15 février 2022

 

 

Salut,  Jean !




 
Il y a deux ans, nous faisions  nos adieux à Jean Ménard. 

Il y avait tempête ce jour-là.

 L'Australie brûle. Le Coronavirus assiège la planète. Cinq motoneigistes français et leur guide laissent leur vie au fond du lac St-Jean. Kobe Bryant, idole suprême du basketball mondial, meurt avec sa fille dans un écrasement d'hélicoptère; le monde est inconsolable. En Irak, au Liban, en Algérie et dans mille autres coins du monde, le feu est aux poudres. À Washington, les démocrates ne réussissent pas à destituer Donald Trump. Vraiment, les tragédies n'arrêtent pas. Ici, pour arranger les choses, Jean Ménard nous claque entre les mains!

 

Le jour des funérailles, il fait tempête. 30 cm de neige ensevelissent Montréal. La chapelle des Missions-Étrangères qui aurait dû être prise d'assaut par la communauté LGBTQ+ et par les syndicats nationaux, garde le profil bas. Les vols de Marx et de Lénine sont cancellés. À leur tour, Jean-Paul II, Benoît XVI et Escrivá y Balaguer ratent le rendez-vous (personne ne s'en plaint). Malgré la visibilité nulle et les rues embourbées, Michel Chartrand est le premier arrivé; il se tient dans le premier banc. Il est là, en esprit, avec Simone, son épouse.

De corps, de cœur ou d'esprit, plusieurs autres ami.es et camarades de Jean sont aussi présents; la plupart sont des prêtres, des missionnaires, des confrères, ou des petites gens de quartiers populaires du Québec et d'autres pays. Il y a aussi des parents, et même quelques ennemis; ces derniers sont venus prier ... pour que notre défunt ne ressuscite pas.

Enfin, au milieu de tout ce beau monde, on aperçoit, savez-vous qui? Nul autre que Jésus-Christ ! Il n'aurait pas manqué ces funérailles pour tout l'or du monde. Il tenait à venir en personne témoigner devant le monde entier que Jean Ménard est un homme qui ne lui a pas fait honte.

Pour Ménard, le péché, figurez-vous, ce n'était pas la masturbation ni de trop lever le coude, ni que deux personnes du même sexe couchent ensemble, ni de manquer la messe le dimanche, ni d'utiliser des condoms, ni de ne pas envoyer les pro-choix en enfer, ni de donner la communion aux divorcés, ni que des femmes disent la messe; le péché pour lui, le vrai grand péché, pour ne pas dire le seul, c'était que des êtres humains, faits de chair et d'os comme vous et moi, ayant des milliards et des trillions de tonnes d'argent, ne se contentent pas de ce qu'ils ont. Au contraire, comme des V U S géants, des bulldozers et des grues plus énergivores et polluants que d'innombrables troupeaux de dinosaures, ils ne cessent de vider la Terre de ses entrailles et de répandre sur elle plein de désastres...

Jean Ménard a pris conscience de ce fléau, d'abord dans sa famille, lors du crash boursier de 1929, quand son père a fait faillite et que les ouvriers de sa ville sont tombés en chômage. Comme eux et avec eux, il a alors mangé son lot de pain noir. Devenu adulte et rendu au Chili, il y a goûté de nouveau en allant vivre volontairement au milieu des rats d'un bidonville de Temuco.

Beaucoup de choses lui faisaient dresser les cheveux sur la tête, mais la pire de toutes, c'était que les autorités religieuses, sauf rares et bienheureuses exceptions, traitaient les grands affameurs du monde comme les bienfaiteurs insignes de l'humanité. Ça le rendait malade.

Jean Ménard n'était pas pour autant un va-t-en-guerre, un adolescent attardé ou un rebelle sans cervelle. En fait, il était plutôt peureux. D'un autre côté, il n'avait pas peur du tout de s'engager à fond avec ceux et celles qui partageaient ses questionnements: avec des évêques, des prêtres et des laïques, et beaucoup de personnes d'en dehors des cercles religieux qui, comme lui, ne voulaient qu'une chose: changer ce monde outrageusement inégal en un monde de justice. Rien de plus...

Ses bombes à lui c'était la formation, l'éducation populaire, la conscientisation. Ainsi à Cuba, au Chili, au Nicaragua, puis au Québec... Avec une précision chirurgicale, il prenait plaisir à ouvrir le ventre du Capitalisme triomphant et à montrer que sous son apparence de vertu et de respectabilité, ce système sacrosaint a toujours recélé et recèle encore des montagnes de pourriture.

