JETÉ À LA MER
Henri Coursol, 92 années de jeunesse et de libération
ET «SAUVÉ DES EAUX»
par: Eloy Roy
Henri
raconte qu’à son arrivée à Choluteca en 1954, il est tellement immergé dans l’eau bénite et les
baptêmes qu’il a l’impression d’avoir été
jeté à la mer. Les files d’attente pour faire baptiser les enfants n’ont pas de
fin. Cet énorme appétit pour les baptêmes vient du fait qu’il y a depuis
longtemps disette de prêtres dans cette région « très catholique » du
sud du Honduras.
C’est
donc la mission à l’envers : par respect pour la culture locale il faut se
résigner à commencer par les sacrements et finir par l’Évangile, alors qu’on devrait
faire le contraire. Enfin, à la grâce de Dieu!
Le sud du
Honduras n’attire pas les étrangers; cette région n’est pas seulement, mais
elle est aussi ravagée par la malaria. Dans une lettre adressée à Edgar
Larochelle, alors Supérieur général de la SMÉ, Henri décrit la situation en ces termes: « Ici, nous
sommes dans un trou abandonné de Dieu et des hommes. On travaille sans arrêt,
on sue à grosses gouttes, les moustiques ont un appétit féroce, la malaria et
les amibes peuvent nous tomber dessus à tout moment. Pour comble, beaucoup de
gens du pays ne veulent rien savoir des curés! » Le Supérieur lui répond :
« Si on vous a envoyés là, c’est justement à cause de la situation que tu nous dépeins,
car c’est dans un endroit comme celui-là qu’on a le plus besoin de nous.
Courage! Nous allons vous envoyer des renforts. » De fait, la SMÉ a envoyé
beaucoup de monde au Honduras. On n’a jamais été seuls.
Avant l’arrivée
des missionnaires du Québec, il est rare qu’un prêtre du pays se risque à faire
la tournée de la région. L’aventure n’est pas de tout repos. En plus des
éprouvants trimbalages à dos de mule à travers les montagnes, sous une chaleur
accablante à longueur d’année, le prêtre
est à la merci des chefs de territoires qui partout font la pluie et le beau
temps. Les baptêmes, les messes en latin et les «responsos» pour les morts sont
illimités et sont une fastidieuse corvée pour le pauvre prêtre itinérant qui gagne
ainsi sa vie, tristement et péniblement.
Seuls,
surchargés de travail et traités bien souvent
comme des mercenaires, ces prêtres ont craqué l’un après l’autre sans laisser de traces de vertu. Si bien que
lorsque les gens voient arriver les
Canadiens dans leurs soutanes blanches, ils
les prennent pour d’autres exploiteurs venus, cette fois, de l’étranger... Dans
les centres les plus importants, on les regarde avec méfiance, parfois même avec
mépris, seulement parce qu’ils sont prêtres. Mais, chez les paysans, il en va
tout autrement : très tôt, avec ces braves gens de la montagne, les
nouveaux missionnaires se font amis pour la vie.
La
mission prend racine surtout chez ces petits agriculteurs de la campagne, les
plus pauvres, bien souvent, et les plus éloignés, car ils sont les plus
ouverts. Et peu à peu elle se transforme en un gigantesque mouvement pour le
relèvement de ces zones défavorisées. « Mon évangile se résume en deux
phrases, déclare Henri : à qui est dans le besoin, donne-lui un coup de main; à
qui est écrasé, relève-le! ». Très vite cet évangile se transpose en
engagement social et se transforme en un véritable combat pour un développement
humain embrassant la santé, l’éducation, la culture, la spiritualité, l’économie, la politique, en
un mot : tout l’humain.
Tous les
confrères se jouent pour cela; ils sont même combattus à cause de cela. Lui-même, selon une
source épiscopale à toute épreuve, a eu
le privilège d’avoir été charitablement étiqueté comme rien de moins qu’un « communiste »
par une haute instance de la sainte Église logeant à des milliers de kilomètres
de la réalité du Honduras … Son péché? Avoir soutenu avec force et amour, et par
toute sa vie, que la
Justice et la Libération sont Parole de Dieu aussi. Mais quelle joie,
cependant! Il n’est pas seul sur cette liste noire, car un certain Jésus de
Nazareth y figure sûrement à côté d’un tas d’autres personnes qui prennent
l’Évangile à cœur.
