues ni raisins.
Avertissement
de première importance
Le langage des évangiles et de tous les anciens écrits chrétiens n'a rien à
voir avec l'objectivité savante telle que nous l'entendons de nos jours. Les
auteurs de ces écrits ne cherchaient nullement à faire un relevé détaillé de la
vie de Jésus. Ils voulaient seulement transmettre
quelque chose de l'énorme impact que Jésus avait eu sur leur vie personnelle et
sur celle d'un tas de gens de leur entourage.
Tant et si bien que, malgré la fin atroce qu'il subit sur la croix, il
continuait plus que jamais à vivre en eux et à faire des merveilles à travers eux. (Pour
aller plus loin sur ce sujet: voir la Note
1 à la fin de ce blogue).
Face
à la crise
Ton peuple, mon cher
Jésus, traversait une crise sans
précédent. Ses chances de survie et de sauver son identité étaient au plus bas.
Deux grandes forces le tenaient en étau: la très puissante et séduisante
culture grecque qui balayait tout sur son passage, et l'implacable armée
romaine qui, depuis des années, s'était emparée du pays et le maintenait sous
sa botte.
Pour toi, il ne
suffisait plus de sauver les meubles ou de recoller les pots cassés, il fallait
changer. Il fallait renoncer à retourner en arrière, il fallait foncer vers
l'avant, vers le différent, vers le neuf, même au risque d’y laisser sa vie.
"Suivez-moi!" était ton mot d'ordre.
Suivez-moi
chez les prophètes.
Tu voulais qu'on se
connecte à ces héros qui revendiquaient des changements radicaux. Jean le
Baptiste était de ceux-là, lui qui
criait dans le désert: "Redressez ce qui est croche! Tournez à l'envers (metanoïa) ce monde injuste et
remettez-le à l'endroit! " (Luc 3, 3 et ss)
Tu voulais qu'avec
Jean et les prophètes on te suive dans le monde réel plein de lépreux, d’aveugles,
de sourds, de muets, de boiteux, de mendiants, d’estropiés, de spoliés; tu
voulais qu’on te suive dans ce monde d'échines courbées, d'affamés, de
dispersés et de réfugiés. Tu voulais qu'on coure le risque de la rencontre
avec des milliers de paysans arrachés à leur terre (encore aujourd'hui ils sont
des centaines de millions sur la planète), déracinés par l'argent et par les
armes de ceux-là qui se donnent le droit de couper les forêts, voler les
troupeaux, saigner à blanc les entrailles du sol, bouleverser le climat, créer
la famine, les sécheresses et les inondations, semer la terreur et le chaos,
corrompre les gouvernements pour en
faire des marionnettes au service de leur empire partout sur la planète. Tu
voulais qu'on parte avec toi et qu'on aille insuffler à toutes les victimes, à
tous les écrasés, à tous les morts-vivants qui ne demandaient qu'à vivre, un
souffle de justice, de libération, d'amour et de résurrection.
C'est au milieu de ce
monde-là que tu vivais (et que tu vis encore). C'est au milieu de ce monde
brisé que tu menais tes actions avec une immense passion, en passant souvent
par les synagogues mais sans t’attacher à une organisation religieuse particulière,
à aucune école, à aucune autorité, à aucun dicastère spécial (même pas à une
petite paroisse!) (Matthieu 7, 29; 21,
23-27). Jamais tu n'utilisais
d'autres armes que ta propre personne, ta parole, ta conscience et l'amour de
ton "Abba" (le mot gentil que tu utilisais pour parler de Dieu).
Tes actions étaient
des mini-révolutions à l'intérieur de la grande révolution que tu souhaitais
ardemment voir se répandre comme une conflagration par toute la Terre: «Je suis
venu jeter un feu sur la Terre», disais-tu, « et comme je voudrais qu'elle soit
déjà toute en flamme!» (Luc 12, 49).
Tu nous souhaitais la Paix, la seule paix véritable, celle qui jaillit de la
santé, de la justice, de la bonté et de la recherche de la vérité (Jean 14, 27). Tu rejetais nos paix
cousues de fil blanc, de semi-vérités,
de mensonges, de calculs diplomatiques, de ruses, de lâchetés, de peurs,
d'hypocrisies et de démissions: «Je ne suis pas venu apporter la paix, mais
l'épée!» (Matthieu 10,34).
Il est vrai que
le mot «révolution» n'est pas très canonique, mais qui peut dire que tu as
été canonique une seule fois dans ta vie?
Le mot «dinosaures» n'est pas canonique non
plus. Mais si on lui préfère un terme plus près des écrits évangéliques, on
peut le remplacer par «corbeaux», «vautours»,
«vipères», «pourceaux», "chameaux" ou "boucs". Le choix
est vaste.
Rencontre
avec les travailleurs de la mer
(Marc
1, 16-20)
En Galilée, tu es
tombé sur de rudes pêcheurs. Ces braves garçons, identifiés aux 99% de leur
peuple, rêvaient de LIBÉRATION. Je dis bien "de LIBÉRATION", dans
tous les sens du mot, n'en déplaise aux Jean-Paul II de notre
temps, aux Benoît XVI, à l'Opus Dei, aux
Marc Ouellet, Burke, Pinochet, Bush, Trump, et à tous les Ayatollahs,
les Poutine, les Xi Jinping et les wôkes de toutes les couleurs et de toutes
les époques. Et n'en déplaise aussi à toutes les prières eucharistiques, les
missels et les bréviaires "passés date". Quoi qu'en pensent également
les fonctionnaires de la théologie des séminaires d'hier et d'aujourd'hui, et
tous les béni-oui-oui du monde entier. Excédés par les impôts, ces pêcheurs de
Galilée en avaient ras-le-bol des autorités locales, de la police du temple et
des troupes d'occupation du pays. S'ils n'avaient pas rêvé de LIBÉRATION, ils
auraient été les plus beaux idiots de la Terre... Ils mangeaient de la libération, ils en rêvaient comme en
mangeaient et en rêvaient leurs ancêtres lorsque, mille cinq cents ans
auparavant, ils étaient pris aux chaînes de l'esclavage en Égypte. Ils en
mangeaient et en rêvaient un bon deux mille ans avant la naissance de Marx et
de Lénine. Imaginez quel merveilleux
rêve, et quel abominable péché!.... Sans surprise, cette perspective de
libération, et le mot "libération" lui-même (plus outrageant,
semble-t-il, que le mot en "n") ont été complètement délités de
l'horizon et de la conscience de l'immense majorité des chrétiens et
chrétiennes qui prétendent marcher avec toi et tes amis galiléens. Je ne sais
pas s'il y a une meilleure façon de dessaler le sel... (Matthieu 5, 13).
Ces pêcheurs de
Galilée espéraient de toute leur âme
trouver un leader, un sauveur, un
messie, un roi, un chef puissant qui se mettrait à leur tête et les sortirait
de leur pétrin de mort. Or, dès qu'ils t'aperçurent sur leur chemin, dès qu'ils
te rencontrèrent, dès qu'ils t'entendirent parler, dès qu'ils virent ce que tu
faisais, ils ont cru que toi, le charpentier de Nazareth, tu serais cet
homme-là. Ils laissèrent tout et te suivirent. La nouvelle se répandit comme
une traînée de poudre. Les dinosaures te mirent illico sur leur liste de conspirateurs
de gauche. On te fit suivre, on t'épia. On scruta à la loupe chacune de tes
actions et de tes paroles. Toutefois, bien loin de te stopper, cette traque ne
fit que t'éperonner. Tes déclarations devinrent des épées, et tes gestes, des
électrochocs. Tôt ou tard, tu allais le
payer cher.
Rencontres
avec les lépreux.
(Luc
5, 12-13; 17, 12)
Les lépreux étaient
méprisés, maudits même, parce que, depuis toujours, il était de croyance
absolue que c'était Dieu qui les punissait à coups de lèpre en raison de leurs
répugnants péchés, réels ou supposés. Cette croyance, d'après toi, était le
comble de l'ignorance et de l'absurdité. Elle était surtout le visage d'une
religion ignorante et cruelle qui, impuissante à guérir, rendait la maladie
cent fois plus pénible à supporter. Contrairement donc à cette espèce de dogme
prêché depuis des siècles par les hommes de religion, tu voulus que l'on se mette dans le crâne et
dans le cœur que "Dieu", loin d'être une machine à châtiments,
n'était, au contraire, que vie, grâce et guérison. Alors, fort de cette foi
incroyablement nouvelle et audacieuse, tu osais approcher les lépreux et les
toucher. Tu leur enlevais l'immense charge de honte et de culpabilité qui les
stigmatisait et les écrasait ("Vous qui peinez et ployez sous le fardeau,
venez à moi et je vous soulagerai" (Matthieu
11, 28). Tu les libérais du poids
qui les accablait, tu les soulageais et les guérissais dans leur dignité,
et leur chair, d'elle-même, se mettait
à refleurir. Les malades qui affluaient vers toi, tu les abordais tous avec la
même force libératrice, la même assurance, la même audace et la même bonté.
Souvent tu avais recours à des trucs de médecine populaire, mais tu
n'ensorcelais jamais personne par des
discours ésotériques, ou des simulacres de magie qui auraient embobiné
les esprits et les auraient asservis à toi. Te suivre, marcher avec toi, ne
signifiait nullement devenir tes esclaves, tout le contraire!
Est-ce que cela a été
de quelque utilité? Sûrement. N'empêche qu'après deux mille ans de
christianisme, il existe encore de bons chrétiens toujours pratiquants qui ne
peuvent pas s'ôter de la tête que c'est Dieu qui fait pleuvoir les maladies et
les malheurs, tant sur les innocents que sur les coupables: sur les coupables,
pour les punir, sur les innocents, pour qu'il ne leur prenne pas envie d'imiter
les coupables... Or, c'est surtout à cause de ce dieu bizarre, ambivalent, supposément
miséricordieux mais souvent indifférent ou même cruel envers les humains, que,
de nos jours, des millions de baptisé-es et confirmé-es, pestent contre la
religion et que les églises se vident.
De toute évidence,
mon cher Jésus, ta façon différente de voir Dieu n'est pas passée comme une
lettre à la poste. En haut lieu, tes guérisons furent perçues comme
subversives. Car, en plus de contredire la doctrine traditionnelle sur le péché
et ses conséquences, elles sapaient l'autorité sacrée des prêtres
"divinement institués" pour gérer ces questions. Ils n'allaient
jamais te le pardonner, (d'autant moins qu'elles mettaient en péril leur
sécurité d'emploi et leur portefeuille).
Parenthèse:
la question du mal
Par ailleurs, la vieille question qui depuis toujours taraude
l'esprit des humains, à savoir: "Si Dieu est si bon, pourquoi le mal
existe?", cette très grave question reste absolument entière. (Pour une tentative de réponse: lire la Note 2 à la fin de ce blogue).
Rencontres
avec les aveugles
(Jean
9, 1-41)
Les aveugles, y
compris les aveugles de naissance, ne
sont pas les plus durs à guérir. Les plus durs, ce sont ceux qui croient voir,
alors qu'ils ne voient pas. Ce sont les ultraconservateurs et leurs semblables,
les dinosaures justement. Ils ne voient rien en-dehors d'eux-mêmes et rien
en-dehors du cercle étroit de ceux qui pensent exactement comme eux. Ils sont
toujours sur ton dos et sur tes talons. Quoi que tu fasses ou tu dises, tu les choques. Ils prétendent défendre les
droits de Dieu, les droits de la vérité, les droits de la Tradition, les droits
de la "vraie" religion. Absolument incapables de reconnaître un frère
ou une sœur dans le pauvre, dans le petit, dans l'opprimé, dans le blessé, dans
ceux et celles qui ne pensent pas, ne
parlent et ne vivent pas comme eux, ils te voient comme un impie, un écervelé,
un exalté. Tu as pris bien des risques en essayant de leur ouvrir les yeux,
mais ça n'a jamais marché. Ils ne se sont enragés que davantage. À la fin, ce
sont eux qui ont eu ta peau. Jusqu'à ce jour.
Comme si c'était peu,
ils ont proliféré et ont eu une
descendance innombrable. En ce 21e siècle, on trouve encore de leurs
rejetons dans toutes les strates
de l'Église, depuis les sacristies les plus obscures jusqu'aux trônes les plus
dorés. Partout ils râlent, verrouillent, mettent les bois dans les roues et du
sable dans les engrenages. Le cœur débordant de gratitude céleste, ils
encaissent d'alléchants dons provenant de leurs "fans" qui, pour la
plupart, sont bourrés de sous...
Tes disciples, un bon
jour, fatigués de lutter contre les Dinosaures, ont mis dans ta bouche une
série d'imprécations qui eurent l'avantage de mettre les pendules à l'heure. Ça
leur a permis en outre de se défouler et de soulager tous ceux-là qui, de nos
jours, n'ont pas l'audace de les affronter. «Vous,
guides aveugles, race de vipères, hypocrites, sépulcres blanchis, vous
assassinez les prophètes et ensuite vous leur bâtissez des mausolées (vous les
canonisez!» (Matthieu 23,1-36)...
Rencontres
avec les publicains
(Matthieu
9, 10-13)
La plupart des
publicains étaient des gens ordinaires qui avaient faim. Pour gagner leur
croûte, ils effectuaient de basses besognes
pour le compte de l'occupant romain. Le bon peuple les avait en horreur,
il les boycottait, les répudiait, les vouait au diable. En t'approchant de ces
gens qui étaient condamnés par l'opinion
publique, tu risquais de passer pour un de leurs complices, pour un collabo ou
un traître... Pour ta défense, tu te
comparais au médecin: tu disais que tu n'étais pas là pour prendre soin des
bien-portants mais des malades. Tu allais jusqu'à affirmer que, tout comme les
prostitué-es, les méchants publicains étaient plus près de Dieu que la plupart
des modèles mis de l'avant et encensés par la religion (Matthieu 21, 31). Contrairement à la caste des "purs",
en effet, les publicains ne se prenaient pas pour des anges. Eux avaient
l'honnêteté de reconnaître qu'ils étaient des ordures. Ils ne faisaient la
morale à personne.
Refuser d'en rajouter
sur le dos de ces publicains qui étaient
déjà ostracisés par la vindicte populaire, fut un autre de tes
"crimes" abominables qui t'attira bien des bosses.
Rencontre
avec la syro-phénicienne
appelée
aussi "cananéenne"
(Matthieu
15, 21-28)
Parlons-en de cette
femme. C'était une étrangère, une païenne! Elle ne s'habillait pas comme les
bonnes filles de ton peuple. Elle ne portait même pas de voile... Vous voyez le
genre? Si la guerre venait à éclater entre pays voisins, cette femme serait
évidemment du côté ennemi, et elle cognerait fort. On devait se tenir loin de
cette race de monde. Leur religion faisait peur. À la vérité, ils n'étaient pas
mieux que des chiens. Mais elle, pour
l'amour de sa petite fille qui était très malade, se foutait de passer pour une
chienne. Avec une foi à rendre jaloux les Juifs les plus zélés, elle te
suppliait de guérir son enfant. Elle criait, elle pleurait, se traînait à tes
pieds; elle hurlait et gémissait comme un petit chien blessé. Elle ne te
lâchait pas. Tant et si bien que tes fameux disciples perdirent patience. Et
toi aussi. - «Moi, je suis d'Israël. En Israël, on ne jette pas notre pain aux
petits chiens!» C'est ce que tu lui lanças
en montrant les crocs. Mais elle te répondit du tac au tac: «Chez nous, les
petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leur maître»....
Et vlan! La répartie de cette femme te causa une telle surprise et tant de
plaisir que tu t'exclamas: «Femme, ta foi est vraiment incroyable!» En ce
moment même, dit-on, la petite fille de cette païenne recouvrit la santé.
Toi, Jésus, tu étais
un bon Juif, et comme tout bon Juif tu
croyais que le monde commençait et terminait avec les Juifs. Pour toi, les
autres peuples étaient de la vermine. Eh bien, ce jour-là, tu as été
"converti" (c'est bien le mot) par nulle autre qu'une femme, une
étrangère, une syro-phénicienne, une cananéenne, et donc une païenne. C'est à partir de cette
rencontre inusitée que toi-même et tes fameux disciples avez dû vous faire à
l'idée que des étrangers païens peuvent parfois être des modèles, même pour des
Juifs orthodoxes. Ce fut là une autre de tes nombreuses "hérésies"
que les Juifs de ton temps, les dinosaures en particulier, ne te pardonnèrent jamais.
Une de tes saintes hérésies que certains croyants du 21e siècle ont encore en
travers de la gorge.... eux qui doutent
encore qu'il puisse y avoir un quelconque salut en dehors de l'église
catholique romaine (ou de l’Église de Luther, ou de l’Église orthodoxe, ou des
nouvelles religions…)
Rencontre
avec la Samaritaine
(Jean 4, 1-42)
Elle a tous les
défauts. D'abord elle est femme. Ça dit tout.
Jamais un homme décent, à plus forte raison un homme de Dieu, ne se
montre en public avec une femme. La femme, on lui coupe les cheveux, on la
voile, on la cache, on la fait marcher derrière le mari. La femme, on la voit
comme un mal nécessaire, comme un péché utile.
On ne parle pas avec les femmes en public... À plus forte raison s'il s'agit d'une femme
appartenant à un peuple aussi bâtard et menaçant que celui des Samaritains.
Ce peuple, en effet,
était issu de six ethnies
ennemies (six, le chiffre du manque!).
Il n'en fallait pas plus pour que les Juifs de souche les soupçonnent d'être de
mèche avec ces nations honnies dont ils étaient originaires, et les
considèrent, pour cette raison, comme
des espions et des traîtres potentiels dont il fallait absolument toujours se
méfier. Malgré cette paranoïa de la part des Juifs de la Judée et de la
Galilée, les Samaritains, semble-t-il, vivaient leur vie, sans trop de
complexes. Ils étaient fiers de leur
temple qui perchait sur le mont Garizim et faisait concurrence au temple de
Jérusalem. Ils étaient fiers aussi de leur religion, laquelle, en fait, n'était
qu'un bricolage de culte juif et
de rites païens, une sorte de "multiculturalisme" religieux (ils adoraient Yahvé sous la forme d'un veau
égyptien. Abomination entre toutes!). Les bons Juifs qui n'avaient jamais
eu les cochons en odeur de sainteté ("racisme
systémique" oblige) estimaient le plus sérieusement du monde qu'un
grognement de cochon valait mieux que la plus belle prière d'un Samaritain (c'est pour dire).
Or, toi, Jésus, au
puits du village, en plein midi, tu demandas à boire à une femme de cette
race-là, une Samaritaine pure laine, une femme aux "six" maris (les
six ethnies ennemies...) qui, en plus de toutes ses tares, n'avait pas la
langue dans sa poche. Elle te toisa, te scruta, te posa des questions et te
parla même de théologie. Or, c'est à elle que tu fis une de tes déclarations
les plus fracassantes sur la religion. Tu lui confias tout simplement que la relation à Dieu n'était d'aucune façon
une affaire de temples, d'églises, de synagogues, de pagodes ou de mosquées. Ce n'était pas non plus une affaire de traditions, de doctrines, de rituels
et de dévotions. Même si tu étais sûr que la religion des Juifs était la seule
religion qui fût digne de ce nom, en réalité, tu osas affirmer que ce qui
valait, ce n'était pas vraiment la religion, mais ce qu'aujourd'hui on
appellerait plutôt la "spiritualité".
