4 août 2022

 

Jésus n'était pas un philosophe tranquille, ni un pieux "coach" de vie, encore moins un clerc au service d'un culte.

           BIBLE STORY                          

JÉSUS, 

HOMME DE RISQUES


Partie 1

À couteaux tirés avec les Dinosaures


Cette première partie  a déjà été publiée dans le blogue de février 2022.

La seconde partie commence plus bas.

 

JÉSUS, tu t'es confronté à trois sortes de Dinosaures:

 

 1- Les Sadducéens : la plupart étaient des prêtres, tous ultraconservateurs. Ils  détenaient très serrées les rênes du pouvoir et voyaient des ennemis partout. Toi, au contraire, tu étais l'homme de l'ouverture à tout le monde. Tu étais l'homme du peuple, tu étais l'homme des exclus.

 

2- Les scribes et les Pharisiens : hommes savants qui contrôlaient rigoureusement l'opinion publique. Ils auraient pu être tes amis, mais plusieurs d'entre eux étaient des fondamentalistes. Ils  mettaient la loi au-dessus du bien des individus, alors que toi, tu la mettais au service des personnes. Eux étaient les hommes du mot-à-mot des codes de moralité, toi, tu  étais l'homme du cœur,  l'homme de l'Esprit, l'homme du bon sens.

 

3- La Police, l'Armée, les grands propriétaires terriens, les usuriers, les gros marchands et bien d'autres...qui n'avaient aucun intérêt à ce que les choses changent. Toi, tu étais l'homme du changement. D'un changement en profondeur. D'un changement permanent comme la vie!

 

Les Dinosaures étaient l'INERTIE, toi, tu étais le MOUVEMENT.

 

Toi, Jésus, plus tu fascinais les foules par ton interprétation large et libératrice de ce qu'on considérait la "Parole de Dieu", plus les Dinosaures grinçaient des dents. Plus on t'applaudissait, plus les Dinosaures te posaient des pièges et t'affublaient de titres aussi honorables que charlatan, hérétique, illuminé, fou, ivrogne, goinfre, subversif et démon. À peine ouvrais-tu la bouche que déjà les Dinosaures t'enterraient vivant.

 

Parenthèse: tous ne mordaient pas

 

 À noter que les Dinosaures n'étaient pas tous des enragés. Le plus grand nombre d'entre eux avaient peu de dents et campaient à mi-chemin entre les durs de leur bande et les voies nouvelles que tu ouvrais devant leurs yeux. À l'heure de choisir, cependant, ils regardaient ailleurs et restaient muets. Ils ressemblaient étrangement à la plupart d'entre nous, les chrétiens de presque toujours : ni figues ni raisins. 

 

Avertissement de première importance 


Le langage des évangiles et de tous les anciens écrits chrétiens n'a rien à voir avec l'objectivité savante telle que nous l'entendons de nos jours. Les auteurs de ces écrits ne cherchaient nullement à faire un relevé détaillé de la vie de Jésus. Ils voulaient seulement  transmettre quelque chose de l'énorme impact que Jésus avait eu sur leur vie personnelle et sur celle d'un tas de gens de leur entourage. Tant et si bien que, malgré la fin atroce qu'il subit sur la croix, il continuait plus que jamais à vivre en eux et à faire des merveilles  à travers eux.  (Pour aller plus loin sur ce sujet: voir la Note 1 à la fin de ce blogue).

 

Face à la crise

 

Ton peuple, mon cher Jésus,  traversait une crise sans précédent. Ses chances de survie et de sauver son identité étaient au plus bas. Deux grandes forces le tenaient en étau: la très puissante et séduisante culture grecque qui balayait tout sur son passage, et l'implacable armée romaine qui, depuis des années, s'était emparée du pays et le maintenait sous sa botte.

 

Pour toi, il ne suffisait plus de sauver les meubles ou de recoller les pots cassés, il fallait changer. Il fallait renoncer à retourner en arrière, il fallait foncer vers l'avant, vers le différent, vers le neuf, même au risque d’y laisser sa vie. "Suivez-moi!" était ton mot d'ordre.

 

Suivez-moi chez les prophètes.

 

Tu voulais qu'on se connecte à ces héros qui revendiquaient des changements radicaux. Jean le Baptiste était de ceux-là, lui  qui criait dans le désert: "Redressez ce qui est croche! Tournez à l'envers (metanoïa) ce monde injuste et remettez-le à l'endroit! "  (Luc 3, 3 et ss)

 

Tu voulais qu'avec Jean et les prophètes on te suive dans le monde réel plein de lépreux, d’aveugles, de sourds, de muets, de boiteux, de mendiants, d’estropiés, de spoliés; tu voulais qu’on te suive dans ce monde d'échines courbées, d'affamés, de dispersés et de réfugiés. Tu voulais qu'on coure le risque de la rencontre avec des milliers de paysans arrachés à leur terre (encore aujourd'hui ils sont des centaines de millions sur la planète), déracinés par l'argent et par les armes de ceux-là qui se donnent le droit de couper les forêts, voler les troupeaux, saigner à blanc les entrailles du sol, bouleverser le climat, créer la famine, les sécheresses et les inondations, semer la terreur et le chaos, corrompre les  gouvernements pour en faire des marionnettes au service de leur empire partout sur la planète. Tu voulais qu'on parte avec toi et qu'on aille insuffler à toutes les victimes, à tous les écrasés, à tous les morts-vivants qui ne demandaient qu'à vivre, un souffle de justice, de libération, d'amour et de résurrection.

 

C'est au milieu de ce monde-là que tu vivais (et que tu vis encore). C'est au milieu de ce monde brisé que tu menais tes actions avec une immense passion, en passant souvent par les synagogues mais sans t’attacher à une organisation religieuse particulière, à aucune école, à aucune autorité, à aucun dicastère spécial (même pas à une petite paroisse!) (Matthieu 7, 29; 21, 23-27).  Jamais tu n'utilisais d'autres armes que ta propre personne, ta parole, ta conscience et l'amour de ton "Abba" (le mot gentil que tu utilisais pour parler de Dieu).

 

Tes actions étaient des mini-révolutions à l'intérieur de la grande révolution que tu souhaitais ardemment voir se répandre comme une conflagration par toute la Terre: «Je suis venu jeter un feu sur la Terre», disais-tu, « et comme je voudrais qu'elle soit déjà toute en flamme!» (Luc 12, 49). Tu nous souhaitais la Paix, la seule paix véritable, celle qui jaillit de la santé, de la justice, de la bonté et de la recherche de la vérité (Jean 14, 27). Tu rejetais nos paix cousues de fil blanc, de semi-vérités,  de mensonges, de calculs diplomatiques, de ruses, de lâchetés, de peurs, d'hypocrisies et de démissions: «Je ne suis pas venu apporter la paix, mais l'épée!» (Matthieu 10,34). 

