Lumière
LUCÍA
François d'Assise tomba amoureux de Dame Pauvreté et l'épousa |
Lucía a l’âge des veilles femmes de la
Bible. Elle est toute menue mais de haute taille. Sous des dehors qui cachent
mal sa pauvreté, elle est encore droite comme un arbre.
Personne ne peut croire que cette
femme si frêle a déjà été dompteuse de chevaux.
Et une infatigable danseuse.
Chaque année, autour de la fête de la
Vierge du Rosaire, elle partait en courant vers le mont Sixilera où l’attendait
la Mamita. Aux petites heures du matin, le « misachico » amorçait sa
longue descente jusqu’à l’église du village. Cette randonnée de vent, de poussière et de soleil de plomb durait
au moins une douzaine d’heures, et frôlait souvent des sommets où les animaux
eux-mêmes avaient peine à respirer. Tout au long du sentier de pierres
chauffées par le soleil, Lucía allait nu-pieds et, au son de la musique des
sikuris, elle dansait à cœur joie en
précédant l’image de celle qu’elle appelait « sa petite Mère ».
D’après ce qu’on raconte, elle ne faisait que de rares pauses pour reprendre
son souffle.
Depuis qu’une mort accidentelle lui a
enlevé son fils unique, Lucía reste seule avec deux petits-fils déjà orphelins
de leur mère, morte en donnant naissance au plus jeune. Pour nourrir ses
petits, la vieille Lucía fait de menus travaux dans les champs des voisins.
Ses seuls biens sont cinq plants de
maïs, deux petites poules de marque « bendy » et une hutte de terre couverte d’une feuille de tôle, au milieu d’une rivière desséchée. C’est
là qu’elle se réfugie avec les deux enfants.
Un jour, je m’emmène chez elle avec Eduardo.
Lucía est ravie de nous voir. L’intérieur de la maisonnette est complètement nu et n’a pour chaises que
trois anciennes caisses de bouteilles d’eaux gazeuses. Chacun de nous prend
place sur une caisse. Nous étions certains que toutes ces caisses étaient vides,
mais Lucía, avec des yeux malicieux, allonge sa main sous la sienne et en tire une
grosse bouteille de bière!
En rigolant comme de jeunes
délinquants, nous ouvrons la bouteille.
-
Offrons un toast!, s’exclame Lucía.
-
À qui?, demande
Eduardo aussi fasciné que moi.
-
À mes deux amis.
Ces deux amis sont les petites statues
de deux saints qu’éclaire une faible bougie dans un coin sombre de la pièce.
Deux statuettes magnifiques dans leur niche peinte de fleurs : l’une de
Saint Jean-Baptiste avec son agneau et l’autre de Saint Marc avec une petite
vache.
-
Ce sont eux qui prennent soin de moi, nous confie Lucía d’une
voix attendrie en pointant pieusement un doigt vers le ciel.
Lucía n’a rien et donne tout. À Noël et
à Pâques, elle fait la tournée de ses amis les plus chers pour leur offrir un
petit œuf issu d’une de ses minuscules poules. Elle l’appelle son «œuf
sacré ». Elle n’accepte d’être payée que par un bisou, comme ceux qu’on se donne à tout moment en
Argentine. Car la joie de donner est son luxe à elle; c’est son grand trésor.
« Lucía » veut dire
« Lumière ». Elle porte bien
son nom, car elle rayonne en me disant:
-
Je ne manque de rien, mon petit père. J’ai tout ce qu’il me faut.
Dans la fente de ses yeux qui semblent
voir l’infini, je crois voir écrit en
grosses lettres : «Seul Dieu suffit ».
Eloy Roy
Votre histoire est adorable.
RépondreEffacerMerci et bon dimanche.
Brigitte