À la femme, tu lui
dis: «L'heure viendra et elle est déjà venue, où on adorera Dieu, non plus dans
tel ou tel temple, mais en esprit et en
vérité» (Jean 4, 23). «En esprit», cela veut dire qu'on ne sera plus
dans la doctrine, dans le culte, dans l'organisation ou dans la structure, mais dans la "spiritualité", c'est-à-dire dans le "souffle"
ou l'élan du cœur. «En vérité», cela veut dire "en conscience",
autrement dit, dans l'honnêteté, la franchise, la sincérité et la liberté de
l'être (Matthieu 6, 5-8; 7, 21). Cela
signifie qu'on ne sera plus dans les temples et les sacrifices, dans les
médiations, dans les hiérarchies, les endoctrinements, et les "secrets
d'office" (et, pour les catholiques d'aujourd'hui, on ne sera plus dans le
célibat des prêtres, le sacerdoce des femmes, la pilule contraceptive, les
condoms, le refus de la communion aux divorcés; on ne sera plus dans les
stratégies pastorales, dans les heures de messe, dans les histoires de
Fabriques, de fusion ou non fusion des paroisses; on ne sera plus dans l'eau
bénite, les médailles ou les chapelets). On sera ailleurs.
On sera d'abord et
avant tout dans cette parole créatrice que tu adresses à la Samaritaine et qui,
en fait, est une véritable déclaration d'amour à son cœur assoiffé: «Si tu
savais 'le Don' de Dieu», si tu voulais accueillir au fond de ta conscience
l'amour que Dieu a pour toi, son amour gratuit, sa grâce, son amour sans
conditions, son Esprit très pur, sa liberté, sa puissance, sa lumière, «un
fleuve d'eau vive jaillirait des profondeurs de ton être», tu naîtrais vraiment
à toi-même, tu naîtrais en Dieu, tu naîtrais au monde comme une personne
libre, unique et bien-aimée. Tu serais
débordante d'amour et de vie éternelle...
En entendant ces
mots, la Samaritaine découvrit qu'elle
pouvait être aimée pour elle-même pour la première fois de sa vie, une
possibilité à laquelle elle n'avait jamais pensé. Elle abandonna sa cruche et
courut crier sa joie à ses coreligionnaires du village. Quelle joie, quel
bonheur pour des gens qui, aux yeux des Juifs, passaient pour des porcs! Tout
un soulagement, toute une libération. Jésus, tu venais simplement de mettre au
monde chez ces bonnes gens quelque chose d'aussi immense que la conscience et
d'aussi sublime que la personne humaine. Et tu effectuais une percée dans la muraille
qui séparait Juifs et Samaritains.
Pendant longtemps le
fleuve de vie créé par cette parole hyper libératrice a marqué la mentalité et
toute la vie des femmes et des hommes
qu'on appelait "les chrétiens". Mais à peine trois cents ans
après toi, au temps de Constantin, la Religion
refit son apparition en trombe. La foi "s'organisa", se
structura, se réglementa, se fixa à la romaine, et la spiritualité fut mise au pas. On
l'encadra, au fil du temps, dans une discipline infiniment complexe nommée
"mystique" qu'on réserva
surtout aux moines, aux prêtres, aux religieux, aux religieuses et aux laïques
attirés par la contemplation. Pour les
gens ordinaires, il ne restait que les reliques, les indulgences, les
pèlerinages, la chasse aux miracles, les dévotions à l'eau de rose, et la
soumission à un système qui les dépassait.
Il y a deux mille
ans, tu as dit: «L’heure est déjà venue» de sortir de ces cadres étouffants de
la religion afin de redonner souffle à tous ceux et celles qui ont soif de
liberté, d'authenticité, de vie et de sens. Piètre résultat tout de même. De
nos jours, alors que bon nombre de
chrétiens ont déjà rejeté la religion et que certains font la découverte de la spiritualité, les uns
se tournent vers le Tibet, le Népal,
l'Inde ou la Californie, les autres, très peu, commencent à explorer l'immense
trésor spirituel de l' évangile.
Dès qu'on cesse de
confondre ta Bonne Nouvelle avec la pratique religieuse, on découvre avec
surprise que l'Évangile est une mine d'or pour la réalisation de l'être. Mais
il reste quand même que la plupart des chrétiens qui vont à dos de mule, à vélo
ou à pied ignorent la chose et n'ont pas d'idée de ce qu'est la spiritualité.
Et s'ils en ont la moindre intuition, ils sont loin de penser que cette chose puisse se distinguer vraiment de
l'emprise des curés, des paroisses, des sacrements, des messes, de la morale,
des péchés et des commandements. Et aussi de la domination des gourous, et de milliers d'autres trucs.
... Ils ne savent pas que la spiritualité
n'est pas la religion, qu'elle n'est pas le dogme, la liturgie ou la morale;
ils n'osent pas croire qu'en dehors, pas nécessairement contre, mais au-delà de
la pratique religieuse, il y ait quelque chose qui soit réellement à ton image,
c'est-à-dire libre comme le vent. (Jean
3,8).
Parenthèse:
la Religion
La religion n'est pas
mauvaise, loin de là! Depuis l'époque des cavernes jusqu'à nos jours, elle a
été la matrice et la colonne vertébrale de toutes les cultures, de toutes les
nations et de toutes les civilisations. En occident, comme partout ailleurs,
nous sommes passés de la barbarie à la civilisation en très grande partie,
grâce à la religion. Mais tout n'est pas rose avec elle.
(Pour
aller plus loin, voir la Note 3 à la
fin de la Partie1 de ce blogue)
Rencontre
avec tous les Samaritains de ce monde
Ça, c'est ta meilleure! C'est
la subversion à son comble. C'est le saut parfait en dehors des enclos
étouffants de la religion, et un atterrissage
spectaculaire en plein milieu de millions de gens ordinaires comme vous et moi
qui n'avons pas de doctorat en sciences de la vertu et ne nous soucions
nullement d'être reconnus bons ou nuls par les tribunaux de la sainteté. C'est
incroyable! Nous sommes bourrés de défauts, nous avons nos manies, nos
chicanes, nos croyances, nos opinions, nos peurs, nos lâchetés, nos péchés, nos
rêves, et, bien sûr, nous avons quelques bonnes qualités et savons faire de
bonnes choses, mais rien pour sauter au ciel. Nous n'existerions pas que le
monde ne s'en porterait pas plus mal. Mais nous existons! Si on nous disait que
nous ne sommes pas mieux que les Samaritains, nous serions pleinement
d'accord.
Or, c'est justement
ce que toi, Jésus, tu viens nous dire en tombant au milieu de notre troupeau.
Tu nous dis: le Temple, c'est beau, mais il y a mieux que le Temple. La
Religion, c'est beau, mais il y a mieux que la religion. La Loi, c'est beau,
mais il y a mieux que la Loi. La Morale, c'est beau, mais il y a mieux que la
morale, mieux que l'obéissance à des autorités sacrées, mieux que les
sacrifices, que les rites, que la messe et les sacrements. Il y a mieux que la
religiosité. Il y a mieux que les identités de races, de tribus, de nations, de
classes sociales ou de statut. Tout cela peut être beau et bon, mais à
condition de ne pas arrêter le Vent qui est la chose la plus précieuse que nous
possédons, car c'est lui qui nous fait respirer et donne souffle à la Nature et
à tout l'univers (Jean 3, 8). Il
marche sans cesse, va où il veut et où il lui plaît. Il ne connaît pas de
barrières ni de frontières (Actes 2, 1-4).
Le Vent, c'est ce qui nous fait ÊTRE, c'est
la Liberté, l'Amour, la Vie, la Lumière,
la Joie, la Paix et tout ce qui en découle. Il y a les Juifs, c'est
beau, mais il y a aussi les Samaritains, ainsi que des milliards d'humains
comme vous et moi qui sont différents de vous et de moi. Ils font partie de
nous comme nous faisons partie d'eux. Les accueillir, c'est nous accueillir
nous-mêmes, et c'est aussi accueillir Dieu qui les a faits comme nous à son
image et à sa ressemblance. Les aimer, c'est nous aimer nous-mêmes et c'est
aussi aimer Dieu, Dieu, nous, eux, nous sommes inséparables, nous sommes
un avec l'humanité entière, avec la Terre, avec tout le cosmos...
C'est alors que tu
nous as raconté cette petite histoire si surprenante, si généreuse, si
subversive et si libératrice qui nous est parvenue sous le titre de
"Parabole du Bon Samaritain".
(Luc 10, 25-37)
« Un jour, un homme (un Juif) se fait tomber
dessus par des chenapans qui le rouent de coups, volent tout ce qu'il a et
prennent la fuite en l'abandonnant à demi mort sur le bord du chemin. Alors
qu'à tout moment des oiseaux charognards pourraient se jeter sur lui et le
dépecer vivant, viennent à passer sur le même sentier un prêtre suivi d'un
lévite (une sorte de diacre). C'est vers le Temple de Jérusalem que les deux se
dirigent afin d'y accomplir les tâches
qui leur ont été assignées pour ce jour-là. Ils sont peut-être en retard car
ils paraissent très pressés. En passant près du pauvre diable, ils le voient
baignant dans son sang, ils froncent les sourcils, étouffent un soupir, s'écartent vivement et poursuivent leur
chemin au pas de course. Entre-temps apparaît un étranger barbu qui n'a pas
l'air très catholique. Il vient à dos d'âne. En apercevant le blessé autour
duquel de grosses mouches ont commencé à voler, l'inconnu saute en bas de sa
monture et s'empresse de le ranimer. Il nettoie ses plaies du mieux qu'il peut
avec du vin qu'il transporte dans ses bagages. Puis il le hisse sur son âne et
le conduit à la première auberge qu'il rencontre. Rendu là, il confie le
malheureux au maître des lieux et lui donne des sous en le priant d'en prendre
soin jusqu'à ce qu'il soit remis sur pied. Il l'assure qu'en revenant de voyage
il repassera et lui remboursera toute dépense extra qu'il pourrait
encourir pour le blessé. Fin de
l'histoire. Tout le monde t'écoute la bouche ouverte.
Quand la foule qui
t'écoutait comprit que le blessé était un Juif, ça pouvait aller, mais dès
qu'elle prit conscience que c'était un Samaritain
qui l'avait sauvé, alors là, ce fut le tollé général. On crachait par terre, on jetait de la
poussière dans les airs, on jurait par la barbe de tous les patriarches que tu
méritais la potence. De peine et de misère tu parvins à les calmer lorsque tu
crias de toutes tes forces que ce n'était qu'une parabole, mais qu'à travers
cette parabole c'était Dieu lui-même qui leur envoyait un message. Tu leur appris alors que depuis longtemps
Dieu avait essayé maintes fois de faire comprendre par la bouche de ses
prophètes qu'il en avait ras-le-bol de tous nos sacrifices, de nos cantiques,
de nos braillages, de nos liturgies qui ne sont qu'un rabâchage de vieilles
choses du passé sans incidence véritable sur le présent.
Et que la seule religion qui lui
plaisait, c'était la justice et la miséricorde (Exemples: Amos 5, 21-25; Ecclésiastique 34, 19-22; Psaumes 40, 7; 50,
7-23; 51, 18-19; Matthieu 9, 13. 12,7; etc. etc. etc.).
Naturellement, on
n'écoutait pas les prophètes, ces empêcheurs de tourner en rond. On n'allait
certainement pas écouter davantage un petit raboteur de la campagne qui
racontait des histoires indécentes. Car, dans ta parabole, tu avais osé donner
le rôle de méchants au pauvre prêtre et au lévite, et le rôle de saint au
maudit Samaritain. On aurait pu te tuer pour cela. Tu ne t'es pas efforcé, même
pas un tout petit peu, pour excuser le prêtre et son diacre. Ces deux bons
Juifs n'avaient fait que leur devoir. Ils avaient respecté scrupuleusement les
règles de la liturgie interdisant
strictement d'entrer en contact avec du sang avant de pénétrer dans le temple.
Mais non. Au lieu de les excuser un tant
soit peu, tu as encensé un galeux de Samaritain. Tu as laissé planer le blâme
sur deux personnes qui n'avaient pas dérogé des normes de la sainte pureté
religieuse et tu as mis sur un piédestal un répugnant personnage de la race des
porcs. La pureté religieuse, tu l'as bafouée, tu l'as foulée aux pieds! Tu as
dit clairement que celui qui était sur la
voie de la vie éternelle, c'était cet innommable Samaritain et non pas
eux. Pour l'amour du prochain, tu as envoyé le diable au ciel, et Dieu en
enfer!
"Le fameux
"prochain"! Tu n'as que ce mot-là dans la bouche! À t'écouter, on
dirait que le prochain passe avant Dieu!"
TOI: Dieu ne passe ni avant ni après le prochain,
car Lui et le prochain vont ensemble. Ils sont in-sé-pa-ra-bles!
EUX:
Inséparables?!!! Les Samaritains ne sont pas notre prochain! Ils sont toujours
trop proches. Ils sont ceux qui n'auraient jamais dû exister!
TOI: Le
prochain, ce sont nos proches, bien sûr, mais ce sont tous les autres aussi. S'il y en a quelques-uns qui sont
loin de nous, nous n'avons qu'à nous les rendre proches en allant nous-mêmes
vers eux. Tout comme le Samaritain de mon histoire qui s'est fait proche du
Juif pour le secourir et lui sauver la vie... Dieu ne veut rien d'autre. La vie éternelle, c'est cela!
Les Dinosaures qui
avaient entendu parler de cette histoire auraient voulu te couper la langue, te
crever les yeux et t'arracher la tête.
Tu ne perdais rien pour attendre.
Et nous qui avons
encore un peu ou beaucoup de difficulté à frayer avec les pauvres, les
marginaux, les immigrants, les gens de couleur, les LGBTQ+, les athées, les
autochtones, les anti cléricaux, les chrétiens libérés, les juifs, les
musulmans, etc. etc. etc., et qui parfois avons en plus un peu honte d'être des
Québécois (es) de racines francophones et catholiques, c'est peut-être la
preuve que dans notre ADN nous avons, nous aussi, quelques atomes de
dinosaures.
Rencontre
avec le centurion
(Matthieu
8, 5-13)
L'occupant romain,
centurion, décurion ou autre, est l'impur par excellence, l'ennemi à abattre.
Or, un de ces centurions avait un serviteur qu'il aimait beaucoup. (Certains
experts de la bible soupçonnent que ce "serviteur" était, en fait,
son mignon, autrement dit son amant). Cet esclave bien-aimé était donc gravement
malade. Le dit centurion étant un de ces Romains qui d'ordinaire traitaient les
Juifs avec grand mépris, prit son courage à deux mains pour s'approcher de toi,
un Juif, et te demander une faveur. Il
fallait que sa douleur fût énorme pour
s'abaisser ainsi. D'une distance
prudente, cependant, pour éviter de
t'exposer à une impureté, il t'adressa sa demande. On connaît la suite. Comment
il ne permit pas que tu te déranges pour entrer dans sa maison: «Moi, je suis
un officier de rang inférieur, mais quand je donne un ordre, mes hommes
m'obéissent sans que j'aie à lever le petit doigt. Toi qui es autrement plus
important que moi, tu ne dois pas risquer de te rendre impur en entrant sous
mon toit. Dis un seul mot et je suis sûr
que mon serviteur va se remettre sur pied». Par ces mots, ce païen que tu avais
devant toi venait de renverser une autre
barrière et t'avait rejoint en plein cœur. Rempli d'admiration et
d'enthousiasme, tu as déclaré. «Jamais en Israël je n'ai vu une foi aussi
grande!»
Le centurion aimait
son esclave, il souhaitait ardemment qu'il vive, et il attendait de toi que tu
le guérisses. C'est cela que toi, tu appelais "la foi". Rien que ça.
Ce païen, cet ennemi de ta nation, ce non évangélisé, ce non catéchisé; cet
homme vraisemblablement homosexuel actif a obtenu de toi la guérison de son
petit ami. Et toi, tu as guéri son petit ami sans poser de questions, sans
poser de conditions, et sans servir de sermon.
Ce fut là une autre
belle surprise pour cette catégorie de gens que la religion stigmatisait comme
impies et pervers. Aussi, chez les dinosaures, ta cote en prit encore pour son
rhume. Autre débarque dont tu ne
devrais pas te relever.
Rencontre
avec les zélotes
Les zélotes ont voulu
te faire roi, un roi pour vrai, c'est-à- dire un chef qui prend la tête du
pays, un chef qui décide, un chef qui commande, un chef qui monte à cheval, qui
fait la guerre, nettoie le pays de tout ce qui est étranger, un chef qui
restaure les institutions nationales, rétablit dans leur pureté originelle les
croyances, les rites, les coutumes qui font l'identité de la nation; un chef
qui mobilise les forces populaires pour en finir avec les Romains et tous les
traîtres qui auraient collaboré avec eux ou se seraient montrés simplement
complaisants à leur égard. Les Zélotes étaient des guérilleros, des violents.
On les appelait "bandits" ou
"brigands" (Barabbas était l'un d'eux), ou "larrons" (comme les deux
larrons, le bon et le mauvais, crucifiés comme toi, de chaque côté de ta
croix). Dans les cavernes du désert environnant où ils se cachaient, il fallait
bien qu'ils mangent. Ils ne se gênaient donc pas pour subtiliser des fermes
avoisinantes des poules, des chèvres et des moutons. De temps en temps, il leur
arrivait d'écrémer un village ou l'autre de tout ce qui était susceptible de
leur tomber sous la dent. Et s'ils tombaient au passage sur un publicain qui
collectait l'impôt pour les Romains, le pauvre type se réveillait bientôt avec
un poignard planté dans le dos.
Tu n'étais pas
d'accord avec les méthodes de ces zélotes, mais tu avais de la sympathie pour
eux. La preuve en est que, parmi tes disciples, tu as choisi des gaillards qui
avaient certainement des atomes crochus avec eux et qui avaient peut-être déjà
trempé dans une de leurs razzias. Par exemple, un de tes disciples était
justement un certain Simon dit le Zélote. Un autre était Judas dit Iscariote
(homme au sicaire, au poignard). Il y avait aussi les deux frères, Jean et
Jacques, appelés les fils du tonnerre. Ces deux-là rêvaient d'en découdre au
plus tôt avec les ennemis de la nation et d'occuper les postes les plus
importants dans le gouvernement de ton futur royaume. Évidemment, il y avait
aussi le bouillant Simon- Pierre qui avait la main rapide pour empoigner
l'épée... Ce ne fut pas facile pour toi de canaliser l'énergie guerrière de ces
braves garçons et de donner à cette énergie une direction beaucoup plus large,
mais aussi puissante et moins sanguinaire.
L'idéal
révolutionnaire des zélotes était loin de te laisser indifférent. Tu ne comprenais que trop bien leur grogne. Mais
tu rejetais sans équivoque les moyens qu'ils prenaient en vue de réaliser cet
idéal. Ta révolution ne devait pas carburer à la violence, à la haine et à la
vengeance; elle ne devait pas combattre l'injustice par l'injustice, le mal par
le mal, ni la violence par la violence. Ta révolution devait être mue par le
courage, mais aussi par des sentiments d'humanité et un amour héroïque allant
jusqu'au pardon et à l'amour des
ennemis. Ta guerre, ton épée, ton glaive,
ta violence consistaient, non pas à tuer, mais à donner bravement et
librement la propre vie pour redonner à
l'humain sa dignité, sa liberté et sa beauté. Le pouvoir, oui, mais pour servir
l'être humain et non pour l'asservir. À mon avis, celui qui, dans notre monde
contemporain, a le mieux incarné cette façon de faire, c'est Gandhi, un non
chrétien... L'ont suivi Martin Luther King, un pasteur baptiste, et Mandela, un batailleur libéré après 27 ans
de bagne. Les deux premiers ont été assassinés, l'autre a vécu très vieux et est
mort heureux.
Parce que tu ne te
laissas pas entraîner dans la voie violente des zélotes, tu les as déçus. De
dépit ils se sont retournés contre toi. Lorsque Pilate proposera la libération
d'un prisonnier à l'occasion de la Pâque, ils échangeront ta tête pour celle de
Barabbas, un zélote notoire. Pour les
mêmes raisons, pense-t-on, tu as déçu aussi ton ami Judas. Cinquante ans plus
tard cependant, à Jérusalem, lorsque les zélotes, en l'an 70, se soulèveront
contre les troupes romaines, l'histoire te donnera raison: la ville sera rasée; la population,
massacrée; l'État, aboli; les survivants, expulsés; le territoire, annexé à
Rome. L'État hébreu sera rayé de la carte pendant 2000 ans! Voilà ce à quoi
devait mener la violence des zélotes.
