UNE
RENCONTRE À HAUT RISQUE
Jésus
et Jean le Baptiste
Pas surprenant, Jésus,
que
les choses aient mal tourné pour toi.
Tu
as joué avec le feu
et
tu t'es brûlé.
Commençons
par ta rencontre avec Jean le Baptiste.
Tout
le monde savait que ce gars-là
était
un type dangereux,
un
marginal, un alarmiste
qui
remettait tout en question.
Aujourd'hui,
plusieurs l'auraient pris
pour
un anar, un "terroriste" ou un
"wôke"...
Mais
les résistants, les pauvres et les méprisés
l'acclamaient
comme un grand prophète.
Toi,
Jésus,
simple
travailleur d'un bled perdu de Galilée,
toi
qui faisais partie des anonymes et des méprisés,
tu
as couru le risque
d'aller à la rencontre de Jean.
Tu
l'as trouvé aux portes du désert,
sur
le bord du Jourdain,
les
deux pieds dans l'eau
et
une peau de chameau sur le dos.
Il
y avait du feu en lui,
de
la passion dans son cœur.
Il
s'en prenait aux gouvernants et aux prêtres
ainsi
qu'au peuple.
Il
les comparait à un arbre pourri.
Il
brandissait un semblant de hache
en
faisant mine de couper l'arbre
pour
signifier le sort qui les attendait
si
bientôt ils ne donnaient pas à leur vie
un
virage de 180 degrés.
Jean
fit resurgir dans ta mémoire le vieil Élie
lorsque
tu l'entendais appeler le feu du ciel
sur
les divisions internes,
les
inégalités sociales, la corruption,
la
haine et les innombrables violences
qui
réduisaient le peuple à une loque
et
pavaient le chemin aux invasions étrangères.
D'ailleurs,
la puissante Rome était déjà dans le pays;
elle
l'occupait avec ses armées omnipotentes,
l'exploitait
à coups de bottes
et
faisait couler le sang à torrents.
Jean
s'en prenait aussi au "bon peuple",
à
ceux-là qui, malgré tout,
demeuraient
fidèles au Dieu d'Israël.
Il
leur reprochait leur apathie,
leur
naïveté de dévots
et
surtout leur foi de maîtres-chanteurs.
Car
ils traitaient Dieu
comme
une propriété nationale
et
comme leur otage.
Ils
pensaient avoir un DROIT sur lui.
Devant
les drames sociaux et politiques,
ils
restaient les bras croisés,
parce
qu'ils considéraient que Dieu lui-même,
grand
ami et allié de leur ancêtre Abraham,
avait
l'obligation d'intervenir
et
de renverser la situation en leur faveur.
De leur côté, les prêtres et les rabbins,
(dont la carrière dépendait des caprices
des Romains),
avaient
une peur bleue que le peuple se révolte
et
qu'eux doivent en payer le prix.
Ils
s'efforçaient de calmer la colère grandissante
en chantant à l'oreille des opprimé(e)s
les
pieuses rengaines de toujours
sur
les beautés de la paix et de la patience
et
surtout de l'absolue soumission
à
la sainte volonté de Dieu.
Selon
leur théologie,
(qui
n'a pas beaucoup changé au cours des siècles),
Dieu
permettait l'occupation romaine
avec
tous ses ravages
pour
les punir de leurs nombreux péchés.
Cela
n'était que juste, affirmaient-ils,
mais
Dieu, dans son insondable bonté,
leur
donnait la chance de se racheter
à
condition de revenir avec force
au
culte, à la prière et aux sacrifices,
et
d'accepter sans rouspéter
leur
châtiment bien mérité.
Tout
autre son de cloche
chez
Jean le Baptiste.
Pour
lui, l'heure n'était pas
aux
prières et aux sacrifices,
mais
à la justice et au partage.
Aux
gens qui entassaient les richesses
il
disait: "Donnez la moitié de vos biens aux pauvres!"
Aux
collecteurs d'impôts: "Arrêtez de voler!"
Aux
militaires: "Cessez d'abuser du peuple!".
À
la police: "Contentez-vous de votre salaire!"