 

Il est vrai que le  mot «révolution» n'est pas très canonique, mais qui peut dire que tu as été canonique une seule fois dans ta vie?

 

Le mot «dinosaures» n'est pas canonique non plus. Mais si on lui préfère un terme plus près des écrits évangéliques, on peut le remplacer par «corbeaux», «vautours», «vipères», «pourceaux», "chameaux" ou "boucs". Le choix est vaste.

 

Rencontre avec les travailleurs de la mer

 

(Marc 1, 16-20)

 

En Galilée, tu es tombé sur de rudes pêcheurs. Ces braves garçons, identifiés aux 99% de leur peuple, rêvaient de LIBÉRATION. Je dis bien "de LIBÉRATION", dans tous les sens du mot,  n'en déplaise aux Jean-Paul II de notre temps, aux Benoît XVI, à l'Opus Dei, aux  Marc Ouellet, Burke, Pinochet, Bush, Trump, et à tous les Ayatollahs, les Poutine, les Xi Jinping et les wôkes de toutes les couleurs et de toutes les époques. Et n'en déplaise aussi à toutes les prières eucharistiques, les missels et les bréviaires "passés date". Quoi qu'en pensent également les fonctionnaires de la théologie des séminaires d'hier et d'aujourd'hui, et tous les béni-oui-oui du monde entier. Excédés par les impôts, ces pêcheurs de Galilée en avaient ras-le-bol des autorités locales, de la police du temple et des troupes d'occupation du pays. S'ils n'avaient pas rêvé de LIBÉRATION, ils auraient été les plus beaux idiots de la Terre... Ils mangeaient  de la libération, ils en rêvaient comme en mangeaient et en rêvaient leurs ancêtres lorsque, mille cinq cents ans auparavant, ils étaient pris aux chaînes de l'esclavage en Égypte. Ils en mangeaient et en rêvaient un bon deux mille ans avant la naissance de Marx et de Lénine. Imaginez quel  merveilleux rêve, et quel abominable péché!.... Sans surprise, cette perspective de libération, et le mot "libération" lui-même (plus outrageant, semble-t-il, que le mot en "n") ont été complètement délités de l'horizon et de la conscience de l'immense majorité des chrétiens et chrétiennes qui prétendent marcher avec toi et tes amis galiléens. Je ne sais pas s'il y a une meilleure façon de dessaler le sel... (Matthieu 5, 13).

 

Ces pêcheurs de Galilée espéraient de toute  leur âme trouver un  leader, un sauveur, un messie, un roi, un chef puissant qui se mettrait à leur tête et les sortirait de leur pétrin de mort. Or, dès qu'ils t'aperçurent sur leur chemin, dès qu'ils te rencontrèrent, dès qu'ils t'entendirent parler, dès qu'ils virent ce que tu faisais, ils ont cru que toi, le charpentier de Nazareth, tu serais cet homme-là. Ils laissèrent tout et te suivirent. La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre. Les dinosaures te mirent illico sur leur liste de conspirateurs de gauche. On te fit suivre, on t'épia. On scruta à la loupe chacune de tes actions et de tes paroles. Toutefois, bien loin de te stopper, cette traque ne fit que t'éperonner. Tes déclarations devinrent des épées, et tes gestes, des électrochocs. Tôt ou tard,  tu allais le payer cher.

 

 

Rencontres avec les lépreux.

 

(Luc 5, 12-13; 17, 12)

 

Les lépreux étaient méprisés, maudits même, parce que, depuis toujours, il était de croyance absolue que c'était Dieu qui les punissait à coups de lèpre en raison de leurs répugnants péchés, réels ou supposés. Cette croyance, d'après toi, était le comble de l'ignorance et de l'absurdité. Elle était surtout le visage d'une religion ignorante et cruelle qui, impuissante à guérir, rendait la maladie cent fois plus pénible à supporter. Contrairement donc à cette espèce de dogme prêché depuis des siècles par les hommes de religion, tu  voulus que l'on se mette dans le crâne et dans le cœur que "Dieu", loin d'être une machine à châtiments, n'était, au contraire, que vie, grâce et guérison. Alors, fort de cette foi incroyablement nouvelle et audacieuse, tu osais approcher les lépreux et les toucher. Tu leur enlevais l'immense charge de honte et de culpabilité qui les stigmatisait et les écrasait ("Vous qui peinez et ployez sous le fardeau, venez à moi et je vous soulagerai" (Matthieu 11, 28).  Tu les libérais du poids qui les accablait, tu les soulageais et les guérissais dans leur dignité, et   leur chair, d'elle-même, se mettait à refleurir. Les malades qui affluaient vers toi, tu les abordais tous avec la même force libératrice, la même assurance, la même audace et la même bonté. Souvent tu avais recours à des trucs de médecine populaire, mais tu n'ensorcelais jamais personne par des  discours ésotériques, ou des simulacres de magie qui auraient embobiné les esprits et les auraient asservis à toi. Te suivre, marcher avec toi, ne signifiait nullement devenir tes esclaves, tout le contraire! 

 

Est-ce que cela a été de quelque utilité? Sûrement. N'empêche qu'après deux mille ans de christianisme, il existe encore de bons chrétiens toujours pratiquants qui ne peuvent pas s'ôter de la tête que c'est Dieu qui fait pleuvoir les maladies et les malheurs, tant sur les innocents que sur les coupables: sur les coupables, pour les punir, sur les innocents, pour qu'il ne leur prenne pas envie d'imiter les coupables... Or, c'est surtout à cause de ce dieu bizarre, ambivalent, supposément miséricordieux mais souvent indifférent ou même cruel envers les humains, que, de nos jours, des millions de baptisé-es et confirmé-es, pestent contre la religion et que les églises se vident.

 

De toute évidence, mon cher Jésus, ta façon différente de voir Dieu n'est pas passée comme une lettre à la poste. En haut lieu, tes guérisons furent perçues comme subversives. Car, en plus de contredire la doctrine traditionnelle sur le péché et ses conséquences, elles sapaient l'autorité sacrée des prêtres "divinement institués" pour gérer ces questions. Ils n'allaient jamais te le pardonner, (d'autant moins qu'elles mettaient en péril leur sécurité d'emploi et leur portefeuille). 

 

Parenthèse: la question du mal

 

Par ailleurs, la  vieille question qui depuis toujours taraude l'esprit des humains, à savoir: "Si Dieu est si bon, pourquoi le mal existe?", cette très grave question reste absolument entière. (Pour une tentative de réponse: lire la Note 2 à la fin de ce blogue).

