LE CRUCIFIX DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE
« Il sera un signe en butte à la contradiction » (Luc 2, 34)
Dans le Québec d’autrefois le
crucifix était roi. Il était la marque
d’appartenance à l’Église catholique. Pour certains il n’était qu’une simple
décoration ou un objet de superstition. Pour bien d’autres, il était le symbole
vénéré de l’amour extrême de Dieu pour l’humanité, ainsi qu'il est écrit dans
l’évangile : « Dieu a tant aimé
les humains qu’il leur a donné son Fils unique, non pour les condamner, mais
pour les sauver » (Jean 3, 16-17).
Mais dans le Québec d’aujourd’hui,
les crucifix ont pratiquement disparu. On n’en trouve que dans les églises, les maisons
religieuses et quelques rares foyers. Ou dans des musées.
Chose curieuse, le salon bleu de
l’Assemblée nationale n’a pas perdu son crucifix. Par un miracle dont seule la
politique a le secret, il exhibe toujours son crucifix, bien accroché au-dessus
du fauteuil du Président. Il n’a pas bougé depuis des années. Pour combien de
temps encore? Nul ne le sait. Pour le moment, il divise les Québécois en deux
camps qui se crêpent le chignon comme un tas de coqs dans un même poulailler.
D’un côté, les tenants d’une laïcité stricte de
l’État réclament sans pitié la tête du crucifix. De l’autre, des croyants ou
non croyants, qui reconnaissent dans ce symbole religieux tout un passé qui a
contribué largement à forger l’identité culturelle de la nation, tiennent mordicus
à ce qu’il reste là.
Je demande à Jésus ce qu’il en pense. Il me répond
tout de suite, sans montrer aucun signe de
vouloir brandir contre la laïcité les foudres de la divinité. Au
contraire, il est tout sourire et semble me dire:
- Tu
sais bien que je ne vis pas dans les crucifix...
Je vis
dans le génie du peuple de ce pays qui a grandi comme un grand arbre et
résisté à tous les vents. Ces dernières années, des branches d’essences
nouvelles sont venues nombreuses se greffer sur lui. J'aime les racines de
ce peuple capable de porter la vie et l’avenir de tant de monde.
J'aime la
liberté, la créativité et l’impétuosité qui marquent sa jeunesse. J'aime la
justice qu’il ne cesse de chercher. J'aime sa compassion et ses élans
de solidarité. J'aime les facettes nouvelles qui donnent à son visage des airs
de famille avec toute l'humanité…
Je vois que Jésus a de l’affection
pour les braves gens qui désirent honorer Dieu en défendant les symboles de leur passé religieux :
« Sans les racines, insiste-t-il, il n’y a pas d’arbre ». Par contre,
il semble souhaiter que tout le monde revisite cette page de l'Évangile où
il est dit que la vie, l’avenir et même le salut ne se trouvent pas dans les
vieilles outres, ni dans le raccommodage de vêtements qui ne se portent plus
(Marc 2, 21-22).
Pour aller plus loin :
Le crucifix est
d’abord l’image de cet homme réel, appelé Jésus, qui a été cloué à une croix.
Par qui? Par les chefs religieux et le pouvoir colonial de sa nation.
Pour quel crime?
Celui d’avoir
incité son peuple à se débarrasser de la peur chronique dans laquelle le fondamentalisme
religieux et le cynisme de ses dirigeants le tenaient garrotté.
D’abord accueilli
comme un messie et même acclamé comme un dieu, il n’a pas tardé à décevoir. Les
gens du petit peuple qui s’attendaient à ce qu’il leur bourre la panse et résolve
tous leurs problèmes sans devoir changer leur mentalité d’esclaves, lui ont
tourné le dos. Ceux qui croyaient que la seule façon de changer les choses
était de prendre les armes, l’ont rejeté.
Et ceux qui prétendaient qu’il fallait plutôt se tourner vers la
religion en en pratiquant les moindres détails, l’ont simplement pris pour un
démon. À la fin Jésus est resté seul. Et on le tua.