Ton rejet de la violence armée n'a pas fait de toi pour autant un homme
exclusivement religieux strictement confiné aux affaires de l'âme. Au contraire! S'il est vrai que tu
refusas de jouer le rôle d'un
chef de rébellion ou d'un commandant politique et militaire (Jean 6, 12), tu continuas d'assumer une
forme de "leadership"(dans ton temps on parlait de
"royauté"), en fonction de tout ce qui est essentiel à la vie, à la
paix et au bonheur du peuple. Mais ton leadership était radicalement différent.
Il se situait aux antipodes de ce que
projetaient habituellement "ceux qui étaient aux commandes". D'après
toi, les vrais leaders (ou les vrais rois) se mettaient au service du peuple
et, d'aucune manière, se faisaient servir par lui (Marc 10, 42-45).
Toi-même tu te mettais au service de tout ce qui donne vie et apporte la
paix. Et quoi donc donne vie et apporte la paix? Est-ce la religion avec ses
nombreux rites, ses prières et sacrifices ou plutôt la justice, une justice
exercée avec humanité et avec bonté?... Tout être rationnel connaît la réponse.
Alors, pour avoir osé faire de la religion une affaire de justice et de la
justice, une véritable religion, mon cher Jésus, tes jours étaient comptés.
Tu seras condamné
à mort par les pontifes de l'État théocratique des Juifs et tu seras exécuté
par les Romains. On te clouera à une croix, une mise à mort que Rome réservait
aux esclaves et à ceux qui se révoltaient contre l'Empire. Tu seras crucifié
comme un dissident politique, comme un rebelle, comme un "brigand"
avec deux autres brigands (ou larrons) à tes côtés. Pilate ne s'y trompera pas.
Avec un cynisme typiquement dinosaurien il placardera au haut de la croix une
affiche proclamant haut et fort que tu
étais exécuté comme "LE ROI DES JUIFS" (INRI).
Le plus désolant dans
toute cette affaire, le plus dégueulasse, c'est qu'on apprendra à te pleurer
comme une "pauvre victime innocente immolée pour les péchés du monde"
(ainsi que la religion s'est acharnée à le claironner aux quatre coins de l'univers),
alors qu'en réalité tu as été tué, ou, plus exactement assassiné, pour le crime
d'avoir défié une société foncièrement violente et injuste, laquelle était
sanctionnée et bénie par une religion aveuglée par le pouvoir et soumise à bien
d'autres intérêts que ceux de Dieu.
Pourquoi la religion
s'est-elle prêtée à un tel jeu? Facile. La religion, qui se veut gardienne de
la paix, protège ses arrières. Pour ne pas se compromettre, elle se réfugie habituellement dans les
choses du ciel, mais le plus souvent elle appuie le pouvoir en place afin
de mieux conserver le sien (pour la plus
grande gloire de Dieu, bien entendu). Sauf exception, elle s'accommode de
toutes les dictatures, pourvu qu'elles soient de droite. Elle le fait, il va sans dire, pour l'amour
de la paix. Or, c'est bien connu, aucune dictature ne tolère la critique ou
l’opposition. Elle les crucifie. La belle paix qu'elle offre crucifie même ceux
qui, comme Jésus, s'opposent à la violence, à moins qu'ils ne montrent patte
blanche et se rallient à elle comme des esclaves.
Pour le pouvoir
établi, il ne suffit pas qu'on ne prenne pas les
armes contre lui, il faut aussi qu'on s'agenouille à ses pieds. Ce que Jésus ne
fit jamais, lui qui ne s'agenouillait que devant les pauvres et devant les gens
dépossédés de tout pouvoir (Jean 13,
4-5).
Pendant les trois
siècles qui ont précédé la fameuse "paix" de Constantin, les
chrétiens et les chrétiennes se laissaient torturer et triturer par les
tigres plutôt que de plier genou devant
la statue de l'empereur ou d'y brûler de l'encens... Ils n'adoraient pas
l'autorité comme on adore Dieu, ils ne s'agenouillaient devant aucun homme, ils
ne baisaient l'anneau de personne. Mais après la paix de Constantin, quand l'autorité suprême de l'Empire
se fit catholique, les vieilles hiérarchies de l'époque antérieure à l'Évangile
revinrent au galop. Sans crier gare, on s'est retrouvés à quatre pattes sous la
férule du Dieu tout-puissant de la Religion et sous la crosse de plus en plus dorée de ses
représentants. L'Église cessa d'être une communauté et devint une organisation
dirigée d'en haut et gardée à vue par des fonctionnaires de la Loi et de
l'Ordre. L'évangile de Jésus venait de
recevoir un coup fatal en plein cœur.
Rencontre
avec Judas
Judas t'aimait, mais, selon l'avis de plusieurs érudits, il
désespérait de toi parce que tu refusais l'offre que te faisaient les zélotes
de prendre la tête de leur mouvement.
Au risque de passer pour un
«larron», un brigand ou un voleur (Jean
12, 6), il ramassait des fonds pour la cause des zélotes. Seuls les
zélotes, d'après lui, allaient sauver le
pays, mais toi, tu n'étais pas d'accord. Cherchant à faire pression sur toi, il
eut alors cette idée de «vendre» aux dinosaures du temple un important renseignement
à ton sujet, en échange, bien sûr, d'une somme d'argent que les amis zélotes
apprécieraient grandement. Il ne cherchait pas à te tuer, car il
t'aimait sincèrement, comme toi tu
l'aimais. Il a seulement indiqué l'endroit où la police du temple pouvait te
trouver, pour que les grands chefs religieux te donnent une bonne frousse. Il semblerait que ces derniers
s'étaient engagés à s'en tenir à cela.
Judas comptait sur cette frousse pour que tu revoies ton attitude face
aux zélotes et que tu te rallies à eux. Il désirait ardemment que tu deviennes roi. Mais les dinosaures l'ont floué. Dès
qu'ils eurent en main l'information qu'ils souhaitaient, ils te sautèrent
dessus et enclenchèrent le cirque que l'on sait
pour en finir avec toi. Quand Judas prit conscience de la tournure des
évènements, il voulut mourir. Le cœur brisé, il s'est pendu.
JÉSUS HOMME DE RISQUES
PARTIE 2
Chocs
répétés avec les Dinosaures
(Suite
et fin )
Jésus, tu n'es pas raisonnable! Tu
as osé mettre les pieds chez cette fripouille de Zachée. La religion des
Dinosaures (qui était aussi la religion de beaucoup de bonnes gens), interdisait formellement de s'approcher d'un individu
de cette espèce.
Rencontre avec Zachée
Luc 19, 1-10
Zachée était
un abominable collecteur d’impôts qui suçait le sang de ses concitoyens pour le
compte de l’occupant romain. Il était protégé par ses patrons et s’en mettait
plein les poches grâce à une alléchante commission sur les montants qu'il
percevait. C'était ce que Zachée avait trouvé de mieux pour réaliser son grand
rêve de devenir quelqu’un.
Car, depuis
tout jeune, Zachée était bourré de complexes en raison de sa petite
taille. Il en mourait de honte et de rage. Tout le monde se moquait de
lui. Son obsession était de devenir grand, très grand. Mais comment
faire? Personne ne s’intéressait à lui.
Alors lui
vint l’idée de se vendre, de se prostituer, de se coller comme une sangsue aux
basques des Romains qui faisaient la pluie et le beau temps dans le pays. Il
lui importait peu qu’ils fussent des ennemis et de grands voleurs, l'Important
c'était de gagner de l'argent. Et ce
fut ainsi que Zachée, l’homme de petite taille, devint traître à l'égard de son
peuple. Un traître très riche que tout le monde craignait, haïssait, et même...
enviait. Zachée, enfin, était devenu quelqu'un.
Zachée, bien
oui, était une ordure, un mort vivant comme on en trouve encore aujourd'hui
dans les bouges les plus sordides comme à
la tête des nations. Sa maison était une forteresse impénétrable dont
tout le monde se tenait éloigné.
Soudain un
bruit monta de la rue. C’était toi, Jésus, qui passais dans les parages.
T’accompagnait une troupe qui avait l'air de faire la fête.
«Jésus, le faiseur de
miracles? demanda Zachée. Celui qui change l'eau en vin? Qui guérit les
boiteux et redresse les femmes bossues? Si c'est bien lui, je suis
sûr qu'il il va me faire grandir d'une
coudée!"... Il caressa sa bourse de deniers et se dit d'un air malin:
" Avec des sous on peut tout avoir, vous savez»…
Zachée ne
tenait plus en place. Poussé par son vieux rêve d'être grand, il bondit hors de
sa forteresse et grimpa dans un arbre, comme un enfant... De là-haut, il put
voir autre chose que les pieds des gens. Il te vit, toi, Jésus. Et toi, Jésus,
tu vis cet homme petit, ce gros méchant, accroché à une branche, te faisant des
signes. Tu lui crias: «Zachée, descends vite, je veux aller chez toi!»
À ces mots,
le petit homme tomba à la renverse, comme si la fin du monde était arrivée.
D'un saut il était au pied de l’arbre et t'ouvrait toute grande la
porte de sa forteresse.
Les plus
timorés de la troupe n’entrèrent pas. La religion des prêtres l’interdisait.
Mais toi, Jésus, toi et ta bande de gais lurons, vous n'avez pas hésité une
seconde. Avec votre joie, votre humanité, votre simplicité et votre liberté
vous avez pénétré dans cette maison qui, jusque là, n'avait été
qu’un tombeau. Vous l'avez remplie d’air frais. Le petit homme reprit son
souffle. Puis son cœur perforé d'ulcères s’inonda de lumière. Et de paix.
Zachée
venait d'échapper à l'impitoyable tribunal des vertueux, des purs et des
envieux. Pour la première fois de sa vie, il ne se sentait ni nain, ni salaud,
mais normal. Il en était si heureux
qu’il en perdit la tête. «Je donne la moitié de mes biens aux
pauvres, s’écria-t-il en se jetant dans tes bras. Et tout ce que j’ai volé, je
vais le restituer multiplié par quatre!»
Ce jour-là,
le compte en banque de Zachée descendit au-dessous de zéro, mais Zachée
lui-même était devenu un très grand homme. Il était redevenu un
vrai fils
d'Abraham.
Aujourd'hui
Zachée est connu dans le monde entier, presque autant qu'Alexandre le Grand,
Ali Baba, Robin Hood et bien d'autres chenapans célèbres. Depuis deux mille ans,
partout, des milliers de choses ont été
écrites sur lui. Les présentes lignes font partie du lot.
Ce qui
aurait sauvé Zachée, semble-t-il, c'était son cœur d’enfant. Ce cœur dormait
sous un tas de douleurs, de hontes et de sottises. C’était son trésor
caché, sa perle précieuse, son être profond, son « vrai moi » que
lui-même ignorait et que personne ne pouvait deviner… C’était, en lui, l’image
même de Dieu qui se levait comme la Lune
au plus profond de son être. C'était
l’homme nouveau, le ressuscité; c'était le Royaume, qui s'éveillait dans les profondeurs de sa personne.
Ce cœur a pu
émerger du méchant Zachée parce qu’un jour quelqu’un le regarda avec les yeux
de Dieu. De ce Dieu qui n'est pas un Dinosaure, mais une puissance d'intelligence et de tendresse
qui transperce la pierre la plus dure depuis l'intérieur même de l'être.
Jamais il ne juge en se basant sur les apparences
(1Samuel 16,7). Qui l’eût
cru?
Bravo, Jésus! Après
avoir bafoué une fois de plus les règles les plus élémentaires de la décence
religieuse, tu changeas le cœur d'un rapace et traître à la patrie en un cœur
d'homme juste et bon. Ce fut sans contredit ton plus grand miracle. Plus
grand encore que ces histoires d'eau changée en vin, de marche sur les eaux, de
pêche miraculeuse ou de résurrection de Lazare! Pourtant, en pénétrant chez
Zachée, selon la loi de la religion, tu avais commis un bien grand péché.
Preuve qu'il y a, malgré
tout, de bons, saints et raisonnables péchés... Qu'en dites-vous, messieurs et
mesdames les Dinosaures?...
Rencontre avec Nicodème
Le bon Nicodème était
un pharisien distingué qui croyait déjà en toi. Il aurait aimé se joindre à tes
disciples, mais il n'osait pas faire le pas de peur de perdre sa
réputation, son statut social, son job. Un soir, à la brunante, entre chien et
loup, il vint te rencontrer.
Voir s'approcher de toi un tel membre de la dinosaurerie
ennemie fut toute une surprise. De sa part, c'était vraiment un geste
audacieux, car il risquait beaucoup. Pour toi et ton groupe de
"pêcheurs d'hommes", c'était une aubaine. Tu aurais dû l'embrasser et
l'intégrer dans ta bande avec grande joie. Mais non. Tu l'assommas net. Tu lui
dis simplement: «Un moment, Nicodème, il
faut d'abord que tu renaisses ». Renaître?... Cela voulait dire que tout ce
que Nicodème représentait, sa sagesse,
sa science, ses nombreuses relations, sa sympathie à ton égard, ne servaient
plus à rien. Pour être avec toi, il fallait repartir à zéro après avoir passé
par un chamboulement intérieur équivalent
à une nouvelle naissance. Tu ne négocias rien. Tu ne lui accordas aucun
"accommodement raisonnable". ..
Nicodème ne sembla
pas s'en surprendre. Il te connaissait assez bien pour comprendre que, même si
tu mettais la barre exagérément haute pour ceux qui voulaient te suivre, tu
étais aussi un homme de grande patience et de profonde compassion; il savait
que tu croyais fermement que la mèche qui fume encore peut toujours s'embraser
de nouveau. D'ailleurs, le fait que lui-même
ait entré en contact avec toi démontrait que déjà la renaissance s'était amorcée dans son être.
Il ne prétendait
pas devenir un militant, un héros, un martyr, un radical,
encore moins un homme parfait comme toi. Il lui suffisait d'aller derrière toi
comme un simple "disciple de
l'ombre". Pas un "fan" qui emboucherait la trompette aux coins
des rues pour proclamer: «Je suis chrétien! Jésus est la Vérité! Convertissez-vous,
repentez-vous! Regardez mon signe de croix, ma Bible, mes médailles, mon
chapelet, mon bréviaire, mon col romain, ma mitre, mes messes, mes doctorats! Venez, rejoignez la plus grande religion du
monde!» C'est que, malgré ton
radicalisme (car avec toi, c'était tout ou rien), tu ne fermais la porte à personne. Tu
respectais le cheminement de chacun (e). Tu savais bien, au fond, qu'un Dinosaure
ne change pas en tournant comme une toupie sur une pièce de dix sous...
Bref, depuis cette
nuit-là, dans la cachette de son cœur,
Nicodème devint l'un des tiens, mais à sa manière. Lui, son truc c'était de philosopher en se
caressant la barbe, en posant des questions et des sous-questions, en mettant la cuiller ici et là pour que ses
collègues soient moins injustes et plus ouverts à ton endroit. Ce n'était pas
la mer à boire, mais c'était mieux que rien. (Jean 7, 50-52).
Lorsque les
Dinosaures te mirent la main dessus et qu'ils te tuèrent, des femmes pieuses
embaumèrent ton corps et le déposèrent dans le tombeau. Nicodème et Joseph d'Arimathie, son collègue, s'exposèrent à bien des tracas, mais ils étaient
là, eux aussi, leur donnant un coup de main (Jean
19, 39-40). Et puis les pleureuses
sur le chemin du Calvaire, dont les cris de douleur "enterraient" le
hurlement des hyènes déchaînées contre toi. Et les douces véroniques qui
essuyaient ton visage et te consolaient.
Puis le très humble, le pauvre, le courageux, le magnifique Simon de Cyrène, un
Noir probablement, un immigré, un sans papier,
qui partagea le poids de ta croix.
Et même ce "bon larron" tout crotté, tout en sang, crucifié à
tes côtés qui a eu un bon mot pour toi face à son comparse meurtri dans son âme
et qui ne trouvait rien de mieux que de hurler avec les loups.... Les loups...
Le centurion au pied de la croix était un loup. N'empêche qu'en te voyant
mourir en pardonnant, sa conscience l'emporta
sur son obéissance de soldat et elle le poussa à proclamer haut et fort,
lui, le Romain, lui l'oppresseur, lui, le complice de tes bourreaux: "Cet
homme, (ce Juif, condamné par Rome) est vraiment le fils de Dieu!" (Marc 15, 39).
En y pensant un peu,
mon cher Jésus, même de nos jours, tu
as plus de disciples qu'on ne pense.
On ne les identifie pas facilement, car la plupart d'entre eux, ou d'entre
elles, sont aussi de simples "disciples de l'ombre". Quand il s'agit
de donner un coup de main, cependant, ils sont toujours là, discrets, à peine
visibles... Tout comme Nicodème... Ou
comme ce jeune homme riche que tu aimas dès que tu le vis. Tout lâcher pour aller se faire tuer, c'était trop pour lui. (Marc 10, 21; Matthieu 19, 16-24).
Devint-il méchant pour autant? Je parie que non. Il continua d'être bon garçon,
disciple de loin, disciple de l'ombre, comme Nicodème. Un disciple à la manière
de Marthe, bien que cette brave fille passait plus de temps à frotter ses
casseroles qu'à méditer la bonne Parole (Luc
10, 38-42). Car des Marie qui font de la méditation pour se concentrer sur
l'essentiel, c'est beau, mais heureusement qu'il y a des Marthe, sinon notre
monde serait vraiment moche, et la Source de Vie, qui est dans les toutes
petites choses autant que dans les grandes, nous trouverait joliment ennuyants.
Et puis, des
"disciples de l'ombre", est-ce que ça existe vraiment?... Pas certain. Tous tes disciples sont lumière, mais avec
des intensités différentes. Il y a les "ultras" qui sont des
"stars", mais il y a aussi les
"cools", pas tièdes mais cools tout simplement, lucioles ou simples
bibittes à feu... Dans ton cercle, il y
a même des Dinosaures... Ça met du piquant. Sans eux, tout serait vraiment plus
"plate", comme on dit en québécois.
Risquer l'égalité
Se battre pour la
liberté, ça va de soi. Pour la fraternité aussi, car c'est un idéal magnifique. Mais pour l'égalité?.....
Ça semble impossible. Dans une famille, il y a des grands et des petits.
Dans la vie, il y a des forts et des faibles, des blancs, des roses, des
jaunes, des bruns, des noirs et des bleus foncés, des hommes et des femmes, bien
sûr, des vertes et des pas mûres aussi avec un tas de nuances entre eux/elles.
Personne n'est pareil. Personne n'est égal à l'autre... Et toi, Jésus, tu nous arrives avec une
histoire abracadabrante, une parabole, celle des "ouvriers de la dernière heure".
Des ouvriers qui n'ont rien foutu de la journée et qui vont "puncher"
juste cinq minutes avant que la cloche sonne. Ces fainéants vont toucher le
même salaire que les camarades qui ont bossé toute la journée. Et tu nous dis
que c'est le grand Patron (Dieu) qui veut ça (Matthieu 21, 1-16). Franchement,
ça ne peut pas marcher comme ça!