Puisque Jean Ménard était un évangélisateur, il se dédiait à «convertir ». Mais pas de n'importe quelle manière. La conversion, pour lui, consistait à éveiller les consciences. À faire découvrir que, par ignorance, inconscience, lâcheté ou bonne foi, beaucoup d'entre nous qui croyons être adorateurs du seul et unique vrai Dieu, c'est-à-dire le Dieu de la Liberté, de la Justice et de la Fraternité, nous sommes, en réalité, les esclaves de Mammon, l'insatiable dieu Argent, maître incontestable de l'univers, celui-là même que Jésus de Nazareth a dénoncé jusqu'à y laisser sa peau et à se vider entièrement de son sang. Directement ou indirectement, et à divers degrés, nous sommes à peu près tous les adorateurs de ce faux dieu dont la grande et unique priorité est d'atteindre un maximum de Profit sans se laisser barrer le chemin par quoi que ce soit, même pas par la destruction de la planète !

Pour Jean Ménard (et ses compagnons et compagnes de lutte), ce système est à connaître dans ses moindres replis, et doit être démasqué, démantibulé et expulsé loin de nos temples et du champ de nos amours.

Pour ceux qui craignent que cela n'équivaille à une capitulation face au communisme, Jean démontrait, au contraire, que le moyen le plus sûr d'attirer les troupes de Staline dans nos platebandes sont notre candeur, notre aveuglement, notre peur de regarder les choses en face, de les appeler par leur nom et de changer ce qui doit être changé.

On objectera que pour un prêtre catholique, il n'y avait rien d'édifiant là-dedans, car tout cela n'était que de la politique et n'avait rien à voir avec l'évangile... Vraiment ?... Demandons à Jésus lui-même qui est ici, en personne,  au milieu de nous ... Je crois l'entendre nous dire à peu près ceci : « Pourquoi, d'après-vous, le gouvernement national des ayatollahs de Jérusalem et le gouvernement militaire de l'empire colonial de Rome se sont-ils coalisés pour me crucifier?... Caïphe, Anne et le Sanhedrin, Hérode et Pilate, ça ne vous dit rien? Ceux qui m'ont assassiné n'étaient-il pas des politiciens ?... Est-ce que, par hasard, ils m'auraient envoyé à la croix parce que je chantais la beauté des fleurs des champs, ou que je ne me lavais pas assez bien les mains avant de manger?... Ne serait-ce pas plutôt parce que mon Évangile, qui était et est une Bonne nouvelle pour les pauvres, était et est une très mauvaise nouvelle pour les pouvoirs politiques, économiques, religieux ou autres, qui, au lieu de défendre et de servir le peuple, abusent de lui, l'oppriment, l'inondent de mensonges, l'achètent, le corrompent, le divisent et le tuent? » ...

Je reprends cette même question, et je nous la pose à nous aussi: « Est-ce que par hasard Jésus aurait été crucifié et aurait été ressuscité pour une affaire de clochers, pour des problèmes d'ordre liturgique, pour un point de doctrine religieuse, pour une controverse au sujet des sexes, pour une chicane de clergé ou pour un article de droit canonique, ou parce que, en prenant la défense des exclus, il a choqué et contrarié vivement les vues et les intérêts des forces politiques de son temps? »...

Jean Ménard, pour sa part, a répondu à cette question par sa vie. À notre tour maintenant d'y répondre aussi en toute honnêteté, que nous soyons croyants ou pas : «AUJOURD'HUI COMME HIER, PAR QUI ET PAR QUOI JÉSUS DE NAZARETH EST-IL CRUCIFIÉ,  ET COMMENT DIEU LE RESSUSCITE-T-IL?... au nom du Père, et du Fils et du Saint Esprit. »

                                                                       Eloy Roy

 

7 février 2020

 

 Mon frère Emmanuel est entré dans la gloire, le samedi 22 janvier 2022, à l'âge de 94 printemps alors que le mercure rôdait autour de -20°C - Eloy

  