Malgré cet échec, et en dépit de bourdes sans nom commises par
les nombreux faux disciples venus après lui, cet homme continue d’être une
source d’inspiration inégalée pour les humains qui cherchent à vivre en liberté
dans un monde de justice et de fraternité. Et il l’est tout autant pour beaucoup
de gens qui espèrent encore que la mort ne soit pas le dernier mot sur la vie.
La relation intime
avec le Dieu vivant a été le grand secret de la vie de Jésus. De cette source ont
jailli les idées-forces qui l’ont guidé sur
son chemin et ont triomphé avec lui de l’ultime épreuve de la croix. Parmi
elles, nous retiendrons celles-ci :
Toute
loi, même celle que l’on croit marquée de l’autorité suprême de Dieu, n’est pas
vraiment de Dieu si elle accable au lieu de rendre libre.
Aucun
pouvoir n’est légitime s’il se sert des humains au lieu de les servir.
Dieu
ne remplace pas l’État et l’État n’est pas un dieu.
Les
femmes, les enfants, les personnes et les peuples traités comme inférieurs jouissent
de la même dignité et des mêmes droits que les individus et les groupes qui s’estiment
supérieurs à eux.
Tout
être humain : étranger, ennemi, pécheur, criminel, brisé dans son corps ou
dans son esprit, a droit à être traité avec respect, justice et bonté.
Toutes
ces grandes activités de la vie comme la culture, l’économie, l’art, la science,
l’éducation, la santé, les communications, la politique, la morale et la religion,
si elles ne mettent pas la personne humaine et le bien commun au centre de
leurs préoccupations, loin de diminuer les souffrances de l’humanité, risquent
grandement de les aggraver.
Tout
ce que l’on fait au dernier des humains, est fait à toute l’humanité; et, pour ceux qui croient en Dieu, c’est à Dieu lui-même que cela est fait.
Combattre
un mal par un autre mal est le moyen le plus sûr de finir par se laisser avaler
par le néant.
Le
Dieu vivant n’est prisonnier d’aucun temple, car il n’a pas d’autre demeure que
les êtres humains; et il n’a pas de plus grande joie que de les voir s’aider à
se tenir debout.
Toute
dictature, même celle qui semble vouloir se légitimer par le Progrès, la Religion
ou la Paix, est hypocrite et criminelle; tôt ou tard elle engendre corruption,
aliénation et misère et doit être chassée à coups de fouet. (Ceci s’applique, bien sûr, à la
dictature du Marché des plus grands escrocs du monde qui se font une joie de saccager
le grand Temple de la Terre sous le prétexte absurde d’en assurer l’avenir…).
Le
vrai Progrès est celui dont les bienfaits s’étendent à tous les hommes et à toutes les femmes de la
Terre, et non seulement à une poignée d’hommes et de femmes qui possèdent déjà plus
de biens que tous les pauvres de la planète mis ensemble.
La
vraie Religion consiste à aimer gratuitement, car c’est gratuitement que Dieu
aime tout ce qui est.
La
vraie Paix, la seule qui mérite ce nom, est celle qui se construit sur la justice
et qui a en horreur toute forme de mensonge.
Pour avoir vécu en
accord avec ces principes et pour les avoir propagés, Jésus est torturé et
condamné à la croix comme un rebelle, un scélérat et un apostat. Voilà ce que
signifie le Crucifix.
Un homme, en qui
certains voient le Fils de Dieu, est rejeté parce qu’il remet en question la
façon très étroite et peu humaine dont nous, les humains, avons l’habitude de
voir les choses et de nous gouverner.
Très souvent nous
préférons nous accrocher à nos crucifix plutôt que de prêter attention à ce
qu’ils signifient.
Ou carrément nous nous
débarrassons de ces crucifix parce que trop longtemps ils ont été utilisés pour
sanctifier tout le contraire de ce qu’ils signifiaient.
Eloy
Roy
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