Non, bien sûr. Mais,
quand les parents vont quitter ce monde, ils feront un testament et dans ce
testament, est-ce qu'ils vont favoriser un enfant plus qu'un autre? Pour éviter
la chicane, ils vont plutôt répartir leurs biens à parts égales entre chacun
des enfants. La petite dernière qui a été choyée et gâtée, pourrie par tout le monde, qui est
capricieuse comme tout et ne sait pas encore quoi faire de ses dix doigts, va
recevoir de ses parents autant que la grande sœur ou le grand frère qui se sont
échinés pendant des années pour contribuer
à son soutien et à celui de toute la
famille. Injustice? Pas du tout! La
"petite" qui ne fait que jouer, rêver et bouder, est aussi importante
que ceux qui ne font que travailler. Les
petits, les chômeurs, les rêveurs, les pauvres, les derniers, sont aussi
importants que les premiers (Marc 10,
31). Même certains Dinosaures comprennent cela. À plus forte raison
devrait-il en être ainsi parmi tes disciples.
Rencontre avec les femmes
Elles sont membres à
part entière de la communauté qui t'accompagne. Entre elles et les hommes du
groupe, pas de barrières! Dans le monde des Dinosaures, les Dinosaurines
restent dans leur coin, sinon, c'est le bâton. Même dans le judaïsme ultra orthodoxe d'aujourd'hui,
on enferme encore les femmes à double
tour à la maison, et jamais les hommes religieux ne se montrent avec des femmes
en public. La religion et la vie tout court est une affaire d'hommes (ainsi
également avec l'Islam apparu six siècles après Jésus). Cette règle prévalait en ton temps, mon cher
Jésus, et toi tu ne te gênais pas pour l'enfreindre. Donc, ces femmes qui
circulaient librement autour de toi, en public comme en privé, c'était un gros
scandale. Mais c'était plus fort que toi. Les
femmes, pour toi, c'était du monde!
Luc parle d'un groupe
de femmes qui te suivaient partout.
L'une d'elles provenait de la très peu recommandable cour d'Hérode, tandis que
d'une autre tu avais chassé rien de moins que sept démons!... (Luc 8, 1-3). Tu provoquais. Tu faisais
exprès pour t'attirer les foudres des gens décents. En réalité, que n'aurais-tu
pas fait pour que les femmes, qui, après tant de siècles d'opprobre, soutiennent leur grosse moitié du ciel aux
côtés de l'homme, retrouvent leur place royale sous le soleil? Que serait le
monde sans les femmes? Pourtant la religion des Dinosaures a réussi jusqu'à
maintenant ce cruel tour de force de les garder à l'écart comme si elles
étaient des bêtes à péchés tout juste bonnes à procréer (des mâles autant que
possible...) ou à servir de secrétaires, de sacristines, de cuisinières ou de
blanchisseuses...
Rencontre avec la femme affligée de pertes de
sang
(Marc
5, 25-34)
Parlons de cette
femme qui depuis des années était saignée à blanc par la maladie, par les
médecins aussi, et par les normes religieuses. Selon les directives sanitaires
de l'époque (qui étaient aussi des directives religieuses très strictes), la perte
de sang était considérée comme l'impureté suprême. La personne qui en souffrait
pouvait transmettre l'impureté aux autres. Comme une pestiférée donc, cette
femme devait se tenir constamment à
l'écart et s'abstenir absolument de toucher à d'autres personnes. Elle était un
danger public. Mais, un bon jour, cette femme t'aperçut, toi, Jésus, au milieu d'une grande
foule. Son cœur bondit. Elle se dit: «C'est la chance de ma vie! Je vais me
faufiler vers lui. Je ne toucherai personne. Lui-même, je ne le toucherai pas.
Je veux seulement effleurer le rebord de
son vêtement». Puis, tremblant comme une
feuille, et sans pouvoir éviter de bousculer tout le monde sur son passage,
elle fit péniblement son chemin vers toi et réussit à atteindre le bout de ta
tunique. Salope! Crime contre l'humanité!
Oui, un sacré crime
qui valut à cette brave et merveilleuse femme la guérison tant désirée. Magie?
Non. Cette femme a osé franchir la ligne qui faisait d'elle une paria.
Pour sortir de sa prison et retrouver sa place sous le ciel, elle t'a tout
simplement imité. Elle a osé aller plus loin. C'est cela qui l'a guérie.
Et voilà à quoi tu
sers, magnifique Jésus, toi l'homme qui franchis les lignes rouges du sacré
irrationnel, sautes par-dessus les murailles de la peur, des tabous et même les
lois les plus saintes, toi qui repousses les frontières de tous les tombeaux,
et qui appelles tout le monde à te
suivre. «Vous n'avez pas pêché un seul méné pendant toute la nuit? Tant pis!
Poussez la barque plus loin et lancez les filets. S'il n'y a rien à droite,
essayez à gauche!» (Luc 5, 4-7; Jean 21,
5-6)
La présente scène de
cette fille d'Abraham qui souffrait de pertes de sang est une petite capsule
qui résume bien la lutte acharnée que mènent les femmes audacieuses de notre
temps pour gravir les milliards de marches qui les séparent du soleil. Pour le grand
bonheur de toute l'humanité, elles y réussissent assez bien.
Rencontre
avec la petite fille de Jaïre
(Marc
5, 21-24.35-42)
Une
affaire de sang encore, et donc d'impureté religieuse! La petite, autant que
son paternel, était traumatisée par ses premières règles. Elle était vraiment bloquée.
Elle était "paralysée". Par
qui? Par nul autre que Jaïre lui-même. Ce bon papa, comme bien des hommes, ne
comprenait rien à cette chose et, en plus, il avait une peur bleue du sang. Pour
lui, à coup sûr, sa fille allait mourir! En cherchant de l'aide, il tomba sur
toi, Jésus, qui, comme par hasard, venais justement sur son chemin. Sans bruit,
tu dénouas les peurs qui étouffaient ce père et sa petite fille. Tu t'es montré,
une fois de plus, comme celui qui apaise, débloque, ose et fait grandir. "Talitha
koum!"
Tu
es l'opposé de tous ceux-là qui, aveuglés par leurs peurs, empêchent la vie
nouvelle de germer. L'inconnu a beau
faire brusquement irruption dans la vie, toi, tu ne serres pas les poings. Tu
en acceptes avec courage les défis et les bouleversements comme tout père
devrait le faire en voyant devant lui le
corps de son enfant de douze ans qui, de poupée, se transforme tout à coup en une femme
capable d'accueillir et de donner la vie.
Rencontres avec ta mère
Elle avait beau être
ta mère, elle était coincée. La famille, la parenté, les cousins, faisaient pression sur elle pour que tu
rentres dans le rang. Ils voulaient seulement
te faire comprendre que tes activités
qui causaient tant d'urticaire au pouvoir religieux, non seulement
allaient se retourner contre toi, mais risquaient
d'attirer la colère contre tout le
clan familial.
Or, selon la
fabuleuse mise en scène des noces de Cana, ta mère apparut, soudain, comme un
symbole géant. Elle-même prit
l'initiative pour que tu te manifestes publiquement comme celui qu'on attendait
depuis toujours. Elle-même te poussa à t'attaquer à l'eau purificatrice des 613
prescriptions commandées par la Bible, et à la remplacer carrément
par des tonnes de vin de toute première qualité. Car pour elle, autant
que pour toi, l'Évangile devait être autre chose qu'un amas de lois et un
rapiéçage de vieilles outres (Marc 2, 22).
D'aucune façon l'Évangile ne devait être une simple mise à jour de la Loi
(toute sainte ou sacrée qu'elle fût). De
la voie que tu allais ouvrir devait émaner, au contraire, un air de neuf
et un parfum de noces. Ton Évangile devait être la vie en abondance, la justice
et l'amour sans limites, et la liberté sans fin. Il devait être la joie à
profusion, le grand souffle, le vent puissant. Il devait être, ni plus ni
moins, le feu même de l'Esprit de CELUI QUI EST. (Jean 4, 46-54 et Actes 1, 13-14
et 2, 1-14. 22-24).
Rencontre avec la Madeleine
On
a cru qu’elle était une ancienne prostituée. En fait, elle a probablement été une courtisane de haute
classe, (genre geisha chez les Japonais); elle aurait honoré sa profession
pendant un bon moment avant de prendre sa retraite. Bref, peu importe son
passé, cette femme te montra plus d'amour que
quiconque (Luc 7, 36-50).
Dernière aux yeux des Dinosaures si "purs", elle fut première dans
ton cœur. Avec ta mère au pied de la croix, elle connut un abîme de souffrance.
Mais elle fut la première à "voir" ta résurrection (car cette
expérience ne peut être faite que par ceux et celles qui savent aimer
intensément). Et elle fut la première à la dire au monde (Jean 20, 11-18). Plutôt que de Pierre, le Chef, plutôt que de Jean, ton disciple favori,
plutôt que de ta mère très sainte, tu as fait de la Madeleine la porte-parole
de la Résurrection, cœur et essence même de ta Bonne Nouvelle. Ça en dit long
sur la place qu'occupaient les femmes
dans la communauté de tes compagnons et compagnes de route.
Les Dinosaures, cependant, qui n'ont pas tardé à se pointer dans la dite
communauté, se sont empressés de
remettre les choses à leur place en commençant, comme on sait, par museler les
femmes, leur faire porter le voile, le chapeau ou la mantille, et les renvoyer
dans l'ombre sous le plumage de leur mari. Et cela, jusqu'à ce jour (avec
quelques adoucissements quand même)...
Rencontre avec la femme adultère
Cette femme avait
péché, oui. Mais elle seule portait le poids de la faute pourtant commise à
deux. Son partenaire, ô surprise, s'était perdu dans la nature. C'est elle qui allait être
punie à mort sous un tsunami de pierres. Ainsi l'ordonnait la loi sacrée du
grand Moïse, (la "charia" des
Juifs). Les Dinosaures, les plus vieux et les plus vicieux, étaient les plus
enragés. Ils empoignaient déjà les plus grosses roches pour les lui lancer,
quand l'un d'eux les stoppa. Il venait de t'apercevoir dans les parages. Il
t'accosta et, la bave à la bouche, il te posa une colle pour te mettre dans le
pétrin. «Selon ton prêchi prêcha, on devrait pardonner à cette traînée, mais la
loi de Moïse nous commande de la tuer. Alors, à qui obéit-on: à toi ou à
Moïse?»... Toi, tu es resté silencieux et tu t'amusas à tracer des dessins dans
le sable. Tu ne levas même pas les yeux. Quand tu ouvris la bouche, ce fut pour
dire: «Que celui qui n'a pas péché, lui lance la première pierre!» S'ensuivit un silence de mort. Puis peu à peu
les Dinosaures se retirèrent la queue entre les fesses, en commençant par les
plus vieux...
Heureusement, cher
Jésus, que tu es apparu dans le décor, sinon, en vertu de la Loi de Moïse, en
raison de la religion, de la piété, de la morale et de cette tendance qu'ont
les juges, les prêtres et les mâles à
jeter la faute sur les femmes et à protéger le "sexe fort", cette
femme aurait été mise en charpie sous un tsunami de roches. (Jean 8, 1-11).
Ta phrase assassine :
«Que celui qui n'a pas péché, lui lance
la première pierre!» devrait être inscrite en lettre d'or sur le fronton de
tous les confessionnaux et de tous les tribunaux du monde. Et tant pis pour les
Dinosaures!
Rencontre avec la
femme courbée
La femme ne pouvait
pas se tenir droite. Depuis dix-huit ans, depuis dix-huit siècles, depuis
des millénaires, elle vivait pliée en deux, emprisonnée, ligotée.
C’était l’œuvre du
diable, disait-on. Car les femmes avaient des accointances avec le diable,
paraît-il. C’était chose connue. Elles usaient du diable pour faire des
affaires bizarres. Des guérisons, par exemple. Avoir des bébés. Voir des
choses…
D’abord on a habillé
les femmes des pieds à la tête, on les a enfermées, on les a cloîtrées et on en
a lapidé beaucoup parce qu’on croyait qu’elles étaient toutes plus ou moins
putains. On les rendait responsables des vices et des péchés des hommes. Si un
homme violait, étranglait, massacrait, tuait, on disait : «cherchez
la femme ».
Ensuite on les a
brûlées vives. Si un malheur s’abattait sur le village, c’était la faute
de la sorcière. On lançait alors la chasse aux sorcières. On finissait toujours
par en trouver une. Y avait-il une femme qui se montrait trop entichée
des chats, cueillait des champignons étranges dans les bois, allait
beaucoup à la messe ou n’y allait pas du tout? Avait-elle les yeux rouges? À
force de concocter ses remèdes au-dessus de la flamme de l’âtre, difficile
qu'il en fût autrement, mais on ne pensait pas si loin… Avait-elle une verrue
ou quelque tache bizarre sur le corps? Rien de plus clair, c’était une
sorcière! On la brûlait vive sur la place du marché. Mort le chien, finie
la rage… Plus de grêle, plus de grippe, plus d’incendies, plus de maux de dents
au village. Pour un moment du moins. Tout le monde était content.
Depuis dix-huit
siècles, depuis des millénaires, on soumettait les femmes à des tâches
répugnantes et à des travaux très durs. Et même à la mutilation, comme il
arrive encore dans certaines cultures. Ou au viol, à l’esclavage
sexuel et aux crimes d’honneur, comme il arrive tous les jours. Des
centaines de millions de femmes ont été empêchées de naître, ou ont été tuées à
leur naissance, pour la seule « erreur » de ne pas être
mâles. Car être femme, pour bien du monde, c’est encore une tare, un
accident de la nature, au mieux : un mal nécessaire.
Elles avaient le droit
d’être servantes, jouets, poupées ou trophées de l’homme. Elles avaient le
devoir de faire jouir le mâle et de lui donner des descendants, mais il ne
fallait pas qu’elles-mêmes jouissent. Les mâles les aimaient, sans doute,
mais dans ces conditions.
Elles pouvaient broder
et jouer du piano, mais les grandes études leur étaient interdites; elles ne
pouvaient pas faire de chèques ni signer de contrats, ni voter. Pour entrer
dans une église elles devaient être enveloppées de milliers de jupons.
Puisque tel était le
sort des femmes, il n’est pas étonnant qu’au sortir du lit, le bon Juif
orthodoxe fasse encore chaque matin cette prière: « Je te remercie,
Seigneur, de ne pas m’avoir fait femme ! »
Dans nos sociétés
moins traditionnelles, les choses ont changé. Par des combats épiques, qu’elles
ont menés toutes seules, sans armes et sans verser une goutte de sang, les
femmes ont réussi à conquérir la reconnaissance de leur dignité et de leurs
droits essentiels. Mais elles n’ont pas fini. Beaucoup de chemin reste à
parcourir pour que partout sur la planète toutes les femmes soient
heureuses d’être femmes.
En Amérique latine, là
où se trouve la plus grande concentration de catholiques au monde, les églises
sont remplies de femmes. Sans elles, l’Église serait morte. Mais là,
comme dans d’autres pays, la haute hiérarchie catholique a décrété que
Dieu, en créant la femme, l’a irrémédiablement rendue incapable de
célébrer une pauvre petite messe. Cela serait inscrit pour l’éternité dans le
génome féminin… et dans la pensée de Dieu...
Cette haute hiérarchie
s’affaire actuellement à mobiliser toutes les forces de l’Église pour se lancer
dans une « Nouvelle évangélisation » à échelle mondiale. N’en
déplaise à ces vénérables barbes, il me fait plaisir de présenter ici sur le
sujet une Bonne Nouvelle de Jésus qui
devrait être inscrite pour l’éternité dans le génome même de
l’Église :
Une femme était là. Elle ne
demandait rien. Depuis dix-huit ans, elle vivait pliée en deux, enfermée
sur elle-même, ligotée. Elle était « tellement courbée qu’elle ne
pouvait absolument pas se redresser ». Jésus la vit et en fut touché
jusqu’aux tripes. Il étendit sur elle sa main fraternelle et lui
dit : « Femme, tu es libérée! » À ces mots, la femme
s’est dressée droite comme un arbre (Luc 13, 10-17).
La haute hiérarchie s’en prit
immédiatement à Jésus pour avoir osé faire pareille chose, le jour
sacré du sabbat. Cela était défendu en vertu d’une loi immémoriale.
Les enragés du sacré,
gardiens de l’ « immuable », bref, les Dinosaures, sont tous pareils :
pour eux une femme vaut moins qu’une ânesse ou une vache (voir le texte,
verset 16), et tout ce qui échappe à leur contrôle vient du diable.
Ironiquement, c’est
parce qu’elle s’attache mordicus à des lois, à des croyances et à des pratiques
« immuables » que notre pauvre Église (qui, par ailleurs, a fait de
grandes choses dans son histoire, il ne faut pas l'oublier) s’est transformée
elle-même en une vieille femme toute courbée... Souhaitons qu’en réactualisant
la Bonne nouvelle d’un Jésus qui redresse la femme courbée, elle trouve le goût
de se relever à son tour, droite comme un arbre. Et qu’au nom de Jésus,
elle fasse en sorte que, dans toutes les églises et partout sur la Terre, les
femmes marchent la tête haute. Et qu’elles puissent même célébrer la messe (au
centre de l'église et non derrière les rideaux d'un coin obscur de la
sacristie,) sans crainte de choquer la Divinité et de mettre toute la planète à
l'envers. …
Comment
offenseraient-elles ce Dieu génial qui a eu la bonne idée de créer « à
son image et à sa ressemblance » (Genèse, 1, 26-27) autant les
femmes que les hommes, elles qui ont mis au monde un homme comme Jésus?...
Rencontres à la table des notables
Entre-temps on te
voit souvent à la table de notables qui t'invitent à leurs banquets. Chaque
fois que tu réponds à cette invitation, tu cours le risque de passer
pour un glouton et un ivrogne, ami des riches. Cette étiquette, d'ailleurs, on
te l'a bel et bien collée au front plus d'une fois (Matthieu 11,19) .
Ces notables
cherchent sûrement à gagner ta sympathie, ou à te tendre des pièges. Toi,
cependant, tu profites de l'occasion pour mieux taper sur le même clou: parler
de la société que Dieu veut pour que les humains vivent et croissent comme des
humains. À cette société, tu lui donnes le nom de "Royaume". Et tu
lui donnes aussi le visage d'un immense banquet offert à tous les humains,
sans distinction aucune, où, tous les jours,
chacun peut manger à sa faim et être heureux de pouvoir partager la même
table avec le monde entier. Ce grand festin de l'égalité, de la justice, et
de l'amitié est la figure même du monde
nouveau pour lequel tu es prêt à donner ta vie.
Le partage dans la
justice et dans l'amitié est le grand miracle, en fait, c'est le seul vrai
miracle qui remet le monde sur ses pattes, le seul qui le sort de son état
sauvage, le seul qui le sort de la mort. C'est le seul vrai miracle qui le
libère, le réconcilie, le civilise, l'humanise, le guérit, le fait grandir et
le sauve. Ne cherchons pas d'autres recettes.
Quand on raconte que
tu changeais l'eau en vin, que tu marchais sur les eaux, que de cinq petits
pains et deux poissons tu nourrissais une foule de 5000 hommes ("sans
compter les femmes (!!!) et les enfants", Matthieu 14, 21), et que de cette profusion il en restait encore
des paniers pleins, c'est de ce miracle qu'on voulait parler.
Seul le miracle du
partage dans la justice et la fraternité nous fait réaliser l'impossible. Lui seul
renverse les montagnes d'iniquités qui nous séparent et nous écrasent. Lui seul
nous empêche de nous faire avaler par
les eaux de la mort. Lui seul nous les fait franchir. Lui seul nous libère de l'esclavage et nous apporte la
joie et la liberté.
Mais ça, c'est bloqué
systématiquement par les Dinosaures, par ceux et celles qui ont accaparé les terres, les ressources, les
richesses de tout le monde pour en faire leur propriété privée à eux, en
laissant les autres tout nus, une main devant et l'autre derrière.