 

 

Rencontres avec les aveugles

 

(Jean 9, 1-41)

 

Les aveugles, y compris  les aveugles de naissance, ne sont pas les plus durs à guérir. Les plus durs, ce sont ceux qui croient voir, alors qu'ils ne voient pas. Ce sont les ultraconservateurs et leurs semblables, les dinosaures justement. Ils ne voient rien en-dehors d'eux-mêmes et rien en-dehors du cercle étroit de ceux qui pensent exactement comme eux. Ils sont toujours sur ton dos et sur tes talons. Quoi que tu fasses ou tu dises, tu  les choques. Ils prétendent défendre les droits de Dieu, les droits de la vérité, les droits de la Tradition, les droits de la "vraie" religion. Absolument incapables de reconnaître un frère ou une sœur dans le pauvre, dans le petit, dans l'opprimé, dans le blessé, dans ceux et celles  qui ne pensent pas, ne parlent et ne vivent pas comme eux, ils te voient comme un impie, un écervelé, un exalté. Tu as pris bien des risques en essayant de leur ouvrir les yeux, mais ça n'a jamais marché. Ils ne se sont enragés que davantage. À la fin, ce sont eux qui ont eu ta peau. Jusqu'à ce jour.

 

Comme si c'était peu, ils ont proliféré et ont eu une  descendance innombrable. En ce 21e siècle, on trouve encore de leurs rejetons  dans toutes les strates de l'Église, depuis les sacristies les plus obscures jusqu'aux trônes les plus dorés. Partout ils râlent, verrouillent, mettent les bois dans les roues et du sable dans les engrenages. Le cœur débordant de gratitude céleste, ils encaissent d'alléchants dons provenant de leurs "fans" qui, pour la plupart, sont bourrés de sous...  

 

Tes disciples, un bon jour, fatigués de lutter contre les Dinosaures, ont mis dans ta bouche une série d'imprécations qui eurent l'avantage de mettre les pendules à l'heure. Ça leur a permis en outre de se défouler et de soulager tous ceux-là qui, de nos jours, n'ont pas l'audace de les affronter. «Vous, guides aveugles, race de vipères, hypocrites, sépulcres blanchis, vous assassinez les prophètes et ensuite vous leur bâtissez des mausolées (vous les canonisez!» (Matthieu 23,1-36)...

 

Rencontres avec les publicains

 

(Matthieu 9, 10-13)

 

La plupart des publicains étaient des gens ordinaires qui avaient faim. Pour gagner leur croûte, ils effectuaient de basses besognes  pour le compte de l'occupant romain. Le bon peuple les avait en horreur, il les boycottait, les répudiait, les vouait au diable. En t'approchant de ces gens qui étaient condamnés  par l'opinion publique, tu risquais de passer pour un de leurs complices, pour un collabo ou un traître...  Pour ta défense, tu te comparais au médecin: tu disais que tu n'étais pas là pour prendre soin des bien-portants mais des malades. Tu allais jusqu'à affirmer que, tout comme les prostitué-es, les méchants publicains étaient plus près de Dieu que la plupart des modèles mis de l'avant et encensés par la religion (Matthieu 21, 31). Contrairement à la caste des "purs", en effet, les publicains ne se prenaient pas pour des anges. Eux avaient l'honnêteté de reconnaître qu'ils étaient des ordures. Ils ne faisaient la morale à personne.

 

Refuser d'en rajouter sur le dos de ces publicains qui  étaient déjà ostracisés par la vindicte populaire, fut un autre de tes "crimes" abominables qui t'attira bien des bosses.

 

 

Rencontre avec la syro-phénicienne

appelée aussi "cananéenne"

 

(Matthieu 15, 21-28)

 

Parlons-en de cette femme. C'était une étrangère, une païenne! Elle ne s'habillait pas comme les bonnes filles de ton peuple. Elle ne portait même pas de voile... Vous voyez le genre? Si la guerre venait à éclater entre pays voisins, cette femme serait évidemment du côté ennemi, et elle cognerait fort. On devait se tenir loin de cette race de monde. Leur religion faisait peur. À la vérité, ils n'étaient pas mieux que des chiens.  Mais elle, pour l'amour de sa petite fille qui était très malade, se foutait de passer pour une chienne. Avec une foi à rendre jaloux les Juifs les plus zélés, elle te suppliait de guérir son enfant. Elle criait, elle pleurait, se traînait à tes pieds; elle hurlait et gémissait comme un petit chien blessé. Elle ne te lâchait pas. Tant et si bien que tes fameux disciples perdirent patience. Et toi aussi. - «Moi, je suis d'Israël. En Israël, on ne jette pas notre pain aux petits chiens!»  C'est ce que tu lui lanças en montrant les crocs. Mais elle te répondit du tac au tac: «Chez nous, les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leur maître».... Et vlan! La répartie de cette femme te causa une telle surprise et tant de plaisir que tu t'exclamas: «Femme, ta foi est vraiment incroyable!» En ce moment même, dit-on, la petite fille de cette païenne recouvrit la santé.

 

Toi, Jésus, tu étais un bon Juif,  et comme tout bon Juif tu croyais que le monde commençait et terminait avec les Juifs. Pour toi, les autres peuples étaient de la vermine. Eh bien, ce jour-là, tu as été "converti" (c'est bien le mot) par nulle autre qu'une femme, une étrangère, une syro-phénicienne, une cananéenne,  et donc une païenne. C'est à partir de cette rencontre inusitée que toi-même et tes fameux disciples avez dû vous faire à l'idée que des étrangers païens peuvent parfois être des modèles, même pour des Juifs orthodoxes. Ce fut là une autre de tes nombreuses "hérésies" que les Juifs de ton temps, les dinosaures en particulier, ne te pardonnèrent jamais. Une de tes saintes hérésies que certains croyants du 21e siècle ont encore en travers de la gorge....   eux qui doutent encore qu'il puisse y avoir un quelconque salut en dehors de l'église catholique romaine (ou de l’Église de Luther, ou de l’Église orthodoxe, ou des nouvelles religions…)

 

Rencontre avec la Samaritaine

(Jean 4, 1-42)

 

Elle a tous les défauts. D'abord elle est femme. Ça dit tout.  Jamais un homme décent, à plus forte raison un homme de Dieu, ne se montre en public avec une femme. La femme, on lui coupe les cheveux, on la voile, on la cache, on la fait marcher derrière le mari. La femme, on la voit comme un mal nécessaire, comme un péché utile.  On ne parle pas avec les femmes en public...  À plus forte raison s'il s'agit d'une femme appartenant à un peuple aussi bâtard et menaçant que celui des Samaritains.