Cette
vision de la mission en termes de développement humain intégral et libérateur, Henri
la partage à cent pour cent avec Marcel Gérin, le confrère évêque de Choluteca;
elle a forgé entre les deux de forts liens d’amitié fraternelle.
En plaçant
les choses en perspective, et même en les jaugeant avec un œil critique, Henri
ne craint pas d’affirmer que, grâce aux multiples organisations sociales et à l’extraordinaire
vitalité qu’elles ont instillé dans les innombrables petites communautés
chrétiennes de la région, une très grande
partie du sud du Honduras est maintenant
debout. Il est conscient que la tâche est
loin d’être finie et qu’à certains
niveaux, elle est peut-être à refaire, mais il croit sincèrement qu’en
ce temps qui fut le sien, lui et ses compagnons de la SME ont abattu un boulot
remarquable.
« Grâce
à Dieu et à la Vierge » comme on dit au Honduras, grâce surtout au peuple lui-même qui est le
premier artisan de cette réussite, Henri n’est pas peu fier de la mission
accomplie. «Jeté à la mer» dès son arrivée au pays «catracho», il a été «sauvé des eaux» à plus d'un reprise, et il en a sauvé plusieurs avec lui!
Pour compléter:
Pour compléter:
Homélie aux funérailles d'Henri, par Alphonse Proulx
Laval, samedi 4 novembre 2017
2 Tim
4, 1-2.5-7a
Jn 11,
32b-36.38a.39-40
Bien chers frères et sœurs,
Mes premiers mots seront des souhaits de condoléances et des paroles
de solidarité dans la prière pour les membres de la famille et amis très
proches de notre confrère Henri Coursol, qui est celui qui nous rassemble
aujourd’hui dans la foi et l’espérance.
1.-La Parole de Dieu, tirée de l’Apôtre Paul et de l’évangéliste
Jean, que nous venons d’entendre, nous aidera grandement à illuminer la
personne, la vie et les œuvres de ce missionnaire exceptionnel. Dans la fleur
de l’âge, il décida avec grande détermination de donner sa vie au Christ
évangélisateur dans la Société des Missions-Étrangères du Québec, et de le
suivre comme missionnaire sur les chemins de l’évangélisation, d’abord à Cuba,
puis au Honduras, enfin au Québec même, après son retour définitif au pays en
1987.
**Les Supérieurs de 1949-50 découvrirent le grand potentiel de ce
jeune adulte tout d’une pièce. C’est pourquoi dès le début, après ses études de
théologie, ils l’envoyèrent suivre, pendant deux ans, une formation en
pédagogie à l’Université de Montréal, ce qui le marquera et lui servira toute
sa vie, en commençant par être professeur au Collège du Diocèse de Moncton (de
1952 à 1954), avec qui la SMÉ avait un engagement spécifique.
2.-Puis, il fut nommé à notre mission de Cuba, où il travaillera un
an. Ensuite, il devint pionnier et
co-fondateur de notre nouvelle mission du Honduras, ouverte officiellement
le 27 juin 1955. Il détecta rapidement les besoins urgents de la population en
éducation formelle. C’est pourquoi il fondera un Collège dans la paroisse San Marcos où il venait d’être nommé.
Puis, transféré à Choluteca, il y fondera également un collège, « La Salle », pour les
garçons. Au Petit Séminaire de la Capitale Tegucigalpa, où il fut Supérieur, il
verra à faire reconnaître, par des Diplômes officiels des Autorités civiles,
les études secondaires des candidats au sacerdoce dont il avait la charge.
**Partout et toujours, il s’efforcera de s’intégrer réellement dans son pays d’adoption,
d’être proche des gens, et de désirer et agir de façon à ce que l’Église, qui
était en pleine formation, soit une Église vraiment hondurienne.
**Il a vécu, avant la lettre, l’option préférentielle pour les
pauvres. Et il s’est consacré à une éducation populaire, une éducation à une
foi incarnée et concrète, surtout auprès des leaders de petites communautés,
Zélateurs de l’Apostolat de la prière, Moniteurs des Écoles radiophoniques, qui
sont devenus de vaillants Délégués de la Parole de Dieu et Animateurs ecclésiaux de leurs communautés.