Non, tu n'es pas
contre la propriété privée. Ce que tu
souhaites, c'est que chaque humain ait sa propre propriété privée,
sa propre part de la propriété commune, sa propre part de la richesse de la
Terre, de manière à ce que tous et toutes puissent vivre dans la dignité, la
liberté, la justice et la paix. (Actes 2,
44-47. 4, 32-35)
Les premiers
chrétiens ont tenté cette aventure du partage des biens selon les besoins de
chacun, mais ça n'a pas duré, car les persécutions sont arrivées, la communauté
s'est dispersée et le beau rêve est plus ou moins tombé à l'eau. Quelques
siècles plus tard, cependant, cette
tentative très louable a quand même rebondi. Elle a été la source d'inspiration des communautés de
moines qui poussèrent comme des forêts, surtout en Europe, et furent en grande
partie à l'origine du développement de l'Occident. Elle inspira des milliers d'ordres
religieux d'hommes et de femmes qui, au
cours de l'histoire, se sont dévoués corps et âme au service des autres, pour l'éducation,
la santé, la libération des captifs, le développement des arts, de la science,
et l'avancement de la culture et surtout, (avec des méthodes pas toujours des
plus pointues), à l'intégration des peuples, des tribus et des ethnies qui se
livraient constamment la guerre. L'Utopie ne se réalisera jamais, mais elle est
là pour inspirer, orienter, montrer le chemin.
Partager la même
table, ça crée des liens et ça nous permet d'approfondir cette orientation, cet
idéal, cet appel .... D'où le repas comme emblème, comme signe de
ralliement, comme signe identitaire du chrétien.
D'où la messe
qui
n'est pas un sacrifice pour les morts, mais est (et devrait être) un partage pour le chemin, un repas fraternel
pour grandir et aller de l'avant.
Le problème c'est
qu'avec le temps, le repas de la messe a été si ritualisé qu'il ne ressemble
plus à un repas. Le pain ne ressemble plus à du pain et le vin est si rationné
qu'on finit par l'oublier. Et tout est si préparé d'avance selon des règles
tellement strictes qu'il faut être devin pour y détecter un partage réel. Pas
d'ambiance de fête non plus, malgré les lumières, les ornements, les chants et
les fleurs. On n'est pas portés les uns vers les autres, on ne se parle pas, on s'exprime très peu, on ne rit
pas, on se tient sur ses gardes. La joie spontanée, les émotions, les contacts,
on les laisse à l'entrée pour les reprendre à la sortie, comme au cimetière...
Pourtant, toi, Jésus,
tu es venu changer l'eau des préceptes
en vin de liberté. Et le partage d'un repas fraternel, le premier jour de la
semaine (soit le dimanche), était la célébration du passage de la mort à la vie
avec toi, le Ressuscité. C'était la célébration dans l'amour et la joie du
salut déjà arrivé et en voie de se répandre dans le monde entier. (Luc 24, 1.13.30-32;1Jean 3,14)
Rencontre avec les
marchands du temple
(Jean
2, 13-22)
Contre les accaparateurs et, en particulier ceux qui se
graissent la patte et s'engraissent grâce à la religion, tu brandis le fouet et
les chasses à coups de pied. En plein
Temple, tu fonces de toutes tes forces contre la religion des sacrifices et du
"business". Est-ce assez
clair? Tu ne veux pas d'une religion qui
prétende honorer Dieu en égorgeant des animaux, pire encore, en exploitant des
humains comme des bêtes, ou en troquant les faveurs de Dieu contre de l'argent.
Dieu n'est pas à acheter ni à vendre. Aucun humain non plus! Tu frappes
"le Système" en plein cœur, tu plantes ta lance sans pitié dans "l'Œil du Dragon". Et, bien sûr, ce faisant, tu signes ton arrêt
de mort.
Au lieu de bénir les
armes comme elle en a eu l'habitude pendant longtemps, pourquoi l'Église n'a-t-elle pas fait de ce fouet un sacrement?...
Je comprends que le
pain, surtout s'il ne ressemble pas à du vrai pain, et le vin (à peine une
demi-goutte de vin) ont l'avantage de ne jamais déranger personne. Mais un
fouet, un bon petit fouet sur un coin de
la Table de la Rencontre de ceux et celles qui marchent à ta suite, ne serait pas de trop pour rappeler qu'elle
n'est pas bienvenue dans ta communauté la ratatouille qui, d'une main, arrose
la religion de ses sous, alors que, de l'autre,
elle affame les trois-quarts de l'humanité...
Le Banquet de noces ouvert à tout le monde,
soit, mais il ne doit pas pour autant servir de refuge aux voleurs et aux
assassins. Le grand signe de la Fraternité universelle, n'est quand même pas
celui de la stupidité.
«C'est
immoler le fils en présence de son père que d'offrir à Dieu un sacrifice avec
les biens ravis aux pauvres. Priver les pauvres de leur maigre pitance, c'est
commettre un meurtre. Priver le salarié de son dû, c'est le tuer.» (Ben Sira 34, 20-26; Jacques 5, 1-6).
Vivement un fouet
béni pour faire jinguer les affameurs des trois-quarts de l'humanité!...
Rencontre avec le possédé de Gerasa
(Luc 8,26-39)
Ce n’est pas
chrétien! Pour libérer un pauvre malheureux qui était plein de diables, tu as permis que 2000 cochons soient sacrifiés! Tu as mis l'économie au service de
l'être humain, et non l'inverse; ce qui
était super génial. Mais mettons-nous à
la place de ces propriétaires de cochons. Ils avaient beau être des Dinosaures, on comprend qu’ils ne l’aient pas
trouvée drôle. On aurait presque envie de prendre leur défense. On les
comprend. Mais qui, aujourd'hui,
comprend ces humains qui, par légions,
se réveillent chaque matin plus
pauvres que la veille, alors que pour les plus riches, c'est le contraire?
Est-il normal de continuer sans cesse à engraisser les plus gras pendant que
les plus maigres n'ont déjà plus que la peau sur les os?
Il est évident que
les éleveurs de porcs de Gerasa n'allaient pas se prendre en photo avec toi...
Tu as donc dû quitter les lieux sans tambour ni trompette, sinon, tu étais
cuit.
(Voir
en annexe: "Jésus, l'économie et les cochons").
Rencontre avec le paralytique délivré par le
pardon
(Marc
2, 1-12)
Voilà une autre scène
formidable, infiniment libératrice. Dans une société où le Pardon était
administré au compte-goutte, pratiquement une seule fois par année, par le
Grand-Prêtre en personne (comme qui dirait le Pape) et uniquement par lui, et au prix de milliers de sacrifices de
moutons et de taureaux, toi, un gars de rien, un gars ordinaire, toi qui
n'étais même pas prêtre ni un petit curé, même pas sacristain, toi, un non consacré, un non oint, toi, un
simple laïque, tu osas déclarer à un homme paralysé que ses péchés
étaient pardonnés. Tout le monde était médusé. Les Dinosaures étaient au bord
de l'infarctus. Ça ne se pouvait juste pas!
La paralysie de cet individu venait de quelque part! C'était sûrement
Dieu qui la lui avait envoyée en
punition d'énormes péchés qu'il avait dû commettre. Toi, tu prétendais
pardonner les péchés de cet homme? Pour qui te prenais-tu donc?
Mais quand le pauvre
homme entendit de ta bouche que ses péchés étaient pardonnés, quand il entendit
que ne pesait plus sur ses épaules le poids des péchés dont on le soupçonnait,
sa tête a tourné. Il a vu des oiseaux. Il a eu envie de vivre. On connaît la
suite. Il s'est mis à marcher.
Tu as voulu montrer
comment le pardon délie, le pardon débloque, le pardon libère, le pardon
guérit. Tu as voulu nous dire que le Fils de l'Homme, c'est-à-dire, l'être
humain, nous tous, les humains, nous avons en nous-mêmes ce même pouvoir (et le
devoir) de remettre en marche ce qui est paralysé. Pour cela nous n'avons pas besoin
de Grands-prêtres ou de petits prêtres, pas besoin de pénitences ni de sacrifices de moutons ou de taureaux. Le
pardon est à la portée de tous et de toutes et, s'il est sincère, s'il est
vrai, s'il vient du fond du cœur, il fait des choses étonnantes.
Les Dinosaures virent
de leurs yeux le paralytique se redresser, prendre son grabat et marcher tout
droit vers sa maison. Ils devinrent verts. Ils se dirent: "Ce Jésus est
vraiment possédé du démon. Sinon, d'où lui vient ce pouvoir?" (Matthieu 10, 25). Sûrement pas de Dieu, car une chose est certaine:
Dieu n'accomplit par ses œuvres au moyen des laïques et des gens ordinaires!...
Rencontre avec l'homme à la main desséchée
(Marc
3, 1-6)
Tu peux faire des
guérisons n'importe quel jour de la semaine, sauf le samedi. Le samedi, jour
sacré du sabbat, c'est strictement
interdit. Enfreindre cette loi, la plus sacrée de la religion
juive, peut être puni de mort. Toi, tu
fais exprès pour guérir ce jour-là cet homme qui ne peut pas travailler, ne
peut pas nourrir sa famille, parce que sa main s'était desséchée, on ne sait
trop comment. Pourquoi cette provocation ? Simple. Tu as voulu montrer
clairement à ceux et celles qui en doutaient encore en quoi consiste la vraie
religion, non pas tant en s'abstenant de travailler, mais plutôt en donnant la
chance de travailler à ceux qui, étant
dans le besoin, en sont empêchés... Car il y a une religion qui tue,
celle où on traite un homme ou une femme moins bien que son âne ou son chien,
et une religion qui libère de toute forme d'esclavage.
Rencontre avec les petits enfants
(Marc 9, 33-37. 42; 10, 13-16)
Tu les aimes bien.
Ils s'amusent, ils ne se soucient de
rien, ils posent des questions sans arrêter. Veulent tout savoir. N'ont aucun
préjugé. Sont ouverts à tout le monde
sans regarder la couleur de la peau ni la condition sociale. Ils adorent les
contes, s'inventent des mondes avec rien...
Les éduquer, oui sans doute, car ils ne sont pas toujours des anges,
mais les éduquer sans tuer leur âme. Sans leur transmettre nos préjugés, nos
peurs, nos obsessions, nos névroses. Pour toi, ils sont les plus grands. Ils
sont nos maîtres. Ils sont le neuf, la nouveauté, l'avenir en herbe. Soyez
comme eux, nous dis-tu. Malheur à qui les corrompt en faisant d'eux des jouets,
des momies, des vieillards avant le temps... Ceux-là, il vaudrait mieux leur
accrocher une pierre énorme au cou et les tirer aux requins.
Rencontre avec les fleurs des champs
(Matthieu
6, 28-29)
Ce n'est pas un
détail innocent. Les fleurs sont une des grandes forces de la nature. Elles
sont à la racine de la fécondité de la Terre. Elles sont pour ainsi dire le
sexe de la végétation. Sans elles, sans leur infinie variété, sans leurs
milliards de séductions, les animaux et les humains n'existeraient pas.
Elles ne sont pas de
belles petites choses inutiles. Elles sont comme les atomes, comme chaque
goutte de sang, chaque goutte d'eau,
chaque larme, chaque sourire. Elles sont comme les grains de sable, les
chromosomes, les ovules, les étoiles, les bactéries, les quantas. Elles sont à
la base du Big Bang de la vie...
Même les acariens
participent de leur grandeur. Et les Dinosaures aussi. Ainsi que l'amour et la
paix, le silence, le sommeil, le repos. Ainsi que la beauté de toutes choses,
de toutes personnes et de toutes races... Elles sont le côté joyeux de la
Raison qui explore les nouveaux mondes et nous empêche de sombrer dans la
folie.
Rencontre dans le secret de ton cœur avec ton
Abba
(Luc
15, 11-32)
Ton Abba, tu le sens
proche, tu le vois en toi, tu le vis comme ton Père bien-aimé. Tu le
chéris. Qui peut prétendre une telle
familiarité avec Dieu sans avoir été consacré à lui comme le sont les prêtres
et les prophètes reconnus par le Temple?
Le Père de la
parabole dite de l'enfant prodigue, nous en apprend long sur le sujet. Cette parabole porte un grand coup à un autre
absolu de la société de ton époque, la famille patriarcale. Les pères, à ton
époque, avaient pratiquement un droit de vie et de mort sur leurs enfants.
L'obéissance au père était un devoir absolument sacré. C'était une question
d'honneur, une affaire de face, de
rang, de réputation, de race, de clan, de tradition; c'était une question qui
portait sur elle le sceau solennel de la religion. Obéir au père, c'était obéir
à Dieu. Toute la société était construite autour de ce principe. Toi donc, pour montrer que Dieu n'était pas
un père tyrannique comme il s'en voyait alors dans ta société comme dans toutes
les sociétés du temps, (et comme il s'en voit encore aujourd'hui), tu inventas cette histoire d'un fils au cœur
dur qui eut le front de demander à son père de lui donner sa part d'héritage. Le père la lui donna. Le fils empocha
l'argent, claqua la porte et s'enfuit
loin de la maison pour tout gaspiller dans une vie de débauche. Déshonoré, le
père avait perdu la face et était resté
seul avec son autre garçon, lequel, heureusement, était un modèle de fils. Mais
le pauvre père était quand même la risée
de tout le monde. Cette blessure n'allait jamais se cicatriser.
Les années passèrent.
Et, un bon jour, ce chenapan de fils qui s'était perdu dans un pays lointain, tomba dans la dèche. Il ne lui restait que la
peau et les os. Or, poussé uniquement par la faim - et aucunement par le remords - il eut l'audace de s'amener
de nouveau à la maison. Il était méconnaissable, décharné, sale, déguenillé. Son père aurait dû lancer ses chiens contre
lui, et même le tuer. Mais, au lieu de cela, le voyant venir de loin, il courut
à sa rencontre, pleura de joie, le dévora de baisers, l'accueillit comme s'il
avait été le meilleur des fils. Il lui fit une fête à tout casser.
L'autre fils ne le prit
pas, qui l'en blâmerait? Si son père était
devenu fou, lui, il allait garder la tête froide. Pas question de se
joindre à la fête. Pour lui, ce vaurien, cette loque humaine, n'était plus un
frère. Impossible de faire autrement. Le père en eut le cœur gros, mais comprit
la réaction de ce fils qu'il aimait bien aussi. Sans se détourner de lui, - les
Dinosaures sont aussi des créatures de Dieu - il retourna festoyer avec le guenilleux
revenu au pays.
Dans cette histoire,
ou plutôt cette parabole, mon cher Jésus, tu as vraiment fait sauter la
baraque. Passant par-dessus tout ce qu'on peut penser, croire ou dire de
raisonnable sur Dieu, toi, tu nous révélas la nature de son cœur. Pour toi, il
n'y avait pas et jamais il n'y aurait d'autre Dieu que ce Dieu qui, de tout
cœur, aime sans condition
même les plus endurcis et les plus ingrats ainsi que tous ceux-là qui abusent
de sa bonté.
Rien n'y fait, il aime
aussi les gens à la tête froide qui, au fond, sont tout de même des Dinosaures...
Ce Dieu, c'était ton
Abba. Tu l'aimais par-dessus tout. Il t'éblouissait. Il était l'amour de ta
vie. Tu aimais te retirer du monde agité pour le rencontrer au plus intime de
ton être. Il était la source de ta
liberté, le grand secret de tout ce que tu disais et de tout ce que tu faisais.
Or ce Dieu n'avait pas de barbe....
Une telle théologie
qui mettait définitivement au rancart le Dieu justicier de la bonne vieille
tradition, déstabilisait à un degré inimaginable les "gardiens de la
vérité" qui n'en finissaient plus de déchirer leurs vêtements. La patience
des Dinosaures n'était plus très loin
d’atteindre le bout de son rouleau.
Rencontre avec les gens de ton propre village
et avec la Mission
(Luc
4, 16-30)
Vous étiez dans la
synagogue du village. On te fit lire un texte du prophète Isaïe (un génie!) Le texte disait ceci (ici j'interprète la chose dans nos mots à
nous):: «Le Souffle de Dieu est sur moi. Il respire en moi. Il me pousse
à annoncer aux pauvres la bonne
nouvelle: tous ceux et celles que nos oppresseurs ont jetés en prison, vont
être libérés! Tous ceux et celles qui sont enfermés dans l'obscurité des
cachots vont enfin voir la lumière du jour et de la liberté! Tous ceux et
celles qui, à cause de leur pauvreté, sont tombés dans les griffes des usuriers
et qui, ne pouvant rembourser leurs dettes, se sont fait saisir tous leurs
biens et, très souvent, ont même dû vendre leur force de bras et leur liberté
pour que leurs créanciers les gardent en vie, eh bien, tout cela est fini! Leur
pardon, leur affranchissement, leur libération, autrement dit, leur "grâce" est arrivée! Ils
pourront recouvrer leur liberté, leurs droits et tous les biens qui leur ont
été confisqués! Pour tous et toutes, c'est L'ANNÉE
DE GRÂCE du Seigneur, notre Dieu!»
Tu refermas le livre. On n'entendit pas voler une mouche.
Tout le monde te regardait avec des yeux grands comme des piastres. Puis tu
ouvris la bouche et tu dis: "AUJOURD'
HUI S'ACCOMPLIT CE QUE VOS OREILLES VIENNENT D'ENTENDRE"... À ces mots,
les pauvres sautèrent au plafond et se mirent à danser de joie. Mais
aussitôt, les autres, les usuriers, les grands propriétaires, ceux qui
confisquaient terres et maisons aux insolvables, ceux-là se moquèrent de toi, t'insultèrent, te chahutèrent. Ils te
crièrent: "Pour qui te prends-tu?" Tu n'es qu'un minable charpentier
de village, un nul!" Ils te
sommèrent de faire un miracle dans leur village pour prouver devant tout le
monde que tes paroles ne venaient pas du diable. Tu leur répondis que ce
n'était pas dans son village, mais à Sarepta, en terre étrangère, qu'Élie avait
fait un grand miracle en faveur d'une veuve païenne qui mourait de faim;
et une autre fois, ce n'était pas un Juif du pays qu'il avait guéri de la
lèpre, mais Naaman, un fonctionnaire d'origine syrienne.
Ces paroles ne firent
que jeter de l'huile sur le feu. On sauta sur toi, on te traîna dehors pour te
tirer en bas d'une haute falaise... Comment as-tu pu t'échapper? Nul ne le
sait. Ce que l'on sait, c'est que tu as réussi à te faufiler comme une couleuvre
entre les pattes des Dinosaures. Aucun ne s'en est rendu compte.
Pas si forts, finalement,
les Dinosaures.
Mon cher Jésus, c'est
dans cette ambiance sulfureuse que s'est déroulé ton "envoi missionnaire
pour l'évangélisation des peuples". Mais les choses ont bien changé depuis
cette époque. Aujourd'hui, dans un nuage
d'encens, la sainte religion est venue arrondir les coins, mettre des bémols,
nuancer les choses, effacer carrément ce qui n'était pas rentable pour elle et
pour ceux qui, avec elles, se donnent la "mission" de maintenir
l'ordre dans le monde et l'équilibre
dans l'univers. Dans nos envois missionnaires, on ne parle pas de libération,
de remise de dettes, Dieu nous en garde! Il n'y a pas si longtemps, on baisait
encore les pieds des missionnaires, comme on baisait la patte des riches qui de
temps en temps faisaient de menus dons aux missions (on les honorait même comme des parrains, des parents
spirituels).
On allait en mission parce qu'on voulait que tout le
monde se convertisse à notre sainte religion, (une religion d'ailleurs soigneusement expurgée de toute référence à "l'Année
de Grâce" que l'on ignorait ou qu'on avait totalement déformée en la
travestissant en une occasion en or de collectionner des indulgences et
beaucoup d'argent...); une religion qu'on avait également exorcisée de toute
velléité de libération, cette chose estimée dangereuse que l'on identifiait volontiers
à la désobéissance des anges déchus. (v.g.
un certain Syllabus et un certain serment antimoderniste). Dinosaurisme
parfait!
Cela a changé,
évidemment, mais ces changements sont encore tout récents. Le fond et la
mentalité restent les mêmes: la "libération" est comme le mot en
'n'... ou à peu près.