 

Ce peuple, en effet, était issu de six ethnies ennemies (six, le chiffre du manque!). Il n'en fallait pas plus pour que les Juifs de souche les soupçonnent d'être de mèche avec ces nations honnies dont ils étaient originaires, et les considèrent, pour cette raison,  comme des espions et des traîtres potentiels dont il fallait absolument toujours se méfier. Malgré cette paranoïa de la part des Juifs de la Judée et de la Galilée, les Samaritains, semble-t-il, vivaient leur vie, sans trop de complexes.  Ils étaient fiers de leur temple qui perchait sur le mont Garizim et faisait concurrence au temple de Jérusalem. Ils étaient fiers aussi de leur religion, laquelle, en fait, n'était qu'un bricolage de culte juif et de rites païens, une sorte de "multiculturalisme" religieux (ils adoraient Yahvé sous la forme d'un veau égyptien. Abomination entre toutes!). Les bons Juifs qui n'avaient jamais eu les cochons en odeur de sainteté ("racisme systémique" oblige) estimaient le plus sérieusement du monde qu'un grognement de cochon valait mieux que la plus belle prière d'un Samaritain (c'est pour dire).

 

Or, toi, Jésus, au puits du village, en plein midi, tu demandas à boire à une femme de cette race-là, une Samaritaine pure laine, une femme aux "six" maris (les six ethnies ennemies...) qui, en plus de toutes ses tares, n'avait pas la langue dans sa poche. Elle te toisa, te scruta, te posa des questions et te parla même de théologie. Or, c'est à elle que tu fis une de tes déclarations les plus fracassantes sur la religion. Tu lui confias tout simplement  que la relation à Dieu n'était d'aucune façon une affaire de temples, d'églises, de synagogues, de pagodes ou de mosquées. Ce n'était pas non plus une affaire de traditions, de doctrines, de rituels et de dévotions. Même si tu étais sûr que la religion des Juifs était la seule religion qui fût digne de ce nom, en réalité, tu osas affirmer que ce qui valait, ce n'était pas vraiment la religion, mais ce qu'aujourd'hui on appellerait plutôt la "spiritualité".

 

À la femme, tu lui dis: «L'heure viendra et elle est déjà venue, où on adorera Dieu, non plus dans tel ou tel temple, mais en esprit et en vérité» (Jean 4, 23). «En  esprit», cela veut dire qu'on ne sera plus dans la doctrine, dans le culte, dans l'organisation ou dans la structure,  mais dans la "spiritualité", c'est-à-dire dans le "souffle" ou l'élan du cœur. «En vérité», cela veut dire "en conscience", autrement dit, dans l'honnêteté, la franchise, la sincérité et la liberté de l'être (Matthieu 6, 5-8; 7, 21). Cela signifie qu'on ne sera plus dans les temples et les sacrifices, dans les médiations, dans les hiérarchies, les endoctrinements, et les "secrets d'office" (et, pour les catholiques d'aujourd'hui, on ne sera plus dans le célibat des prêtres, le sacerdoce des femmes, la pilule contraceptive, les condoms, le refus de la communion aux divorcés; on ne sera plus dans les stratégies pastorales, dans les heures de messe, dans les histoires de Fabriques, de fusion ou non fusion des paroisses; on ne sera plus dans l'eau bénite, les médailles ou les chapelets). On sera ailleurs.

 

On sera d'abord et avant tout dans cette parole créatrice que tu adresses à la Samaritaine et qui, en fait, est une véritable déclaration d'amour à son cœur assoiffé: «Si tu savais 'le Don' de Dieu», si tu voulais accueillir au fond de ta conscience l'amour que Dieu a pour toi, son amour gratuit, sa grâce, son amour sans conditions, son Esprit très pur, sa liberté, sa puissance, sa lumière, «un fleuve d'eau vive jaillirait des profondeurs de ton être», tu naîtrais vraiment à toi-même, tu naîtrais en Dieu, tu naîtrais au monde comme une personne libre,  unique et bien-aimée. Tu serais débordante d'amour et de vie éternelle...

 

En entendant ces mots, la Samaritaine  découvrit qu'elle pouvait être aimée pour elle-même pour la première fois de sa vie, une possibilité à laquelle elle n'avait jamais pensé. Elle abandonna sa cruche et courut crier sa joie à ses coreligionnaires du village. Quelle joie, quel bonheur pour des gens qui, aux yeux des Juifs, passaient pour des porcs! Tout un soulagement, toute une libération. Jésus, tu venais simplement de mettre au monde chez ces bonnes gens quelque chose d'aussi immense que la conscience et d'aussi sublime que la personne humaine. Et tu effectuais une percée dans la muraille qui séparait Juifs et Samaritains.

 

Pendant longtemps le fleuve de vie créé par cette parole hyper libératrice a marqué la mentalité et toute la vie des femmes et des hommes  qu'on appelait "les chrétiens". Mais à peine trois cents ans après toi, au temps de Constantin, la Religion refit son apparition en trombe. La foi "s'organisa", se structura, se réglementa, se fixa à la romaine,  et la spiritualité fut mise au pas. On l'encadra, au fil du temps, dans une discipline infiniment complexe nommée "mystique"  qu'on réserva surtout aux moines, aux prêtres, aux religieux, aux religieuses et aux laïques attirés par la contemplation.  Pour les gens ordinaires, il ne restait que les reliques, les indulgences, les pèlerinages, la chasse aux miracles, les dévotions à l'eau de rose, et la soumission à un système qui les dépassait. 

 

Il y a deux mille ans, tu as dit: «L’heure est déjà venue» de sortir de ces cadres étouffants de la religion afin de redonner souffle à tous ceux et celles qui ont soif de liberté, d'authenticité, de vie et de sens. Piètre résultat tout de même. De nos jours, alors que  bon nombre de chrétiens ont déjà rejeté la religion et que certains font la  découverte de la spiritualité, les uns se  tournent vers le Tibet, le Népal, l'Inde ou la Californie, les autres, très peu, commencent à explorer l'immense trésor spirituel de l' évangile.

 

Dès qu'on cesse de confondre ta Bonne Nouvelle avec la pratique religieuse, on découvre avec surprise que l'Évangile est une mine d'or pour la réalisation de l'être. Mais il reste quand même que la plupart des chrétiens qui vont à dos de mule, à vélo ou à pied ignorent la chose et n'ont pas d'idée de ce qu'est la spiritualité. Et s'ils en ont la moindre intuition, ils sont loin de penser que  cette chose puisse se distinguer vraiment de l'emprise des curés, des paroisses, des sacrements, des messes, de la morale, des péchés et des commandements. Et aussi de la domination  des gourous, et de milliers d'autres trucs. ... Ils ne savent pas que la  spiritualité n'est pas la religion, qu'elle n'est pas le dogme, la liturgie ou la morale; ils n'osent pas croire qu'en dehors, pas nécessairement contre, mais au-delà de la pratique religieuse, il y ait quelque chose qui soit réellement à ton image, c'est-à-dire libre comme le vent. (Jean 3,8).