Manu



Tu conduisais de gros camions et des machines immenses qui valaient des millions;  tu te jetais dans la boue, tu arrachais le tuyau défectueux, tu creusais des fondations, tu installais des égouts, tu  drainais des terres, tu ouvrais des rues. Dans le vacarme des moteurs et de la ferraille tu t’égosillais pour qu’on capte tes ordres. Pendant des années, tu as enlevé de sur la tête de Beauceville des milliers de tonnes de neige que déversaient les tempêtes. Avec Nana et tes enfants, vous formiez une équipe à toute épreuve. Tes employés étaient tes amis, des copains avec qui tu faisais de la motoneige dans les moindres recoins du Québec,  souvent par des froids sibériens. Tu t’es inventé ingénieur. Tu as appris le métier sur le tas. Par tes propres forces, avec ton flair, avec ce que tu étais en-dedans de toi-même… Tu étais une vraie force de la nature. À grands et petits coups de bulldozer et de pelle mécanique tu as « sculpté » le magnifique terrain de golf de Beauceville. Ton seul diplôme était celui de la petite école du Rocher et ton Université, tu l’as faite à la dure dans les forêts de la Mauricie, de l’Abitibi et du Maine.   À 15 ou 16 ans, tu coupais du bois dans les chantiers de bûcherons, tu le halais sur des lacs gelés avec ton « team » de chevaux, dont tu parlais avec des étoiles dans  les yeux. Tu as gagné tes premiers sous à coups de hache et de voyages de bois. Puis tu as eu ta petite terre et ton premier camion. À partir de là tout s’est développé, a grossi et est devenu, à force de travail et toujours plus de travail, quelque chose de beau. Tu aimais le travail. Tu adorais le travail. Comme  papa. Mais tandis que papa travaillait en solitaire, à un rythme soutenu, sans parler, toi tu travaillais avec entrain et en équipe et en parlant très fort. Tu étais un meneur, un entraîneur.

 

Ben oui, tu as joué au hockey jusqu’à 58 ans! Autant tu ne niaisais pas à l’ouvrage, autant tu savais t’amuser dans les fêtes de famille, entre amis, au chalet, à la cabane à sucre, à la maison. Tu étais fort sur l’accordéon, la musique à bouche, les chansons et tout le reste. Tu étais un travailleur acharné et un bon vivant.  Tu cuisinais avec ardeur et tu taquinais la truite avec une main d’artiste. Et tu étais généreux. Combien de monde tu as dépanné sans y penser deux fois, à chaud, sans calculer, avec grand plaisir et gratuitement! Tu étais un bon croyant, sans complication. Croire en Dieu pour toi et pour Nana, ce n’était pas un problème. Ça faisait partie de ta vie comme l’air qu’on respire et le soleil qui éclaire.  Comme chrétien, comme rotarien, comme chevalier de Colomb, et comme simple citoyen,  l’évangile de Jésus consistait à être ouvert aux autres et rendre service; donner, partager, prier en toute simplicité en remerciant Dieu. Pas de sermon à personne, toujours disponible. Pour tout dire, mon cher Manu, tu as été un magnifique frère.

 

Un jour, sur une descente de chemin de bois, isolé de tout, la charge que tu trainais derrière ton tracteur s’est détachée et est venue s’écraser sur toi et sur le tracteur qui s’est renversé dans le fossé. Tu n’as pas été tué mais tu es resté complètement coincé, sans pouvoir bouger.  Le moteur du tracteur ne s’était pas éteint et tu avais la tête presque collée à la grande roue qui tournait  à une vitesse affolante. Impossible de sortir de là … Tu es resté crucifié là pendant deux, trois heures (ou plus, je ne sais pas vraiment) , qui t’ont paru des éternités. Malgré tout, au prix d’efforts suprêmes, tu  as fini par étirer une jambe à l’extrême et, sans rien voir, avec le bout du bout d’un orteil, tu as atteint la clé du démarreur et tu as coupé le moteur. La torture de la roue a cessé, mais tu étais vidé, épuisé,  presque mort. Tu ne pensais qu’aux tiens, à Nana, aux enfants… Alors tu as ramassé  tes dernières énergies et poussé un cri terrible : « Micheline, ma petite fille, fais quelque chose! ».  Micheline était ta deuxième enfant; elle était morte pratiquement à la naissance. La mort de cette petite fleur, t’avait beaucoup peiné. Tu ne l’avais jamais oubliée. Tu t’es affaissé et tu es entré dans un état de semi conscience. Tu te sentais mourir lorsque, soudain, des voix te réveillèrent. Martin et Julie, un couple du « canton »,  étaient là, à côté de toi. Comme « par hasard » ils passaient par là … Ils t’ont sauvé.

 

Manu, toi, prisonnier de ton tracteur, tu me rappelles l’homme du Calvaire. Lui,  tout jeune encore, au sommet de sa force,  est cloué à la croix. Il va mourir. La mort toute proche lui arrache aussi un cri terrible, un cri immense,  qui remplit le jour devenu nuit et transperce l’univers….

 

Manu, notre Terre est malade. Notre monde est plus  puissant que jamais mais s’enfonce toujours plus dans la nuit de l’autodestruction…. Manu, toi qui es maintenant passé de l’autre côté du grand mur, toi,  et tous les autres avec toi qui avez abordé la rive du Ressuscité, nous vous crions : « Faites quelque chose! »

 

                       Ton frère,

 

                                                  Eloy

Janvier 2022









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