Rencontre avec le sexe.
Pas de fanfare, pas
de pétarade, pas de maladie à ce sujet. C'était
probablement parce que tu voyais le sexe simplement comme une chose
normale. Il est vrai que le sujet était hyper tabou dans ton monde (comme il
l'a été pour nous pendant longtemps),
mais toi qui ne te laissais jamais embarrasser par les tabous, pourquoi te serais-tu gêné à propos des
pratiques sexuelles dans la société de ton époque? Il devait sûrement y en avoir pour tous les goûts, au moins dans
les cercles influencés par les autres cultures et les autres "cultes"... Il y avait là tout un
matériel extrêmement salé contre lequel tu aurais pu décocher quelques-unes de
tes flèches les plus affûtées... Mais non. On ne saura jamais pourquoi.
Le moins que l'on
puisse dire, c'est que tu n'étais pas obsédé par la question. Le sexe n'était
pas le centre de tes préoccupations. Cependant, il n'en fallut pas plus pour
que tu passes pour un païen, un impur, et même un ami des débauchés.
D'ailleurs, tu as été accusé de cela aussi... On t'a même traité de Belzébul,
comme on sait (Matthieu 10, 25).
Rencontre avec les Galiléens
Ils rêvaient d'un roi
qui prendrait la tête des troupes pour pourchasser les ennemis, restaurer
l'ordre et accroître la puissance de leur nation. Mais toi, ce dont tu rêvais
c'était d'un État dans lequel l'autorité, la politique, l'économie, la justice,
la liberté, la religion elle-même seraient au service de l'humain, et non
l'inverse. Un État où tout serait centré
sur le bien de la personne humaine. À ce projet, tu lui donnais le nom de
"Royaume de Dieu". Tu l'établissais sur un principe sacré selon
lequel "le sabbat est fait pour l'être humain et non l'être humain pour le
sabbat" (Marc 2, 27). Le Leader
(ou le roi), la Loi suprême,
l'administration, la religion de ce Royaume, l'évangile lui-même et toute la
communauté des disciples (l'église) seraient au service de l'humain et jamais
l'inverse.
C'est d'ailleurs pour
cela que l'église a été inventée. C'est cette vision, ce souffle, cette façon
de faire qu'elle devait incarner dans le
monde. C'est en cela qu'elle devait être la lumière du monde, témoin de Jésus,
témoin de l'évangile. En cela qu'elle devait et doit être levain dans la pâte.
Elle devait être la preuve vivante que tout au monde doit se bâtir à partir de
l'humain et en fonction de l'humain, et aussi, ajouterions-nous
aujourd'hui, en lien très étroit avec la
Nature. Car la Nature est également un immense être vivant. L'humain n'en est
qu'une partie. La Nature n'est pas une chose, elle n'est pas un simple objet,
mais un ensemble d'êtres qui, comme les plantes et les animaux (et même les
pierres !), respirent et sont vivants tout autant que les humains
eux-mêmes. Enfin, tout cela afin de
rendre gloire à Dieu, lui qui aime tant le monde que Jésus, son témoin, ne peut
faire autrement que donner sa vie pour lui (Jean
3, 16-17).
Ta révolution, Jésus, c'était cela ! Si
les chrétiens d'aujourd'hui ne sont pas avec toi du côté des opprimés, tous les
vrais révolutionnaires qui ont à cœur le triomphe de l'humain sur la bêtise, auront
raison de juger le christianisme comme "l'opium du peuple". Ils
traiteront les chrétiens d'hypocrites, de fascistes et de gorilles, et ils leur
feront la guerre. Mais il faut admettre, par contre, que si un bon nombre de
chrétiens se montraient résolument du côté des opprimés, ce serait la super
surprise du millénaire que leurs propres dirigeants religieux leur apportent
leur appui ou prennent leur défense. De peur de perdre quelque chose de leur
pouvoir, ces braves grands-prêtres seraient les premiers à soupçonner leurs
chrétiens engagés d'être des naïfs, des illuminés, des idiots utiles plus ou
moins de connivence avec les sans-dieu et les gros méchants communistes. Ils
les ostraciseraient sûrement ou les
dénonceraient sans se faire de
scrupules. À moins de les faire éliminer
tout simplement par un subalterne rêvant d'un ceinturon rouge.
Quand on prend ton
évangile au sérieux, cher Jésus, on
court les mêmes risques que toi.
Rencontre avec la Joie
Au risque de passer
pour des jovialistes et des illuminés, il faut affirmer haut et fort que
l'Évangile, c'est de la joie de la tête aux pieds. Il y a des passages nuageux,
il y a des moments de grande noirceur, mais il y a surtout de la joie qui coule
à flot comme le meilleur vin aux noces de Cana.
Cette joie, c'est toi
au complet, cher Jésus. Tu n'as rien d'un esprit sombre, rien d'un esprit chagrin. Tu ne broies pas de
noir. Tu n'es pas grognon pour un sou.
Tu as tes sautes d'humeur, bien sûr, tes moments moins olé olé, tes moments de
peine et de tristesse, mais tu n'es pas que cela.
Dans Matthieu, ta
bonne nouvelle commence par un immense cri de joie qui jette par terre toute la
tristesse du monde. «HEUREUX! HEUREUX! HEUREUX!» est répété neuf fois de suite!
(Matthieu 5, 1-12). Ce mot résonne encore dans nos oreilles. Tu
veux le bonheur de tous les paumés de la Terre, tu veux la joie dans le monde entier. Tu es joie. Avec toi tout
débouche sur cette certitude incroyable que le règne de la mort, le règne des Dinosaures est terminé,
et que commence le règne d'une conscience nouvelle, le règne d'une réalité
complètement différente.
Oui, avec toi, on
marche vers la joie du Royaume. Vers cette joie
qu'on ressent quand tombe du ciel l'aubaine du siècle, par exemple, lorsque par pur hasard on découvre un trésor
énorme caché dans un champ, ou une perle
splendide mêlée à la camelote d'un souk des Mille et une nuits. (Matthieu
13, 44-45). Ou vers la joie d'une femme pauvre qui, ayant perdu une des
rares monnaies qui lui restaient, la retrouve après avoir mis la maison à
l'envers et l'avoir balayée de haut en
bas. Ou vers la joie du berger qui retrouve une brebis perdue, comme si cette
brebis maigrichonne et un peu écervelée avait
autant de valeur que les 99 brebis grasses laissées sans gardien pendant
la recherche. Ou vers la joie extrême du père qui retrouve son enfant perdu,
même et surtout si cet enfant au cœur dur
ne mérite plus de porter le nom de son père (Luc 15, 8-9. 4-6. 11-32). Ou vers la joie des ouvriers qui n'ont
travaillé qu'une heure et reçoivent le même salaire que ceux qui ont trimé tout
le jour (Matthieu 20, 1-16)...
"Que ma joie
soit en vous et que votre joie soit parfaite!" (Jean 15, 11).
ARRACHEMENT
J'entends monter des
voix de protestation.
On pourrait me reprocher de faire de la voie de Jésus un
bar ouvert où tout le monde peut entrer sans s'essuyer les pieds et où chacun
se fait servir sans payer. On me rappelle que le Jésus de l'évangile a quand
même dit: "Si tu ne renonces pas à toi-même, si tu ne prends pas ta croix
pour me suivre, tu ne peux pas marcher avec moi" (Luc 14, 26-27). On s'étonne aussi que je ne parle pas de la
"tenue de noces" obligatoire pour prendre part au banquet auquel
"beaucoup sont appelés, mais peu se qualifient" pour y être acceptés (Matthieu 22, 11-14). On me dit que mon
langage n'est pas celui de Jésus.
Ce à quoi je réponds:
- "D'accord. Chez Matthieu, l'accès au banquet du Royaume
est apparemment plus restrictif que chez Luc. (Car Matthieu est Juif et conserve encore des réflexes légalistes de sa
communauté traditionnelle. Chez Luc, qui est Grec et n'a donc pas les mêmes
scrupules que Matthieu, sa vision du Royaume
est sans réserve: «Va t'en par les chemins et le long des clôtures, et fais
entrer les gens de force, afin que ma maison se remplisse!» (Luc 14, 21-23). Moi qui suis plus grec
et plus païen que Juif, j'adopte avec reconnaissance la vision de Luc.
Quant au renoncement
requis pour suivre Jésus, je ne crois pas avoir baissé la barre. J'ai parlé
beaucoup "d'arrachement".
J'ai insisté pour que nous nous arrachions à nos vieilles pratiques, à
nos routines, à nos tabous, à nos préjugés, à nos peurs; que nous nous
arrachions à nos inerties, à nos zones de confort, à nos voies tracées
d'avance, à nos certitudes, à nos dogmes; que nous renoncions aux images
mielleuses ou de grand seigneur que nous nous sommes fabriquées de Jésus; que
nous renoncions à nos béquilles, à nos déguisements, aux croyances
incrustées dans nos gènes, à toutes ces choses que souvent nous avons
sacralisées par le biais de la religion; que nous nous arrachions à nos
enclos sacrés et que, de là, nous fassions le saut dans le vide, vers le neuf.
Pour moi,
"renoncer à tout et prendre sa croix pour suivre Jésus", c'est
justement cela. Se dépouiller pour
"revêtir le Christ", comme dirait l'apôtre Paul (Éphésiens 4, 22-24),
"emprunter la voie étroite" dont parle Jésus lui-même (Matthieu 7, 13), c'est cela. Voie qui
n'est quand même pas toujours étroite, car à peine dure-t-elle le temps de
rompre les amarres et de faire le saut. Aussitôt la muraille franchie, elle
débouche sur une chaussée large à
l'extrême. Là, en lien "étroit" avec lui, on apprend à marcher
joyeusement dans "la glorieuse
liberté des enfants de Dieu" (Romains
8, 21).
Et les Dinosaures?
Les Dinosaures, tu les as endurés tant que tu as pu. À la
fin, quand ils t'ont crucifié, tu as prié ton Abba de les pardonner. Tu as
plaidé en leur faveur, mais sans leur
donner raison ( DÉTAIL TRÈS IMPORTANT).
Tu as fait valoir
qu'ils ne devaient pas être jugés coupables. Pourquoi?
"Parce qu'ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient" (Luc, 23, 33-34). Autrement dit, parce
qu'ils étaient des inconscients (ce qui n'est pas exactement un compliment...).
Pour cette raison, tu demandas à ton
Abba de ne pas les condamner. Tu le prias de leur faire miséricorde...
Avec toi, il en est ainsi: avant tout: la justice et la
vérité, mais le dernier mot appartient à la miséricorde.
Ce qu'il adviendra
des Dinosaures après leur mort est un secret que Jésus partage seulement avec
des amis très proches. Ce secret, je l'ai découvert quelque part, en 1959, dans
un vieux livre jauni dont le titre était : "Révélations
de N.S. Jésus-Christ à sainte Gertrude le la Passion" (imaginez!). Il lui aurait chuchoté à l'oreille:
«Ma
fille, ni de Salomon, ni de Judas je te dirai ce que j'ai fait,
pour qu'on n'abuse pas de ma
miséricorde»...
Vous l'avez bien
deviné. Cette parole a de grosses chances d'être authentique et de très bien
s'appliquer à nos Dinosaures... Tant mieux, alors! Au fond, nos Dinosaures le méritent. Car, même si nous n'avons aucune raison de
les aimer, je me demande ce qu'on aurait pu connaître de Jésus s'ils n'avaient
pas toujours été dans ses jambes... Enlevons les Dinosaures des évangiles, et les évangiles tombent en miettes. Enlevons
les prédateurs de la planète et ce sera la fin du monde. On n'a pas le choix...
C'est pour cette
raison, sans doute, que François d'Assise a fait un pacte avec le loup de
Gubio, un méchant loup.
Mort et Résurrection
Le grand Voile du temple
qui
marquait la séparation absolue entre Dieu et les humains, entre le sacré et le profane, entre le pur et
l'impur, entre l'esprit et la matière, entre
la religion et la vie quotidienne, entre
la Loi de Dieu et la loi de la Nature, entre l'Humain et le Divin, entre la
Mort et la Vie, ce Voile se déchira de haut en bas (Matthieu 27, 51). Ce voile
qui divisait et séparait... a été déchiré par les fouets, les épines,
les clous et le coup de lance porté en plein cœur du Crucifié.
On aurait dit, Jésus,
que ton visage, ton corps, ton histoire personnelle ou même ta parole réelle
s'effaçaient pour "dé-voiler" l'ultime réalité pouvant expliquer le
monde, le changer et le sauver. Alors,
ayant aimé les tiens, tu
les aimas "jusqu'au bout"
(Jean 13, 1). Tu te
rendis semblable aux humains en tout. Tu leur lavas les pieds (Jean 13, 2-16) et tu te fis leur
esclave jusqu'à la mort de la croix (Philippiens
2, 6-8). Tu t'es abîmé dans tout ce que nous sommes, y compris dans tout ce
qu'il y a le plus inhumain et de plus méprisable en nous. Tu t'es fait
malédiction, tu t'es fait péché (Galates
3, 13; 2 Corinthiens 5, 21). Tu t'es anéanti dans toutes nos horreurs
jusqu'à l'absurdité de la présente
guerre entre la Russie et l'Ukraine. Aujourd'hui, tu es à Marioupol,
tremblant de faim et de froid parmi les
vieillards, les femmes et les enfants enterrés vivants dans les caves humides
des usines d'Azovstal.
Ta croix d'hier,
d'aujourd'hui et de toujours, ce sont les chambres des tortures, les
chambres à gaz et les geôles de toutes les tyrannies de tous les temps. Ta
croix, ce sont les fameux pensionnats pour enfants autochtones, au Canada, aux
USA et ailleurs. Ta croix, c'est la faim dont souffre une grande partie de
l'humanité pendant que l'autre croule sous l'abondance et assassine la Terre
qui lui donne la vie. Quand le soleil s'éteint en plein midi sous l'épais
nuage de nos bombes, de nos crimes et de toutes nos folies, tu es là, cloué à
nous, poussant toujours le même cri de
mort qui perce le cœur de Dieu: "Éloï, Éloï, lama sabachtani",
"Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi, m'as-tu abandonné?" (Marc 15, 34).
Ce cri fut aussi
celui que poussèrent tes disciples, eux-mêmes morts de peur et ensevelis vivants dans leur refuge de
Jérusalem. Ils avaient tout perdu.
Il ne leur restait
plus rien, sauf l'amour dont tu les avais aimés. Gardé au fond de leur cœur, cet amour soudain
remonta avec force dans leur être et les ramena doucement à la lumière et à la
raison. Il les fit sortir de l'ombre. Il les "ressuscita".
Alors, leurs yeux
s'ouvrirent. Ils virent que
l'amour dont tu les avais aimés, non seulement leur redonnait la vie,
mais qu'il te ramenait à eux. Ils virent et comprirent que toute mort avait
disparu et que tu étais toujours vivant. Vivant, non plus en dehors, mais
au-dedans et au-delà d'eux-mêmes pour aller avec toi sur toutes les routes du
monde.
Ils comprirent que la
plus grande puissance de l'Univers est l'amour. Ils comprirent que l'amour
rassemble tout, l'amour ramène toutes choses à leur unité originelle, l'amour
ressuscite tout, l'amour recrée tout.
Ils comprirent que tout meurt et que seul l'amour
demeure.
Et ils comprirent que tout ce qui est amour vit en Dieu à
jamais, car Dieu est Amour (1 Jean 4,
16).
Serait-ce là, la "vérité" que Pilate cherchait?
(Jean 18, 38)
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ÉPILOGUE
Cher lectrice, cher
lecteur,
Ce Jésus que je viens
de "mettre à jour" à ma façon,
n'est peut-être pas tout à fait le Jésus que les témoins d'il y a 2000
ans sont censés avoir vu de leurs yeux. Je crois, tout de même, m'en être
"in-spiré", même si nous n'avons pas de portrait ni d'histoire sûre à
son sujet. Pour ma part, tout ce que je sais de lui, c'est qu'il est vivant.
Si ce Jésus te rejoint le moindrement, ne le laisse pas
échapper. Il ne te demande pas de l'imiter, car il ne commande rien à personne.
Il veut seulement s'enraciner suffisamment en toi pour "t'in-spirer"
à ton tour, c'est-à-dire pour "spirer" à l'intérieur de toi, te
donner du souffle, du tonus, de la vision, des ailes. Tout ce qu'il veut, c'est
que son esprit (son "spire") poursuive en toi et par toi l'œuvre
commencée par lui.
Trop souvent, dans
notre iconographie imaginaire, l'Esprit vient
d'en-haut, il vient de l'extérieur et semble, d'une certaine manière,
venir après Jésus et être indépendant de lui. Pourtant, même si Jésus a une
idée très large de l'Esprit, celui-là même qu'il nous donne est proprement
l'Esprit qui "demeure" en lui. Il s'agit de l'esprit qui l'habite
intimement, il s'agit de sa mentalité à lui, de sa façon d'être, de sa façon de
penser, de sa façon d'agir, de sa propre façon d'aimer. Ce qu'il nous transmet,
c'est son propre souffle (Jean 20, 19-22).
Pour employer un
terme plus près de nous, l'esprit de Jésus est sa propre "énergie".
Il est son âme, il est son souffle, il est sa vie. Rattaché à Jésus et
"insufflé" en nous, l'esprit rend Jésus vivant à l'intérieur de nous,
à partir de ce qu'il a été (ou de ce qu'à travers les siècles) on a cru qu'il a
réellement été.
En nous laissant
imprégner par le même esprit, Jésus sera en nous autre chose qu'un sujet de
thèses ou un thème de sermon. Sa présence sera réelle, affective et effective.
Ses émotions, sa créativité, sa liberté, sa sagesse, son audace, sa force, son
amour se communiqueront à nous. Dans notre terre intérieure ses racines
pousseront en profondeur.
Donc, si jamais ces
lignes que je viens de partager avec toi te font vibrer un tant soit peu, si
elles vont te "chercher" comme on dit dans notre langue courante,
lis-les et relis-les à ton rythme, soit
d'une traite, soit goutte à goutte. Laisse-les tourner dans ta tête,
mâchonne-les, débats-toi avec elles, laisse-les "spirer". Laisse-toi
"contaminer" par elles. Si bien qu’à la longue, le
"dinosaure" qui dort en toi, tout comme en moi, finira par fondre; il s'effacera doucement
comme un iceberg dans les eaux de l'Arctique qui se réchauffe...
Et voilà! En moins de
trois ans, Jésus, tu as bousculé notre
vie et tu as renversé notre mort pour que nous trouvions notre centre et que
s'établisse l'harmonie en nous, autour de nous, avec l'univers et avec Celui qui
est la Source et le Cœur de tout. Tu as cassé tous les moules et secoué tous
les cadavres. Toutes tes rencontres
ont été des défis à relever, des risques à courir, des interdits et souvent des impossibles à affronter. Tu
n'as cessé de surprendre.
Toutes choses qui
n'entraient pas dans les vues et les cadres d'une religion qui était sûre
d'elle-même et à peu près convaincue d'être plus ou moins l'incarnation même de
Dieu et de sa volonté sur terre, croyant dur comme fer que ses Écritures, ses
dogmes, ses codes moraux, ses rituels, ses structures étaient immuables à
jamais, tu osas les remettre en question, tu les attaquas et les
bouleversas de fond en comble... Nous en sommes encore interloqués, mais toi,
avec patience, douceur et bonté tu nous préviens que nous n'avons encore
rien vu et que nous devons continuer à marcher. "En vérité, je vous le
dis, celui qui croit en moi fera lui aussi les œuvres que je fais; et il en
fera même de plus grandes" (Jean, 14, 12).