 

Parenthèse: la Religion

 

La religion n'est pas mauvaise, loin de là! Depuis l'époque des cavernes jusqu'à nos jours, elle a été la matrice et la colonne vertébrale de toutes les cultures, de toutes les nations et de toutes les civilisations. En occident, comme partout ailleurs, nous sommes passés de la barbarie à la civilisation en très grande partie, grâce à la religion. Mais tout n'est pas rose avec elle.

 

(Pour aller plus loin, voir la Note 3 à la fin de la Partie1 de ce blogue)

 

Rencontre avec tous les Samaritains de ce monde

 

Ça, c'est ta meilleure! C'est la subversion à son comble. C'est le saut parfait en dehors des enclos étouffants de la religion, et un atterrissage spectaculaire en plein milieu de millions de gens ordinaires comme vous et moi qui n'avons pas de doctorat en sciences de la vertu et ne nous soucions nullement d'être reconnus bons ou nuls par les tribunaux de la sainteté. C'est incroyable! Nous sommes bourrés de défauts, nous avons nos manies, nos chicanes, nos croyances, nos opinions, nos peurs, nos lâchetés, nos péchés, nos rêves, et, bien sûr, nous avons quelques bonnes qualités et savons faire de bonnes choses, mais rien pour sauter au ciel. Nous n'existerions pas que le monde ne s'en porterait pas plus mal. Mais nous existons! Si on nous disait que nous ne sommes pas mieux que les Samaritains, nous serions pleinement d'accord.  

 

Or, c'est justement ce que toi, Jésus, tu viens nous dire en tombant au milieu de notre troupeau. Tu nous dis: le Temple, c'est beau, mais il y a mieux que le Temple. La Religion, c'est beau, mais il y a mieux que la religion. La Loi, c'est beau, mais il y a mieux que la Loi. La Morale, c'est beau, mais il y a mieux que la morale, mieux que l'obéissance à des autorités sacrées, mieux que les sacrifices, que les rites, que la messe et les sacrements. Il y a mieux que la religiosité. Il y a mieux que les identités de races, de tribus, de nations, de classes sociales ou de statut. Tout cela peut être beau et bon, mais à condition de ne pas arrêter le Vent qui est la chose la plus précieuse que nous possédons, car c'est lui qui nous fait respirer et donne souffle à la Nature et à tout l'univers (Jean 3, 8). Il marche sans cesse, va où il veut et où il lui plaît. Il ne connaît pas de barrières ni de frontières (Actes 2, 1-4). Le Vent, c'est ce qui nous fait ÊTRE, c'est  la Liberté, l'Amour, la Vie, la Lumière,  la Joie, la Paix et tout ce qui en découle. Il y a les Juifs, c'est beau, mais il y a aussi les Samaritains, ainsi que des milliards d'humains comme vous et moi qui sont différents de vous et de moi. Ils font partie de nous comme nous faisons partie d'eux. Les accueillir, c'est nous accueillir nous-mêmes, et c'est aussi accueillir Dieu qui les a faits comme nous à son image et à sa ressemblance. Les aimer, c'est nous aimer nous-mêmes et c'est aussi aimer Dieu, Dieu, nous, eux, nous sommes inséparables, nous sommes un avec l'humanité entière, avec la Terre, avec tout le cosmos...

 

C'est alors que tu nous as raconté cette petite histoire si surprenante, si généreuse, si subversive et si libératrice qui nous est parvenue sous le titre de "Parabole du Bon Samaritain".

 

(Luc 10, 25-37)

              

 « Un jour, un homme (un Juif) se fait tomber dessus par des chenapans qui le rouent de coups, volent tout ce qu'il a et prennent la fuite en l'abandonnant à demi mort sur le bord du chemin. Alors qu'à tout moment des oiseaux charognards pourraient se jeter sur lui et le dépecer vivant, viennent à passer sur le même sentier un prêtre suivi d'un lévite (une sorte de diacre). C'est vers le Temple de Jérusalem que les deux se dirigent afin d'y  accomplir les tâches qui leur ont été assignées pour ce jour-là. Ils sont peut-être en retard car ils paraissent très pressés. En passant près du pauvre diable, ils le voient baignant dans son sang, ils froncent les sourcils, étouffent un soupir,  s'écartent vivement et poursuivent leur chemin au pas de course. Entre-temps apparaît un étranger barbu qui n'a pas l'air très catholique. Il vient à dos d'âne. En apercevant le blessé autour duquel de grosses mouches ont commencé à voler, l'inconnu saute en bas de sa monture et s'empresse de le ranimer. Il nettoie ses plaies du mieux qu'il peut avec du vin qu'il transporte dans ses bagages. Puis il le hisse sur son âne et le conduit à la première auberge qu'il rencontre. Rendu là, il confie le malheureux au maître des lieux et lui donne des sous en le priant d'en prendre soin jusqu'à ce qu'il soit remis sur pied. Il l'assure qu'en revenant de voyage il repassera et lui remboursera toute dépense extra qu'il pourrait encourir  pour le blessé. Fin de l'histoire. Tout le monde t'écoute la bouche ouverte.

 

Quand la foule qui t'écoutait comprit que le blessé était un Juif, ça pouvait aller, mais dès qu'elle prit conscience que c'était un  Samaritain qui l'avait sauvé, alors là, ce fut le tollé général.  On crachait par terre, on jetait de la poussière dans les airs, on jurait par la barbe de tous les patriarches que tu méritais la potence. De peine et de misère tu parvins à les calmer lorsque tu crias de toutes tes forces que ce n'était qu'une parabole, mais qu'à travers cette parabole c'était Dieu lui-même qui leur envoyait un message.  Tu leur appris alors que depuis longtemps Dieu avait essayé maintes fois de faire comprendre par la bouche de ses prophètes qu'il en avait ras-le-bol de tous nos sacrifices, de nos cantiques, de nos braillages, de nos liturgies qui ne sont qu'un rabâchage de vieilles choses du passé sans incidence véritable sur le présent. Et que la seule religion qui lui plaisait, c'était la justice et la miséricorde (Exemples: Amos 5, 21-25; Ecclésiastique 34, 19-22; Psaumes 40, 7; 50, 7-23; 51, 18-19; Matthieu 9, 13. 12,7; etc. etc. etc.).

 

Naturellement, on n'écoutait pas les prophètes, ces empêcheurs de tourner en rond. On n'allait certainement pas écouter davantage un petit raboteur de la campagne qui racontait des histoires indécentes. Car, dans ta parabole, tu avais osé donner le rôle de méchants au pauvre prêtre et au lévite, et le rôle de saint au maudit Samaritain. On aurait pu te tuer pour cela. Tu ne t'es pas efforcé, même pas un tout petit peu, pour excuser le prêtre et son diacre. Ces deux bons Juifs n'avaient fait que leur devoir. Ils avaient respecté scrupuleusement les règles de la liturgie  interdisant strictement d'entrer en contact avec du sang avant de pénétrer dans le temple. Mais non.  Au lieu de les excuser un tant soit peu, tu as encensé un galeux de Samaritain. Tu as laissé planer le blâme sur deux personnes qui n'avaient pas dérogé des normes de la sainte pureté religieuse et tu as mis sur un piédestal un répugnant personnage de la race des porcs. La pureté religieuse, tu l'as bafouée, tu l'as foulée aux pieds! Tu as dit clairement que celui qui était sur la  voie de la vie éternelle, c'était cet innommable Samaritain et non pas eux. Pour l'amour du prochain, tu as envoyé le diable au ciel, et Dieu en enfer!