3.-De tempérament fougueux,
lutteur et combatif, dans le style de saint Paul, on lui confia plus tard
des missions risquées et très dangereuses. Par exemple, en 1975, comme
Directeur National de Caritas, les Évêques du Honduras lui demandèrent d’aller
investiguer, dans un diocèse voisin, un assassinat et massacre de deux prêtres
missionnaires et de 12 paysans, crime commis avec la complicité de Militaires
qui étaient au pouvoir à l’époque. Les grands propriétaires terriens étaient en colère parce que les petits
travailleurs paysans, conscientisés par l’Église, réclamaient la mise en œuvre
d’une véritable Réforme agraire, qui leur donnerait leur juste part pour
pouvoir vivre décemment. Ces « latifundistes »
s’étaient donc jurés de faire disparaître de ce Département (et Diocèse)
l’ensemble des prêtres et religieuses catholiques, par tous les moyens, quels
qu’ils soient. Il régnait donc une atmosphère lourde de crainte et de peur chez
les gens d’Église de tout le pays. Le
père Coursol savait donc très bien qu’il risquait sa vie en allant sur les
lieux, avec mandat d’investiguer et de démasquer l’identité des assassins
pour les faire comparaître devant les Tribunaux. Mais rien ne l’arrêtait, puisque sa démarche était un combat pour
que justice soit faite, et justice pour des démunis, pauvres et exclus.
4.-Homme de défi et de grand
courage, il s’offrira de 1979 à 1987 (avec
un confrère qui l’appuyait totalement : Jean Ménard, pmé), pour aller
aider, pendant huit ans, l’Église du pays voisin, le Nicaragua, dans un moment
où les forces de l’Armée sandiniste venaient de « détrôner » la dynastie
des dictateurs Somoza. Mais le calme et la tranquillité n’étaient pas encore
vraiment assurés dans le pays, et beaucoup de sang était encore versé dans les
conflits entre factions opposées. C’est dans ces années que sa jeep bleue
Mitsubishi, et surtout sa propre personne demeurait constamment à l’affût, nuit
et jour, pour aller secourir des blessés graves et ensanglantés, et les amener
à l’Hôpital le plus proche. **Comme Jésus pleura la mort de Lazare avec Marie
sa sœur et la foule éplorée, combien de fois
le Père Coursol aura-t-il eu à pleurer, lui aussi, et à consoler des mères de famille qui venaient de perdre leur fils
ou leur mari, dans ces conflits sanglants qui marquèrent cette période au
Nicaragua ?
5.-Vraiment, notre confrère Henri Coursol s’est efforcé de mettre en
pratique les exhortations de saint Paul à son cher disciple Timothée : « Prêche la Parole de Dieu et
annonce-la avec insistance, --que l’occasion soit favorable ou non--; persuade et encourage avec une patience
parfaite ». **Puis, cette autre parole de saint Paul : « J’ai combattu le bon combat, je suis
allé jusqu’au bout de la course. L’heure est maintenant arrivée où je vais être
offert en sacrifice. »
6.-Après son retour définitif au pays, le père Coursol continuera de
cumuler des postes importants, en particulier Supérieur de cette Maison
Centrale, puis du Camp Desjardins pendant plusieurs années, où il continuera
son œuvre d’évangélisateur et s’y fera de nombreux amis, qui ont leurs
représentants ici même aujourd’hui dans cette Célébration [et que nous saluons avec joie].
7.-EN TERMINANT, méditons et contemplons avec les yeux de la foi son
destin et sa récompense finale, selon ces paroles de Jésus à Marthe, sœur de
Lazare, que Jésus s’apprêtait à ressusciter : « Ne t’ai-je pas dit que si tu crois, tu verras la gloire de Dieu?
**Assurément, le Seigneur ne nous a pas tous appelés à réaliser les mêmes gestes héroïques
que le Père Henri Coursol, mais Il nous appelle chacun, chacune de nous, selon
notre état de vie et les dons et talents qu’il nous a donnés, à vivre dans la
foi et le service du prochain en besoin. Et, à nous aussi, Jésus nous
dit : « SI TU CROIS, TU VERRAS LA GLOIRE DE DIEU ». Amen.
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