Et nous, nous sommes
les plus malheureux des humains parce que nous sommes dépassés et incapables de
te suivre. Notre barque prend eau de toutes parts et toi, tu dors. Si tu te
réveilles, c'est seulement pour t'entendre nous répéter: "Pourquoi avoir
peur, hommes et femmes de peu de foi? (Matthieu
8, 26) Moi, j'ai vaincu le monde (Jean
16, 33). J'ai survécu à la mort et «je fais toutes choses nouvelles» (Apocalypse 21, 3-5). "Allez, de
toutes les nations faites des disciples... Je suis avec vous tous les jours,
jusqu' à la fin du monde» (Matthieu 28,
19-20).
Une dernière question
À vous qui doutez
encore, à vous qui trouvez, peut-être, mon Jésus vraiment trop frondeur, trop
délinquant, trop militant, trop anticlérical, trop tiers-mondiste des années 70, pas assez
cool, pas assez liturgique, trop laïque, pas du tout canonique et trop kamikaze..., à vous qui estimez que
ce je dis de lui est vraiment exagéré, je vous pose cette question: si le Jésus
réel était plus posé, modéré et nuancé
que celui auquel je donne vie en ces pages, pourquoi donc, en moins de trois ans d'action publique, lui
qui a tant aimé et qui a été si aimé, a-t-il été livré comme un ennemi
extrêmement dangereux, et pourquoi
a-t-il été broyé sur une croix avec tant de rage, de cynisme et de cruauté, non
pas par des diables sortis de l'enfer, mais
par des hommes religieux qui, pourtant, ne cherchaient qu'à
faire leur devoir et obéir à la volonté de Dieu, le même Dieu que celui de
Jésus?...
Eloy
Roy
ANNEXE1 3 Notes
Note 1 - Le langage des évangiles
Le langage des
évangiles et de tous les anciens écrits chrétiens n'a rien à voir avec
l'objectivité savante telle que nous l'entendons de nos jours. Les auteurs de
ces écrits ne cherchaient nullement à faire un relevé détaillé de la vie de
Jésus. Ils voulaient seulement
transmettre quelque chose de l'énorme impact que Jésus avait eu sur leur
vie personnelle et sur celle d'un tas de gens de leur entourage. Tant et si bien que, malgré la fin
atroce qu'il subit sur la croix, il continuait plus que jamais à vivre en eux
et à faire des merveilles à travers eux.
Ce que les auteurs des évangiles désiraient partager par-dessus tout, c'était
la foi qui s'était enracinée en eux grâce à Jésus. Ils nous disaient la
reconnaissance, l'admiration, l'enthousiasme, les convictions et la joie que
Jésus avait fait surgir dans leur propre vie. Quand ils le faisaient marcher
sur les eaux, par exemple, ils ne voulaient pas dire que Jésus faisait du surf
sans avoir de planche sous les pieds. Ils voulaient dire que le fait de
connaître Jésus et de s'appuyer sur lui, leur avait permis de surmonter bien
souvent dans leur propre vie la peur, les
doutes, les malheurs et les menaces de mort. Autrement dit, dans des situations où ils croyaient que l'abîme
allait les avaler, leur confiance en Jésus leur avait donné des ailes et du
souffle pour les affronter avec lucidité et courage. Car, dans le langage
biblique, les "eaux de la mer"
réfèrent justement à l'échec, au malheur et à la mort. Si donc Jésus marche sur "les eaux" et ne
s'enfonce pas, cela veut dire qu'avec
lui, le mal et même la mort n'ont pas le dernier mot. Jamais. Ni pour lui, ni pour ceux et celles qui le
suivent.
Pour
aller plus loin, lire Marcher sur les
eaux, en suivant ce lien :.
http://todoelmundovaalcielofrancais.blogspot.com/2012/04/marcher-sur-les-eaux.html
Note 2 - Le problème du Mal
À moins de se perdre
dans des spéculations sans fin qui ne convainquent personne, on doit avouer que
toi non plus, cher Jésus, tu n'as pas résolu cette question. Ta résurrection
pourrait être une réponse très valable, mais ce n'est qu'une moitié de réponse, car elle se présente un peu tard, seulement
après la mort, une fois que le bout du tunnel est atteint et que tout est
fini... C'est appréciable, mais qu'en est-il du mal que l'on souffre avant
d'arriver au bout du tunnel?
(Ce
qui suit est une hypothèse de mon crû à prendre avec un grain de sel).
Depuis des
millénaires, engouffrés dans le tuyau d'étranglement de leur existence, des
milliards d'humains n'ont pas de vie. S'ils en ont une, elle se résume à se
faire écraser par les plus forts, à endurer ce sort, à se révolter inutilement,
à s'entre-tuer et à mourir... Comment un Dieu bon peut-il vouloir ou permettre
une telle horreur?
J'essaie de
comprendre. À la fin, peut-être que cette affaire ne dépend ni de toi, Jésus, ni
directement de Dieu, mais du faible degré d'évolution auquel, à ce jour, nous
sommes parvenus comme humanité. Dans l'immense tableau d'ensemble du
développement de l'univers, l'espèce humaine, en plus de microscopique, est
encore extrêmement jeune et fragile. Il est impossible d'imaginer ce qu'elle
sera dans quelques centaines de milliers d'années. La souffrance vient
peut-être du fait que nous sommes encore trop proches de notre naissance et à
peine au début de notre croissance. Naissance et croissance, comme nous savons,
sont des processus longs, violents et déchirants. Ce sont des traumatismes puissants qui n'en
finissent jamais de nous forger, de nous tailler, de nous affiner et de nous
mûrir... Tout est souffrance, on dirait, mais cette souffrance, est-ce vraiment
le Mal? Voilà la vraie question. Qu'en apprenant à marcher on trébuche, qu'on
se frappe la tête ou on se blesse, est-ce là une situation absolument injuste
et intolérable? Si oui, tous les apprentissages seraient le mal? Le mal serait
de ne pas être nés déjà tout faits?... Ce serait de ne pas pouvoir, dès la
naissance, esquiver le stade de l'œuf et du poulet et venir au monde
instantanément comme coqs fringants ou poules parfaites? Le mal, ce serait de
ne pas avoir tout cuit dans le bec? Le mal, ce serait de ne pas pouvoir
s'abandonner à la "béatitude de l'inertie"? Le mal, ce serait de se
laisser entraîner de force dans la danse effrénée de l'univers où tout est
mouvement inlassable, changement, bouleversement, transformation, évolution, de
même que vieillissement, régression, mort et... recommencement?... On sait bien
que non. Alors, le mal est dans notre tête. Il pourrait venir du simple
fait que soit planté très creux dans notre inconscience l'idée que la vie (et
donc le bonheur) serait quelque chose de statique, de fixe et d'immuable, alors
qu'il semble bien qu'elle soit, au contraire, une sorte de "galaxie"
en perpétuelle transformation qui ne cesse de tourner et de se déplacer en
volant vers l'infini.
Il est bon,
consolant, merveilleusement inspirant et encourageant de savoir qu'un jour
(dans 100 ou 500 mille ans?), grâce à nos descendants, c'est-à-dire grâce à des
humains de notre chair, nous dépasserons nos inerties et parviendrons à la plénitude à laquelle notre
être, dans toutes ses cellules et au plus profond de lui-même, ne cesse
d'aspirer. En ce sens, Jésus, ta propre
vie a été et continue d'être une source
constante d'inspiration. Toi, Jésus, tu as bien dit que celui ou celle qui
parvient à aimer jusqu'à donner sa vie pour que d'autres vivent, est comme une
semence jetée en terre. Si la semence ne se défait pas, si elle ne meurt pas
dans la terre, elle demeure stérile, mais si elle se défait, «si elle meurt,
elle porte beaucoup de fruit» (Jean 12,
24) ...
Dans cette image d'une
simplicité déconcertante, tu nous dévoiles la loi fondamentale de la vie. Tu
nous montres combien notre façon de voir "le mal" nous trompe. Il est là ton secret,
le secret de ta vie, de ta liberté et de ta fécondité. Ta vérité, elle
est là. En te regardant, en découvrant
ce qui t'anime du dedans à travers ce que tu fais au dehors, nous apprenons, en
effet, que la vie consiste à se
déconstruire, c'est-à-dire à s'ouvrir constamment pour que l'énergie qui se
concentre à l'intérieur de nous se déploie et se transmette. En te suivant du cœur et des yeux, nous percevons que ce que nous considérons bien
souvent comme mal, serait, en réalité, une force de la nature qui broie nos
inerties, brise nos carapaces, ouvre nos cages, arrache nos œillères, casse nos
chaînes, et nous expulse de nos tombeaux. Ce que nous appelons le mal serait
donc, le plus souvent, une simple loi de la nature qui fait mal: naître,
grandir, mûrir et mourir fait toujours mal, mais c'est nécessaire et pas
mauvais du tout. C'est même bon. "Et
Dieu vit que tout cela était bon" (Genèse 1, 25).
Je
répète. Ceci n'était qu'une modeste hypothèse pour tenter d'expliquer
l'inexplicable.
Note 3 - La religion
La religion n'est pas
mauvaise, loin de là! Depuis l'époque des cavernes jusqu'à nos jours, elle a
été la matrice et la colonne vertébrale de toutes les cultures, de toutes les
nations et de toutes les civilisations. En occident, comme partout ailleurs,
nous sommes passés de la barbarie à la civilisation en très grande partie,
grâce à la religion
C'est à cause de la
religion, entre autres, qu'à un certain moment de leur histoire des hommes et
des femmes ont rêvé d'un nouveau monde, ont quitté leur patrie et ont bravé les
furies de la mer dans des coquilles de noix pour se transplanter
en terres inconnues afin d'y
fonder la Nouvelle-France, berceau du Canada, ou les États-Unis, le soi-disant
"paradis" dont rêve la moitié de la planète... Mais si, chez les
Anglais, les Français, les Hollandais, les Portugais, les Espagnols, et dans
bien d'autres nations, la religion a souvent été la bougie d'allumage qui les a
fait sortir de leur pays pour aller bâtir dans de nouveaux territoires un monde
proche du Royaume des Cieux, elle leur aura servi le plus souvent de prétexte
et de justification pour conquérir un
très grand nombre de peuples, les piller, les endoctriner, les soumettre à un
esclavage plus ou moins déguisé, et en massacrer sans pitié ceux qui osaient
leur résister.
Au cours des siècles,
des légions de moines, de moniales, de prêtres, de religieuses, de personnes
laïques et de missionnaires ont déferlé sur le monde et l'ont rempli de
dévouement, de dépassement de soi, de sacrifices héroïques en faveur des
pauvres, des étrangers, des captifs, des esclaves; en faveur des petits, des
opprimés, des malades, des pestiférés, des abandonnés et des rejetés de la
Terre. Cette gloire, personne ne la leur enlèvera. En vérité, elle est
incommensurable.
Ceci étant réaffirmé,
admiré et célébré, il faut reconnaître aussi que cette religion, qui a produit
de si beaux fruits, n'a pas moins, au cours des siècles, été profondément
entachée d'abus d'autorité, de guerres de pouvoir, de fanatisme, d'intolérance
à outrance et de cruelle inhumanité.
Les Croisades, avec
le Pape en tête, en sont un bel exemple,
elles qui, au-delà des bonnes intentions (qui ne manquaient pas), se sont
transformées en véritables boucheries et creusé un abîme jusqu'à maintenant
infranchissable entre l'Occident catholique,
les musulmans et les chrétiens orthodoxes.
De tous les abus de
pouvoir, le plus pernicieux, le plus terrifiant et le plus efficace, a été
l'infâme Inquisition qui, à partir de 1230,
s'étira sur une période de près
de 600 ans dans différentes régions.
Elle fut l'instrument le plus perfectionné mis au point par la
hiérarchie catholique pour éliminer en son sein toute critique et toute
dissidence. Elle s'assura le contrôle des esprits, s'imposa comme autorité absolue
dans tous les domaines de la vie politique et sociale, instaura partout un
véritable totalitarisme religieux. Ses méthodes, ses techniques, ses tortures,
ses bûchers, n'avaient rien à envier à
ce qu'on apprendra plus tard sur les geôles de Staline, d'Hitler, de Mao, de
Pol Pot, ou sur les cachots des dictatures de l'Amérique latine et d'ailleurs,
et sur des prisons américaines disséminées à travers le monde, comme
Guantánamo, Abou Ghraib et beaucoup d'autres.
J'entends déjà les
dinosaures hurler: «Il ne faut pas juger le passé avec les yeux
d'aujourd'hui!» Cette ritournelle, qui
est sûrement juste à bien des égards, est une arme à deux tranchants qui a déjà
trop tristement servi pour couvrir les manipulations de l'histoire. On l'a
utilisée (et on l'utilise encore) ad
nauseam pour ne montrer de nous qu'une face de champions mondiaux de la vertu alors que dans
les catacombes de nos mémoires grouillent les ombres encore vivantes de tout un
passé d'horreurs.
Quoi qu'on en pense,
il est certain que les dinosaures qui sont censés s'être éteints il y a 66 millions d'années, semblent bien avoir
survécu à la dite extinction, car, il y a à peine 2 mille ans, on les retrouve en pleine santé au pied de la
croix, narguant le crucifié de Nazareth. Il semble aussi qu'ils sont encore
parmi nous, plus puissants que jamais. Leur look a changé et leurs techniques
se sont sophistiquées. On les voit
maintenant sans soutane, avec des microscopes électroniques et des télescopes
spatiaux à la place des lunettes... Leur
tête est plus grosse et leur queue plus courte, ils tuent maintenant avec des
drones. Dans leur temps libres, avec des cornes sur la tête, ils s'emparent du
Capitole de Washington, ou bien, au volant de camions plus gros que des
mammouths, ils font trembler les colonnes de la soporifique Ottawa. Derrière
ces hordes, on retrouve, bien évidemment, une pléthore de fondamentalistes
religieux, la plupart de bannière américaine. Les dinosaures triomphent.
L'avenir est à eux!
Étant donné le rôle
éminent joué par les dinosaures dans le développement du christianisme en
Occident, le moins que l'on puisse dire, c'est que la chrétienté, la religion
dite chrétienne et l'Église elle-même ne sont pas exactement la même chose que
l'Évangile de Jésus de Nazareth. Cela crève les yeux. L'Évangile est une chose,
la religion et l'Église en sont une autre. Celles-ci ne devraient être qu'un
support et un encadrement au service de l'Évangile, et cet encadrement devrait
être le plus simple et le plus souple possible. Il devrait être ouvert,
transparent et assez spacieux pour que, à chaque instant et sans équivoque, on
puisse y respirer l'esprit de Jésus, son énergie, sa façon de vivre, sa façon
de voir les choses, sa façon d'être, son souffle, son dynamisme, son
originalité, sa hardiesse, sa liberté, son audace, sa mentalité, en un mot, sa
présence active et libératrice qui ne se confond absolument jamais avec le
statu quo et l'ordre établi. La loi, ou les lois, les règlements et les
directives, les discours préparés d'avance et d'en haut, la pensée déjà toute
faite devraient être réduits au minimum. De même que le sabbat est fait pour
l'humain et non l'humain pour le Sabbat (Marc
2, 27), ainsi la Religion, et même
l'Église, ne devraient exister que pour l'évangile de Jésus et donc pour le
service de l'humain, et jamais l'inverse.
Faut-il le rappeler?
Jésus, qui était un homme religieux, ne s'est pas empêtré dans les filets de la
religion. Son évangile dépassait le discours religieux de son temps, d'autant
plus que, sur des points très importants, il s'y opposait. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la
religion l'a tué. Donc, le fait que Jésus ait été tué par des religieux de sa
propre religion, et précisément pour des raisons nettement religieuses, devrait
nous convaincre que l'Évangile et la
Religion ne sont pas des frères siamois.
Ils sont aussi différents que la Loi par rapport à l'amour, aussi peu
semblables que la lettre par rapport à l'esprit. Amour et esprit donnent vie,
Loi et lettre tuent (2 Corinthiens 3,6). C'est l'Évangile qui donne la vie et non la
religion. Pour nous, ils sont enchevêtrés comme dans un écheveau de laine; nous
aurions intérêt à les séparer comme on fait avec la noix. Quand la noix est
mûre, on ne l'avale pas tout rond, sinon on s'étouffe et on meurt. Seule
l'amande se mange. Mais pour manger l'amande, il faut d'abord la séparer de la
coque. Et pour séparer l'amande de la
coque, qu'est-ce que l'on fait? On broie
la coque... La religion est la coque,
l'amande est l'Évangile, et la récolte est mûre depuis belle lurette. (Luc 10, 2).
Pour ma part, plus je
m'éloigne de la Religion et de son Dieu, plus je découvre Jésus de Nazareth
comme un être de chair semblable à moi. Je le sens vraiment proche de moi et de
tout humain. Je prends goût à son Abba,
et son évangile me paraît plus actuel et savoureux que jamais. Je ne sens plus
le besoin d'être un autre pour me sentir proche de lui. Plus besoin d'être
schizophrène. Je marche à ses côtés, tel
que je suis et j'apprends....
ANNEXE2 4 articles
Article 1
JÉSUS, LES COCHONS ET l'ÉCONOMIE
MARC
5, 1-20
Qui est le plus cochon: le cochon ou
bien celui qui lui donne à manger?
Gerasa est un bled ultra païen qui
perche sur un cap au-dessus du lac de Galilée. Une subdivision de la Légion romaine
en a fait une base militaire et 2000 soldats armés jusqu’aux dents y dressent
leur campement. Leur mission est de contrôler avec une poigne de fer toute
cette zone que l’empire de Rome colonise et exploite allègrement.
Aux yeux des Juifs bien nés, qui vivent
sur l’autre rive du lac, ces Romains sont de méchantes créatures envoyées par
le diable pour contaminer leur terre bénie et mener leur peuple à la perdition.
Car cette soldatesque venue de l’étranger, non seulement tue à tour de bras et
se livre à tous les vices, mais adore des dieux dégénérés, oblige les gens à
adorer la statue de son empereur et, pour comble, mange du cochon!
Quels sont donc les gens qui
approvisionnent ces diables de Romains en cochon, sinon les gros propriétaires
de Gerasa? Pour eux, les Romains sont de la manne tombée du ciel. Ils
investissent donc frénétiquement dans l’élevage du cochon et les vendent
ensuite à haut prix aux riches occupants.
Cocasse, non? Ces « cochons » de Romains,
qui empoisonnent la vie des Gerasiens, se font engraisser par… d’autres
Gérasiens, qui se graissent à leur tour grâce aux sous des Romains. Et quoi?
Les affaires sont les affaires!
Le pays de Jésus est un pays de Juifs
allergiques au cochon qui se trouve situé, comme on a dit, de l’autre côté du lac,
juste en face de Gérasa. Jamais un Juif qui se respecte ne laisserait sa barque
aborder cette Gerasa qui pue le diable et le cochon à des kilomètres à la
ronde.
Mais, un bon jour, Jésus, sans passeport
ni rien, décide de franchir cette frontière interdite. Il appelle ses
compagnons d’aventure, tous aussi juifs que lui, les embarque sur leur bateau
et met le cap droit sur Gerasa.
Pas besoin d’insister, la traversée
tourne rapidement au cauchemar. Les gars sont morts de peur. Peut-être plus en
raison de leurs préjugés et de leurs superstitions que par le terrible orage
qui se déclenche tout d’un coup au beau milieu du lac. Jésus est obligé de
lever la voix pour que ses amis se ressaisissent et finissent par se calmer.
Puis, c’est l’arrivée à Gerasa. Tous sont sains et saufs.
Dès que Jésus met le pied hors du
bateau, une chose sombre surgit de derrière les tombes du cimetière local et
court à toutes jambes vers lui. Les gens de la place expliquent qu’il s’agit
d’un fou qui vit avec les morts; à toute heure du jour ou de la nuit, il hurle
comme une bête en se tailladant les chairs avec des pierres pointues (comme ont
coutume de faire les voyants païens dans leurs délires mystiques). Chaque fois
qu'on essaie de l’attacher avec des chaînes et des fers, il fait tout voler en
éclats. Personne ne peut le dominer. C’est un monstre.