 

"Le fameux "prochain"! Tu n'as que ce mot-là dans la bouche! À t'écouter, on dirait que le prochain passe avant Dieu!"

 

TOI:   Dieu ne passe ni avant ni après le prochain, car Lui et le prochain vont ensemble. Ils sont in-sé-pa-ra-bles!

 

EUX: Inséparables?!!! Les Samaritains ne sont pas notre prochain! Ils sont toujours trop proches. Ils sont ceux qui n'auraient jamais dû exister!

 

TOI: Le prochain, ce sont nos proches, bien sûr, mais ce sont tous les autres aussi. S'il y en a quelques-uns qui sont loin de nous, nous n'avons qu'à nous les rendre proches en allant nous-mêmes vers eux. Tout comme le Samaritain de mon histoire qui s'est fait proche du Juif pour le secourir et lui sauver la vie... Dieu ne veut rien d'autre. La vie éternelle, c'est cela!

 

Les Dinosaures qui avaient entendu parler de cette histoire auraient voulu te couper la langue, te crever les yeux et  t'arracher la tête. Tu ne perdais rien pour attendre.

 

Et nous qui avons encore un peu ou beaucoup de difficulté à frayer avec les pauvres, les marginaux, les immigrants, les gens de couleur, les LGBTQ+, les athées, les autochtones, les anti cléricaux, les chrétiens libérés, les juifs, les musulmans, etc. etc. etc., et qui parfois avons en plus un peu honte d'être des Québécois (es) de racines francophones et catholiques, c'est peut-être la preuve que dans notre ADN nous avons, nous aussi, quelques atomes de dinosaures.   

 

Rencontre avec le centurion

(Matthieu 8, 5-13)

 

L'occupant romain, centurion, décurion ou autre, est l'impur par excellence, l'ennemi à abattre. Or, un de ces centurions avait un serviteur qu'il aimait beaucoup. (Certains experts de la bible soupçonnent que ce "serviteur" était, en fait, son mignon, autrement dit son amant). Cet esclave bien-aimé était donc gravement malade. Le dit centurion étant un de ces Romains qui d'ordinaire traitaient les Juifs avec grand mépris, prit son courage à deux mains pour s'approcher de toi, un Juif,  et te demander une faveur. Il fallait que sa douleur fût  énorme pour s'abaisser ainsi.  D'une distance prudente, cependant,  pour éviter de t'exposer à une impureté, il t'adressa sa demande. On connaît la suite. Comment il ne permit pas que tu te déranges pour entrer dans sa maison: «Moi, je suis un officier de rang inférieur, mais quand je donne un ordre, mes hommes m'obéissent sans que j'aie à lever le petit doigt. Toi qui es autrement plus important que moi, tu ne dois pas risquer de te rendre impur en entrant sous mon toit. Dis un  seul mot et je suis sûr que mon serviteur va se remettre sur pied». Par ces mots, ce païen que tu avais devant toi venait de renverser une autre  barrière et t'avait rejoint en plein cœur. Rempli d'admiration et d'enthousiasme, tu as déclaré. «Jamais en Israël je n'ai vu une foi aussi grande!»

 

Le centurion aimait son esclave, il souhaitait ardemment qu'il vive, et il attendait de toi que tu le guérisses. C'est cela que toi, tu appelais "la foi". Rien que ça. Ce païen, cet ennemi de ta nation, ce non évangélisé, ce non catéchisé; cet homme vraisemblablement homosexuel actif a obtenu de toi la guérison de son petit ami. Et toi, tu as guéri son petit ami sans poser de questions, sans poser de conditions, et sans servir de sermon.

 

Ce fut là une autre belle surprise pour cette catégorie de gens que la religion stigmatisait comme impies et pervers. Aussi, chez les dinosaures, ta cote en prit encore pour son rhume.  Autre débarque dont tu ne devrais pas te relever.

 

Rencontre avec les zélotes

 

Les zélotes ont voulu te faire roi, un roi pour vrai, c'est-à- dire un chef qui prend la tête du pays, un chef qui décide, un chef qui commande, un chef qui monte à cheval, qui fait la guerre, nettoie le pays de tout ce qui est étranger, un chef qui restaure les institutions nationales, rétablit dans leur pureté originelle les croyances, les rites, les coutumes qui font l'identité de la nation; un chef qui mobilise les forces populaires pour en finir avec les Romains et tous les traîtres qui auraient collaboré avec eux ou se seraient montrés simplement complaisants à leur égard. Les Zélotes étaient des guérilleros, des violents. On les appelait "bandits" ou  "brigands" (Barabbas était l'un d'eux),  ou "larrons" (comme les deux larrons, le bon et le mauvais, crucifiés comme toi, de chaque côté de ta croix). Dans les cavernes du désert environnant où ils se cachaient, il fallait bien qu'ils mangent. Ils ne se gênaient donc pas pour subtiliser des fermes avoisinantes des poules, des chèvres et des moutons. De temps en temps, il leur arrivait d'écrémer un village ou l'autre de tout ce qui était susceptible de leur tomber sous la dent. Et s'ils tombaient au passage sur un publicain qui collectait l'impôt pour les Romains, le pauvre type se réveillait bientôt avec un poignard planté dans le dos.

 

Tu n'étais pas d'accord avec les méthodes de ces zélotes, mais tu avais de la sympathie pour eux. La preuve en est que, parmi tes disciples, tu as choisi des gaillards qui avaient certainement des atomes crochus avec eux et qui avaient peut-être déjà trempé dans une de leurs razzias. Par exemple, un de tes disciples était justement un certain Simon dit le Zélote. Un autre était Judas dit Iscariote (homme au sicaire, au poignard). Il y avait aussi les deux frères, Jean et Jacques, appelés les fils du tonnerre. Ces deux-là rêvaient d'en découdre au plus tôt avec les ennemis de la nation et d'occuper les postes les plus importants dans le gouvernement de ton futur royaume. Évidemment, il y avait aussi le bouillant Simon- Pierre qui avait la main rapide pour empoigner l'épée... Ce ne fut pas facile pour toi de canaliser l'énergie guerrière de ces braves garçons et de donner à cette énergie une direction beaucoup plus large, mais aussi puissante et moins sanguinaire.  

