ABDUL SAM-ON
![]() |
Kurier.at |
Abdul Sam-On,
Tu es Birman et tu as 14 ans. Depuis huit ans, tu vis en
Thaïlande. La Birmanie bouddhiste d'où tu proviens est dirigée par des
militaires sanguinaires qui chassent et tuent les Rohingyas comme toi parce que
vous êtes musulmans et soupçonnés de terrorisme.
Tu n'avais que 6 ans lorsque tu as été forcé de prendre le chemin
de l'exil avec des centaines de milliers d'autres personnes de ton ethnie et de
ta religion. C'est ainsi que tu as échoué en Thaïlande.
En ce pays, toutefois, tu ne jouis d'aucun droit, car tu n'as pas
de document d'identité. Tu ne peux même
pas être reconnu officiellement comme réfugié. On te tolère comme un migrant
illégal, et rien de plus.
Puisque tu n'es personne et
que tu n'existes pas devant la loi, n'importe qui peut profiter et abuser de
toi. N'empêche que tu parles cinq langues: le birman, le thaï, l'anglais, le
mandarin et le wa. Tu joues de la guitare, tu vas à l'école et tu es un excellent
joueur de football dans l'équipe des Sangliers sauvages.
En juillet dernier, lors d'une excursion, toi et tes amis Sangliers, vous étiez en train
d'explorer l'entrée d'une grande caverne quand soudain des pluies diluviennes
de la mousson ont tout inondé. L'eau s'engouffrait avec une telle furie derrière
vous que avez été incapables de rebrousser chemin. À mesure que vous cherchiez à vous réfugier le
plus loin possible dans les cavités rocheuses, l'eau montait.
Les jours passèrent. En raison de la crue, le peu d'espace qui
vous permettait de respirer sur le petit promontoire boueux où vous aviez réussi
à vous blottir, se rétrécissait de jour en jour. Ce fut l'horreur: obscurité
totale, rien à manger, très peu d'air pour respirer et à peine un petit filet d'eau
pour survivre.
Ce cauchemar a duré neuf jours jusqu'à ce que des plongeurs
britanniques parvinrent à vous repérer.
L'opération de sauvetage, compliquée et risquée à l'extrême, n'a pu
démarrer qu'après huit autres longues journées. Au cours de cette opération, un
des plongeurs thaïlandais a perdu la vie.
À la fin, vous avez risqué le tout pour le tout, et vous êtes heureusement tous sortis de là indemnes.
Ceux qui en furent témoins parlent de miracle.
Comment cet exploit a-t-il pu se réaliser?
Toi, Abdul Sam-On, tu as été l'homme de la situation.
Étant le seul à pouvoir communiquer en anglais, c'est toi qui
as connecté ton groupe avec le groupe de sauveteurs
britanniques. Tu as été le fil conducteur de vie entre les deux
groupes. Sans ta connaissance de l'anglais, sans ta vivacité
d'esprit et ta débrouillardise, en un mot, sans toi, jeune
Rohingya sans-papier et immigré illégal, cette grotte aurait été
ta tombe et celle de tes bons amis Sangliers.
Merci à toi de tout cœur, cher Abdul Sam-On, pour ce que tu es et
ce que tu as fait. Merci aussi aux bons
Thaïlandais chrétiens qui, huit ans auparavant, t'ont accueilli comme un de
leurs propres fils dans leur foyer. Ces bonnes gens au grand cœur t'ont
transmis leur foi en un Dieu qui n'aime
pas seulement les chrétiens, les bouddhistes, les Birmans et les Thaïs, mais
aussi les musulmans, les Rohingyas, les sans-papier, les réfugiés, les
migrants, les étrangers et les illégaux.
Bien entendu, il aime grandement aussi
les braves sauveteurs australiens, britanniques et thaïlandais.
À leur sortie de la caverne, tes compagnons Sangliers ont raconté avec émerveillement et émotion qu'au fond de
la grotte tu avais beaucoup prié Dieu, et ils étaient ravis de voir qu' il t'avait
écouté.
Toi qui, aujourd'hui encore, continues d'être un zéro devant la
loi, tu as bel et bien été le "sauveur" de tes douze frères. Ton
histoire est belle. Elle ressemble étonnamment à celle du jeune Joseph de la bonne vieille Bible.
Elle est même semblable à celle de Jésus, qui avait douze copains lui aussi. Pendant
sa courte vie il n'a rien épargné pour nous connecter entre nous, les humains, et nous mener, à travers détours,
montagnes et ravins, à la sortie de bien
des cavernes, y compris l'énorme caverne de notre mort.
Eloy Roy
Merci cher Père Eloy. J'avais lu ce texte l'an dernier. Je le relis aujourd'hui (en compagnie de Guy, mon compagnon de vie). Et vos commentaires sont tout aussi percutants, touchants.
RépondreEffacer