Un monstre qui, en arrivant près de
Jésus, se jette sur lui comme pour le tuer. Mais Jésus se cabre. Usant de la
même voix qui a eu raison de la tempête sur le lac, il fait tomber le malheureux
à ses pieds. Un son rauque, à la fois suppliant et sarcastique, sort de la
gorge de l’homme. En pleurnichant il implore Jésus de ne pas le torturer.
- Si tu veux que je sorte du corps de
cet homme, je t’en prie, envoie-moi dans le corps des cochons qui sont là sur
la colline...
- Quel est ton nom? lui demande un Jésus
tout à fait décidé à aller au fond des choses.
- Mon nom est... « Légion »…
Le chat vient de sortir du sac! Cet
homme n’est donc pas un individu ordinaire. Il incarne dans sa personne le
peuple de Gerasa, et bien d'autres peuples qui, comme le propre peuple de
Jésus, sont dominés, pour ne pas dire « possédés » par la "Légion"
romaine…
Pour s’ « accommoder » à l’empire, ces
peuples perdent leur identité, leur liberté, leur dignité et même leur raison
de vivre. Ils deviennent comme des déchets... Ils s’autodétruisent. Ils se
couvrent le corps et l’âme de plaies mortelles, comme ce pauvre type avec ses
pierres pointues et son repaire au milieu des tombeaux.
Alors Jésus ordonne à l'esprit "Légion"
de sortir du corps du pauvre diable et l’envoie promener dans le troupeau de
cochons en train de paître sur l’escarpement au-dessus du lac. Le choc est
brutal. Malgré leur très mauvaise réputation, les cochons, moins accommodants
que certains Juifs, se montrent incapables d’avaler l’esprit « Légion » et
préfèrent se suicider en se jetant dans le lac du haut de leur falaise. 2000
cochons sont morts noyés ce jour-là. Autant de cochons noyés que de soldats
formant la subdivision romaine de Gerasa. Ils sont, en effet, 2000.
C’est alors que notre malheureux énergumène
retrouve ses esprits. On le lave, on l’habille proprement, il devient un homme
neuf. Mais la fête tourne tout de suite au vinaigre. Les propriétaires de
cochons sont hors d’eux-mêmes et chassent Jésus de leur pays.
Qui veut comprendre comprenne!
Par cette histoire on voit bien que
Jésus n'aime pas les légions romaines, ni ceux qui collaborent avec elles. Il
n'est pas ami des bottes militaires, ni ami des dictatures. Il n'est pas ami
des puissances étrangères qui, sous le masque de l’amour à la démocratie, de
l’aide humanitaire ou du développement ou sous celui de la lutte contre le
terrorisme ou la drogue se faufilent dans d'autres pays pour les contrôler et
les dominer. Il n’est pas ami non plus de ceux qui élèvent des cochons pour
engraisser d’autres cochons…
Mais quel manque de gentillesse de sa
part! Qu’il ait sorti un misérable d’un abîme sans fonds, tout le monde s’en
réjouit, mais à quel prix, grand Dieu! Mettons-nous à la place des éleveurs de
ces 2000 porcs dont Jésus a provoqué la mort, est-ce qu’ils n’ont pas raison
d’être furieux contre lui? Est-ce que, par hasard, un être humain vaut 2000
porcs?
- Oui, certainement!
répond Jésus.
Même s'il s’agit d'un marginal, d’un
fou, d’un dépravé, d'un monstre qui sème la terreur? Même s'il est plein de
diables, même s'il est aussi méchant qu’une légion romaine qui vole, viole,
piétine, humilie et opprime tout un peuple? Est-il juste de sacrifier
l'économie de tout un village pour réhabiliter un monstre pareil?
- Non seulement il est juste de sacrifier l'économie de tout un village, mais
aussi celle de tout un pays, dit Jésus. Même celle du monde entier!
L'économie qui jusqu'à maintenant a fait
la pluie et le beau temps dans le monde, est plus destructrice que 2 milliards
de bombes égales à celles qui sont tombées des airs, les 6 et 9 août 1945, pour
anéantir Hiroshima et Nagasaki.
Cette économie a été construite sur le
dos de 99% de l'humanité, au prix de la dignité, de la liberté et des droits de
personnes et de nations entières, en les bafouant, en se moquant d’elles, en
les trompant, en les corrompant, en les exploitant à la corde, et en les
massacrant.
Cette économie est responsable des
blessures, des frustrations, de la haine, de la violence et de la décadence de
ses victimes. Des monstres comme ce pauvre diable de Gerasa sont créés tous les
jours par cette économie qui les envoie par milliers vivre parmi les morts et
les cauchemars des immenses dépotoirs humains qui ne cessent de pousser partout
sur la planète.
Elle est maudite cette économie qui
assassine littéralement notre belle planète bleue et qui sacrifie des personnes
et des peuples entiers aux cochons et non les cochons aux personnes. C'est
pourquoi, un jour, tout va sauter. Ce ne sont pas seulement 2000 porcs qui
tomberont à l'eau, ou deux tours de New York qui voleront en fumée, mais ce
sera toute l'économie mondiale qui s’effondrera. C’est d’ailleurs déjà
commencé.
Obama lui-même, qui est un bon garçon, a
pitié des cochons de Wall Street et leur donne à manger. Mais il se peut qu’un
jour ces mêmes cochons se retournent contre lui et le mordent. Car il ne faut
pas donner à manger aux cochons, ni leur jeter de perles (Mt 7,6) . (Voyez qui
a succédé à Obama).
Encore moins leur donner des milliards,
ajouterait Jésus…
Eloy Roy
Article 2
ÉVANGILE VOLÉ
Dieu parle par les cris et les silences des appauvri-es de la Terre. La
« nouvelle évangélisation » devra se faire l’écho puissant de cette
voix, sinon elle ne sera qu’un avortement de plus.
|
Lazare, le
pauvre (Luc 16, 21)
|
ON A TOUT VOLÉ AUX PAUVRES, MÊME L’ÉVANGILE
On ne peut rien y faire. L'évangile ne m'appartient pas, ni à moi, ni aux
intellectuels, ni aux gens d'église, ni aux experts en Bible, ni aux
télévangélistes, ni aux prêtres, ni aux évêques, ni aux papes.
L'évangile appartient aux pauvres. L'âme de l'évangile, c’est Jésus et Jésus est un pauvre.
Jésus a vécu et lutté avec et pour les pauvres. Il s’est fait solidaire du
pauvre. Il a été le compagnon, l’ami, le camarade, le frère, le défenseur des
pauvres. Il a souffert à cause des pauvres. Il est mort pauvre
parmi les plus pauvres.
De même que le soleil brille sur les bons et sur les mauvais, et sur les
riches comme sur les pauvres, ainsi Dieu aime tout le monde, dit Jésus. Il ne
s’est pourtant identifié ni aux mauvais ni aux riches, mais aux pauvres. Il
s’est adressé au cœur des mauvais et des riches, mais à partir du cœur des
pauvres.
Il s’est identifié aux pauvres en devenant l’un d'eux et en faisant siens
leurs gémissements et leurs espoirs. S'il a aimé l’humanité entière, ce fut
vraiment à partir du cri des pauvres et à partir de leurs rêves les plus fous.
Ce sont eux, les pauvres, qui ont inspiré à Jésus les Béatitudes et la grande
merveille du Royaume. Sans les pauvres, l'évangile n'existe simplement pas. Et
Jésus non plus.
Il a aimé les pauvres au point de se donner entièrement à la tâche de
redonner vie et espoir aux rejetés qu’il croisait sur son chemin. Il les
traitait comme des personnes qui ont un nom et un visage. Il était pour eux
l’occasion de prendre la parole, de crier leur vérité. Il les écoutait, leur ouvrait
les bras, leur tendait la main, les relevait. Sur les pas de Jésus la vie
fleurissait.
Quand en chemin il croisait des riches qui exploitaient le peuple, il ne
les maudissait pas. Parfois il allait banqueter avec eux. Mais il entrait chez
eux comme pauvre, tel qu’il était, et il ne changeait pas son discours pour
leur plaire. Il profitait même de l’occasion pour leur dire quelques bonnes
vérités. Il ne cassait rien mais ne faisait aucune concession.
Si Jésus est la Parole créatrice de Dieu ensemencée dans notre terre,
cette parole ne peut être que la parole des appauvri-es. Pour que Dieu nous
parle, nous devons écouter les pauvres. Si nous voulons connaître Dieu, nous
devons connaître les pauvres. Si nous voulons nous approcher de lui, nous
devons nous approcher d’eux.
Mais les pauvres ne sont pas tous des saints, peu s'en faut. Il y en a
parmi eux qui sont détestables, répugnants, bêtes, méchants, fourbes,
profiteurs, paresseux, envieux, arrogants et violents. Pour comble, la plupart
d’entre eux rêvent de devenir comme les riches. Comment Dieu peut-il donc nous
parler par cette masse informe de braves gens dans laquelle se mêlent comme
dans un dépotoir tous les « rebuts » de l’humanité?
La même question pourrait être posée au sujet de Jésus qui fut lui-même
rejeté comme un « rebut » de l’humanité. Il a été excommunié de
sa communauté, soumis à la torture comme un criminel, accusé d’être un
apostat et un subversif, et crucifié comme un ennemi de la Religion
et de la Patrie. Pourtant, ce « rebut» de l’humanité, nous le vénérons
comme le « Sauveur » du monde.
Ce qui veut dire pour nous, les chrétiens, que c’est là, dans la
misère humaine, qu’est enfouie la Parole suprême du Dieu qui
recrée l’humanité.
On objectera qu’à la différence des pauvres, qui sont des pécheurs comme
tout le monde, Jésus était « innocent » et que s’il a été
réduit à un « rebut » de l’humanité, ce ne fut pas par sa
faute, mais par l’injustice qu’on lui a fait subir.
Ce même jugement devrait tout autant s’appliquer aux pauvres, car eux
aussi sont innocents.
Ils sont les créatures d’un système délirant et pervers qui depuis des
siècles les fabrique par centaines de millions dans l’unique but d’enrichir
toujours plus ceux qui possèdent déjà tout.
Ce système est un monstre. Il ne cesse de grossir en toute impunité, grâce,
en particulier, à la complicité d’un tas de «bonnes gens» comme
nous qui croyons encore bêtement aux vertus des plus forts, et aux miracles de
la guerre et de l’argent. Ironiquement nous prétendons être des piliers
de la démocratie et du christianisme. Et il nous arrive même de prier
Dieu de bénir tout cela.
Pourtant, dans un monde qui regorge de richesses, la pauvreté est le crime
le plus abominable contre l’humanité. Et les victimes de ce crime ne sont pas
des extraterrestres mais des êtres humains qui sont rien de moins que des
membres de notre propre corps.
Fasse le ciel que les cris de nos pauvres nous percent le cœur, que
leurs tares nous fassent horreur, que leurs souffrances nous blessent
assez fort pour qu’éclate l’épaisse bulle de notre inconsciente tranquillité!
La "nouvelle évangélisation" devra se bâtir sur les attentes
criantes des appauvri-es de la Terre, autrement elle s’écroulera comme cette
maison dont Jésus dit qu’un idiot l’avait bâtie sur le sable plutôt que sur le
roc; au premier coup d’eau elle fut emportée comme un fétu de paille (Matthieu
7, 26-27).
Eloy Roy
LE
"COMING OUT" DE LAZARE DE BÉTHANIE
(Jean 11, 1-44)
Quel était le
vrai problème de Lazare ? Personne ne peut le dire. Ce sont de ces choses
dont on ne parle pas. On en souffre, c’est tout.
Lazare était
un beau jeune homme gentil, très sensible, d’une famille bien. Ses parents
moururent quand il était tout petit, et depuis ce temps il était demeuré seul
avec ses sœurs. Marthe et Marie, deux femmes hors pair, l’ont élevé dans leurs
jupes.
Elles l’ont
gâté et protégé de tout mal. Elles voulaient en faire le meilleur garçon du
monde. Ce qu’il devint de fait. Personne ne pouvait l’égaler en intelligence,
en sympathie, en popularité. Sauf qu’il était timide et que les filles ne lui
disaient pas grand-chose, car aucune n’arrivait à la cheville de ses sœurs.
Dans son nid
douillet il n’était pas malheureux, mais pas heureux non plus. Il lui manquait
quelque chose. Il ne savait pas quoi, mais n’ayant eu ni père ni frère, jamais
il n’avait pu se comparer et se mesurer à quelqu’un de semblable à lui. C’est
ainsi qu’il ne s’était jamais vraiment découvert comme homme.
Il restait étranger à une grande partie de
lui-même. On aurait dit que quelque chose d’essentiel n’était pas encore né en
lui. Cela le rendait mélancolique et, à certains jours, réellement dépressif.
Ses sœurs s’en affligeaient. À la longue cela finissait par l’agacer. Elles ne
comprenaient rien à ce qui lui arrivait, et lui non plus, d’ailleurs.
Mais un jour,
tout changea. Un homme apparut chez eux. Un homme fantastique, que les deux
sœurs avaient connu dans un de ces ralliements pleins d’effervescence où il
était question du Règne de Dieu. Elles s’étaient entichées de lui. Son nom
était Jésus. Il était le clou de ces ralliements. Bientôt il devint un ami
intime de la famille. On
ne parlait que de lui, on ne vivait que pour lui. Avec lui c’était le soleil
qui était entré dans la maison, et pour Lazare, la fin de la dépression. Enfin,
le jeune homme avait trouvé le grand frère qu’il n’avait jamais eu. Tout ce qui
lui manquait, et tout ce qu’il voulait devenir, il l’avait trouvé en Jésus.
Et puis, un
bon jour, plus de nouvelles de Jésus. Plus de messages de lui. Les deux femmes
ne s’en alarmaient pas trop. Elles connaissaient les activités de leur ami et
elles avaient une confiance aveugle en lui. S’il ne donnait pas signe de vie,
c’était parce que c’était mieux ainsi. Mais Lazare ne le prenait pas sur ce
ton. Il ne pouvait ni ne voulait s’expliquer cette absence de Jésus. Surtout
son silence. Jésus était entré dans sa vie comme l’air pur et comme le soleil;
la vie commençait à peine à lui sourire et puis, vlan ! Plus un mot, plus
rien. Comme s’il n’existait pas. Lazare se sentit rejeté. Il pleura, se fâcha,
s’enferma dans sa chambre. Il ne mangeait plus, ne dormait plus, ne voulait
plus voir personne. Il était brisé, humilié, défait. Ses sœurs, les larmes aux
yeux, le suppliaient de se raisonner, mais rien n’y faisait. Lazare voulait
mourir. De fait il était déjà mort.
Un seul
pouvait tirer Lazare de là. C’était Jésus. Il fallait aller le chercher avant
qu’il ne soit trop tard. Comme tout le monde dans le pays était un peu au
courant des allées et venues de Jésus, Marthe et Marie purent assez facilement
le repérer. Elles envoyèrent quelqu’un le rejoindre avec ce message :
« S’il te plaît, Jésus, reviens à la maison au plus vite; ton ami, Lazare,
est en train de mourir ! » Pour toute réponse Jésus dit :
« Il va s’en remettre. Dieu y verra. » Et même s’il aimait beaucoup
Marthe et Marie, il ne se pressa pas. Deux jours passèrent, puis il dit à ses
disciples : « Notre ami, Lazare, s’est endormi, nous allons aller le
réveiller. » Les disciples respirèrent. Puis Jésus ajouta : « En
réalité, il est mort. Mais c’est bon pour lui et pour vous que je n’aie pas été
là… ». Il n’y avait rien à y comprendre. Jésus était comme ça. On ne
comprenait pas toujours ce qu’il pensait. Mais on s’y était habitué. On lui
faisait confiance.
Quand Jésus et
ses compagnons arrivèrent près du village, le bruit courait que Lazare était
bien mort. Certains disaient qu’il était même enterré depuis quatre jours. En
fait, ça faisait quatre jours qu’il ne bougeait plus. Il était décharné et gris
comme un cadavre. Son pouls se sentait à peine. On lui parlait et il ne
bougeait pas. Dans sa chambre flottait déjà une odeur de mort. En le voyant,
Jésus fut saisi d’émotion. De grosses larmes coulèrent sur ses joues. Il
s’approcha, ferma les yeux et pria Dieu avec toute la ferveur de son âme, puis
cria très fort : « Lazare, sors dehors ! » En reconnaissant
la voix de Jésus qui l’appelait par son nom, Lazare se dressa tout droit sur
son lit. Il était enroulé dans son drap comme dans un linceul. Jésus dit :
« Libérez-le et laissez-le aller ! ».
À partir de ce
jour, Lazare se mit à respirer comme un homme neuf. Sa dépendance à l’égard de
ses sœurs était terminée et aussi sa dépendance à l’égard de Jésus. Il était
enfin libre d’être lui-même.
Ce jour-là,
Dieu fut vraiment glorifié. Et de partout les gens apprirent cette histoire.
Tout le monde racontait que Jésus avait vraiment sorti vivant d’un tombeau un
homme qui était mort depuis quatre jours et qui sentait déjà mauvais. Et qu’une
grosse pierre fermait l’entrée du tombeau.
Dans le fond
c’était vrai. Psychiquement Lazare était mort. Tout son être était ligoté. Sur
son âme pesait une lourdeur qui l’empêchait réellement de respirer.
C’était comme s’il avait encore été enfermé dans le sein de sa mère. Comme s’il
n’avait pas encore réussi à naître vraiment. Jésus coupa le cordon qui le
rattachait à cette vie qui n’était pas une vie. Il en fit un homme debout.
TROP DE BONS, PAS
ASSEZ DE JUSTES
Quelle compagnie,
quelle banque, quel gouvernement, quel politicien, quel homme d’affaires va
dire qu’il n’aime pas le monde et qu’il ne cherche pas le bien de tout le
monde? Dis-moi alors pourquoi
beaucoup de compagnies ferment leurs usines dans nos pays pour aller en ouvrir
d’autres en Chine, au Bengladesh, au Mexique?... Est-ce que ce serait par amour
pour les Chinois et les Mexicains?
Dis-moi :
crois-tu que les USA, le pays le plus riche, le plus puissant de la planète,
serait aussi riche et puissant si l’on n’y avait pas exterminé les Autochtones,
on ne s’était pas emparé de leurs terres
et de toutes leurs richesses, et si on n’avait pas pu compter sur le travail forcé
et sans rémunération de millions d’esclaves noirs?
Dis-moi : est-ce
l’amour du prochain qui inspire les Banques, le Fonds Monétaire International
et toutes les grandes multinationales qui font la pluie et le beau temps sur la
terre?
Est-ce que l’Europe
serait aussi riche, aussi puissante, aussi « civilisée » si elle
n’avait pas étendu ses tentacules par toute l’Amérique latine, l’Afrique, le
Moyen-Orient, l’ASIE et en avait pompé tout le sang qu’elle a pu?
Est-ce que c’est
vraiment par amour pour le prochain que les USA et la Grande-Bretagne ont
envahi et détruit l’Irak?
Pourtant, un tas de
monde de ces pays, un tas de hauts dirigeants de ces banques, de ces
multinationales, des gouvernements de ces nations toutes-puissantes sont
convaincus d’être de bons chrétiens ou de bons Juifs. Plusieurs vont même
jusqu'à se vanter publiquement de leur foi et ne craignent pas d’affirmer qu’ils
adhèrent de tout leur cœur aux Dix Commandements de Moïse.
Il y a trop de
« bons » sur la terre, et pas assez d’hommes et de femmes qui aiment
la JUSTICE.
Une maxime de saint
Grégoire, un père de l’Église :
«Quand nous donnons aux pauvres ce
qui leur est nécessaire,
nous ne leur donnons pas ce qui est
à nous;
nous ne faisons que leur rendre ce
qui est à eux.
C'est plus un devoir de justice que
de miséricorde. »
Eloy Roy