 

L'idéal révolutionnaire des zélotes était loin de te laisser indifférent. Tu  ne comprenais que trop bien leur grogne. Mais tu rejetais sans équivoque les moyens qu'ils prenaient en vue de réaliser cet idéal. Ta révolution ne devait pas carburer à la violence, à la haine et à la vengeance; elle ne devait pas combattre l'injustice par l'injustice, le mal par le mal, ni la violence par la violence. Ta révolution devait être mue par le courage, mais aussi par des sentiments d'humanité et un amour héroïque allant jusqu'au pardon et  à l'amour des ennemis. Ta guerre, ton  épée, ton glaive, ta violence consistaient, non pas à tuer, mais à donner bravement et librement  la propre vie pour redonner à l'humain sa dignité, sa liberté et sa beauté. Le pouvoir, oui, mais pour servir l'être humain et non pour l'asservir. À mon avis, celui qui, dans notre monde contemporain, a le mieux incarné cette façon de faire, c'est Gandhi, un non chrétien... L'ont suivi Martin Luther King, un pasteur baptiste,  et Mandela, un batailleur libéré après 27 ans de bagne. Les deux premiers ont été assassinés, l'autre a vécu très vieux et est mort heureux.

 

Parce que tu ne te laissas pas entraîner dans la voie violente des zélotes, tu les as déçus. De dépit ils se sont retournés contre toi. Lorsque Pilate proposera la libération d'un prisonnier à l'occasion de la Pâque, ils échangeront ta tête pour celle de Barabbas, un zélote notoire.  Pour les mêmes raisons, pense-t-on, tu as déçu aussi ton ami Judas. Cinquante ans plus tard cependant, à Jérusalem, lorsque les zélotes, en l'an 70, se soulèveront contre les troupes romaines, l'histoire te donnera raison:  la ville sera rasée; la population, massacrée; l'État, aboli; les survivants, expulsés; le territoire, annexé à Rome. L'État hébreu sera rayé de la carte pendant 2000 ans! Voilà ce à quoi devait mener la violence des zélotes.

 

Ton rejet de la violence armée n'a pas fait de toi pour autant un homme exclusivement religieux strictement confiné aux affaires de l'âme. Au contraire! S'il est vrai que tu refusas de jouer le rôle d'un chef de rébellion ou d'un commandant politique et militaire (Jean 6, 12), tu continuas d'assumer une forme de "leadership"(dans ton temps on parlait de "royauté"), en fonction de tout ce qui est essentiel à la vie, à la paix et au bonheur du peuple. Mais ton leadership était radicalement différent. Il se situait  aux antipodes de ce que projetaient habituellement "ceux qui étaient aux commandes". D'après toi, les vrais leaders (ou les vrais rois) se mettaient au service du peuple et, d'aucune manière, se faisaient servir par lui (Marc 10, 42-45).

 

 Toi-même tu te mettais au service de tout ce qui donne vie et apporte la paix. Et quoi donc donne vie et apporte la paix? Est-ce la religion avec ses nombreux rites, ses prières et sacrifices ou plutôt la justice, une justice exercée avec humanité et avec bonté?... Tout être rationnel connaît la réponse. Alors, pour avoir osé faire de la religion une affaire de justice et de la justice, une véritable religion, mon cher Jésus, tes jours étaient comptés.

 

Tu seras condamné à mort par les pontifes de l'État théocratique des Juifs et tu seras exécuté par les Romains. On te clouera à une croix, une mise à mort que Rome réservait aux esclaves et à ceux qui se révoltaient contre l'Empire. Tu seras crucifié comme un dissident politique, comme un rebelle, comme un "brigand" avec deux autres brigands (ou larrons) à tes côtés. Pilate ne s'y trompera pas. Avec un cynisme typiquement dinosaurien il placardera au haut de la croix une affiche  proclamant haut et fort que tu étais exécuté comme "LE ROI DES JUIFS" (INRI). 

 

Le plus désolant dans toute cette affaire, le plus dégueulasse, c'est qu'on apprendra à te pleurer comme une "pauvre victime innocente immolée pour les péchés du monde" (ainsi que la religion s'est acharnée à le claironner aux quatre coins de l'univers), alors qu'en réalité tu as été tué, ou, plus exactement assassiné, pour le crime d'avoir défié une société foncièrement violente et injuste, laquelle était sanctionnée et bénie par une religion aveuglée par le pouvoir et soumise à bien d'autres intérêts que ceux de Dieu.

 

Pourquoi la religion s'est-elle prêtée à un tel jeu? Facile. La religion, qui se veut gardienne de la paix, protège ses arrières. Pour ne pas se compromettre,  elle se réfugie habituellement dans les choses du ciel, mais le plus souvent elle appuie le pouvoir en place afin de  mieux conserver le sien (pour la plus grande gloire de Dieu, bien entendu). Sauf exception, elle s'accommode de toutes les dictatures, pourvu qu'elles soient de  droite. Elle le fait, il va sans dire, pour l'amour de la paix. Or, c'est bien connu, aucune dictature ne tolère la critique ou l’opposition. Elle les crucifie. La belle paix qu'elle offre crucifie même ceux qui, comme Jésus, s'opposent à la violence, à moins qu'ils ne montrent patte blanche et se rallient à elle comme des esclaves.

 

Pour le pouvoir établi, il ne suffit pas qu'on ne prenne pas les armes contre lui, il faut aussi qu'on s'agenouille à ses pieds. Ce que Jésus ne fit jamais, lui qui ne s'agenouillait que devant les pauvres et devant les gens dépossédés de tout pouvoir (Jean 13, 4-5).

 

Pendant les trois siècles qui ont précédé la fameuse "paix" de Constantin, les chrétiens et les chrétiennes se laissaient torturer et triturer par les tigres  plutôt que de plier genou devant la statue de l'empereur ou d'y brûler de l'encens... Ils n'adoraient pas l'autorité comme on adore Dieu, ils ne s'agenouillaient devant aucun homme, ils ne baisaient l'anneau de personne. Mais après la paix de Constantin, quand l'autorité suprême de l'Empire se fit catholique, les vieilles hiérarchies de l'époque antérieure à l'Évangile revinrent au galop. Sans crier gare, on s'est retrouvés à quatre pattes sous la férule du Dieu tout-puissant de la Religion et sous  la crosse de plus en plus dorée de ses représentants. L'Église cessa d'être une communauté et devint une organisation dirigée d'en haut et gardée à vue par des fonctionnaires de la Loi et de l'Ordre.  L'évangile de Jésus venait de recevoir un coup fatal en plein cœur. 