En
un mot: finissez-en avec l'injustice,
dépouillez-vous
d'elle comme d'une vielle peau
et
tirez-vous à l'eau pour vous refaire à neuf!
Ces paroles
coulèrent en toi, Jésus,
comme une eau
fraîche dans la gorge
d'un pèlerin du
désert.
Elles avaient un
goût de parole de Dieu.
À l'instant même, tu
laissas tomber ta
tunique,
puis, à
tes
risques et périls,
nu comme un ver,
tu plongeas tête
première
dans
le fleuve
et dans le grand
mouvement de Jean.
Ce
fut ton
"baptême"
(justement "baptême" veut dire
"plongée").
Or, une fois sous
l'eau,
en pleine apnée évidemment,
tu as eu la surprise
de ta vie.
Le temps d'un éclair,
tu entras dans un
état
étrange et
merveilleux...
Idées, rêves, désirs,
soucis,
images, concepts,
projets,
dogmes, règles,
structures
tout cela s'envola
comme brume.
Ce fut comme si ta
"conscience ordinaire",
(celle de tous les jours, celle de l'ego)
avait soudain été
"submergée" ...
dans une
"conscience plus profonde".
(que tout le monde possède mais que la
plupart ignorent).
Comme un ruisseau
entre dans la mer
tu étais entré dans
la présence
de CELUI QUI EST.
Tu voyais l'Invisible,
tu touchais l'Intouchable,
tu entendais l'Ineffable,
tu t'abreuvais à la source même du Verbe
et faisais le plein de son Souffle.
Tout ce que jusque là
tu avais cru solide
et vrai
te parut vide et
inexistant.
Pour la première fois
de ta vie,
tu touchais le Réel.
Ce fut l'ÉCLOSION,
l'ÉVEIL, L'ILLUMINATION.
Tu venais au monde
comme FILS bien-aimé
du Père.
À la fois tu naissais
comme ÉVEILLÉ
et comme ÉVEILLEUR.
Dans
les profondeurs de ton être,
la
totalité de ta réalité humaine
s'était
déployée.
Elle
était UNE,
sans
séparation aucune
d'avec
le reste de l'humanité,
ou
d'avec la création,
ou
même d'avec la divinité.
En même temps,
tu voyais l'ensemble des humains
comme des filles et des fils bien-aimés
de Celui-qui-est,
attachés les uns aux autres
comme les rayons d'un même soleil,
jouissant de la liberté la plus pure
dans une diversité aux nuances
et aux beautés sans fin.
C'est là que tu as embrassé ta mission
d'éveiller les humains
à ce que nous sommes en vérité
au plus profond de nous-mêmes:
femmes et hommes semblables à toi,
intégralement sains comme toi,
brillants de lumière comme toi,
et, comme toi, en harmonie parfaite
avec l'univers immense
et avec l'inépuisable Source de tout ce qui est.
Alors, Jean
le Baptiste, que le bon peuple regardait
comme
le plus grand de tous les hommes,
commença
à pâlir et à s'effacer tout doucement
comme
la Lune à l'approche du Soleil.
C'était
dans la lumière du Buisson en feu
que
Moïse avait reçu la mission de libérer son peuple
des
chaînes de l'esclavage,
ce
fut dans ta plongée lumineuse du Jourdain
que toi, Jésus, tu reçus la mission de délivrer l'humain
des chaînes mêmes de la
mort.
Contrairement à Moïse,
aucun rayon de lumière
n'est resté collé à ton visage.
Tu demeuras homme
comme tous les autres,
sauf que...
tu ne plias pas le genou
devant les maîtres-esclaves de la loi
qui auraient tellement été enchantés
de t'entendre répéter à la lettre leurs plus beaux discours,
ou qui t'auraient sans doute invité à leur table
si tu t'étais contenté d'être simple porteur
des consensus aseptisés du bon troupeau.
Avec toi, Jésus, commençaient un nouveau langage,
une nouvelle vision et un interminable combat
pour un monde radicalement nouveau.
Alors tu quittas le
pays de Jean
en direction de ta
Galilée natale,
sur une route non
tracée d'avance
où t'attendaient d'autres
risques...
À suivre...
Eloy Roy
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