 

 

Rencontre avec Judas

 

Judas t'aimait,  mais, selon l'avis de plusieurs érudits, il désespérait de toi parce que tu refusais l'offre que te faisaient les zélotes de prendre la tête de leur mouvement.   Au risque de passer pour  un «larron», un brigand ou un voleur (Jean 12, 6), il ramassait des fonds pour la cause des zélotes. Seuls les zélotes, d'après lui,  allaient sauver le pays, mais toi, tu n'étais pas d'accord. Cherchant à faire pression sur toi, il eut alors cette idée de «vendre» aux dinosaures du temple un important renseignement à ton sujet, en échange, bien sûr, d'une somme d'argent que les amis zélotes apprécieraient grandement. Il ne cherchait pas à te tuer, car il t'aimait  sincèrement, comme toi tu l'aimais. Il a seulement indiqué l'endroit où la police du temple pouvait te trouver, pour que les grands chefs religieux te donnent une bonne  frousse. Il semblerait que ces derniers s'étaient engagés à s'en tenir à cela.  Judas comptait sur cette frousse pour que tu revoies ton attitude face aux zélotes et que tu te rallies à eux. Il désirait ardemment  que tu deviennes  roi. Mais les dinosaures l'ont floué. Dès qu'ils eurent en main l'information qu'ils souhaitaient, ils te sautèrent dessus et enclenchèrent le cirque que l'on sait  pour en finir avec toi. Quand Judas prit conscience de la tournure des évènements, il voulut mourir. Le cœur brisé, il s'est pendu.

                                                            

                                                                       

JÉSUS HOMME DE RISQUES

                                

PARTIE 2

 

Chocs répétés avec les Dinosaures

(Suite et fin )

 

Jésus, tu n'es pas raisonnable! Tu as osé mettre les pieds chez cette fripouille de Zachée. La religion des Dinosaures (qui était aussi la religion de beaucoup de bonnes gens),  interdisait formellement de s'approcher d'un individu de cette espèce.

 

Rencontre avec  Zachée

 


  

Luc 19, 1-10

 

Zachée était un abominable collecteur d’impôts qui suçait le sang de ses concitoyens pour le compte de l’occupant romain. Il était protégé par ses patrons et s’en mettait plein les poches grâce à une alléchante commission sur les montants qu'il percevait. C'était ce que Zachée avait trouvé de mieux pour réaliser son grand rêve de devenir quelqu’un.

 

Car, depuis tout jeune, Zachée était bourré de complexes en raison de sa petite taille. Il en mourait de honte et de rage. Tout le monde se moquait de lui.  Son obsession était de devenir grand, très grand. Mais comment faire? Personne ne s’intéressait à lui.

Alors lui vint l’idée de se vendre, de se prostituer, de se coller comme une sangsue aux basques des Romains qui faisaient la pluie et le beau temps dans le pays. Il lui importait peu qu’ils fussent des ennemis et de grands voleurs, l'Important c'était de gagner de l'argent.   Et ce fut ainsi que Zachée, l’homme de petite taille, devint traître à l'égard de son peuple. Un traître très riche que tout le monde craignait, haïssait, et même... enviait. Zachée, enfin, était devenu quelqu'un.

 

Zachée, bien oui, était une ordure, un mort vivant comme on en trouve encore aujourd'hui dans les bouges les plus sordides  comme à la tête des nations.  Sa maison était une forteresse impénétrable dont tout le monde se tenait éloigné.

Soudain un bruit monta de la rue. C’était toi, Jésus, qui passais dans les parages. T’accompagnait une troupe qui avait l'air de faire la fête.

    

            «Jésus, le faiseur de miracles?  demanda Zachée. Celui qui change l'eau en vin? Qui guérit les boiteux et  redresse les  femmes bossues? Si c'est bien lui, je suis sûr qu'il il va me faire  grandir d'une coudée!"... Il caressa sa bourse de deniers et se dit d'un air malin: " Avec des sous on peut tout avoir, vous savez»…

Zachée ne tenait plus en place. Poussé par son vieux rêve d'être grand, il bondit hors de sa forteresse et grimpa dans un arbre, comme un enfant... De là-haut, il put voir autre chose que les pieds des gens. Il te vit, toi, Jésus. Et toi, Jésus, tu vis cet homme petit, ce gros méchant, accroché à une branche, te faisant des signes. Tu lui crias: «Zachée, descends vite, je veux aller chez toi!»

 

À ces mots, le petit homme tomba à la renverse, comme si la fin du monde était arrivée.  D'un saut il était au pied de l’arbre et t'ouvrait toute grande la porte de sa forteresse.

Les plus timorés de la troupe n’entrèrent pas. La religion des prêtres l’interdisait. Mais toi, Jésus, toi et ta bande de gais lurons, vous n'avez pas hésité une seconde. Avec votre joie, votre humanité, votre simplicité et votre liberté vous avez pénétré dans  cette maison  qui, jusque là, n'avait été qu’un tombeau. Vous l'avez remplie d’air frais. Le petit homme reprit son souffle. Puis son cœur perforé d'ulcères s’inonda de lumière. Et de paix.

Zachée venait d'échapper à l'impitoyable tribunal des vertueux, des purs et des envieux. Pour la première fois de sa vie, il ne se sentait ni nain, ni salaud, mais normal. Il en était  si heureux qu’il en perdit la tête.  «Je donne la moitié de mes biens aux pauvres, s’écria-t-il en se jetant dans tes bras. Et tout ce que j’ai volé, je vais le restituer  multiplié par quatre!»

 

Ce jour-là, le compte en banque de Zachée descendit au-dessous de zéro, mais Zachée lui-même était devenu un très grand homme. Il était redevenu un vrai fils d'Abraham.

 

Aujourd'hui Zachée est connu dans le monde entier, presque autant qu'Alexandre le Grand, Ali Baba, Robin Hood et bien d'autres chenapans célèbres. Depuis deux mille ans, partout,  des milliers de choses ont été écrites sur lui. Les présentes lignes font partie du lot.

 

Ce qui aurait sauvé Zachée, semble-t-il, c'était son cœur d’enfant. Ce cœur dormait sous un tas de douleurs, de hontes et de sottises.  C’était son trésor caché, sa perle précieuse, son être profond, son « vrai moi » que lui-même ignorait et que personne ne pouvait deviner… C’était, en lui, l’image même de Dieu qui se levait  comme la Lune au plus profond de son être.  C'était l’homme nouveau, le ressuscité; c'était le Royaume,  qui s'éveillait  dans les profondeurs de sa personne.

 

Ce cœur a pu émerger du méchant Zachée parce qu’un jour quelqu’un le regarda avec les yeux de Dieu. De ce Dieu qui n'est pas un Dinosaure, mais  une puissance d'intelligence et de  tendresse  qui transperce la pierre la plus dure depuis l'intérieur même de l'être. Jamais il ne juge en se basant sur les apparences (1Samuel 16,7). Qui l’eût cru?

 

Bravo, Jésus! Après avoir bafoué une fois de plus les règles les plus élémentaires de la décence religieuse, tu changeas le cœur d'un rapace et traître à la patrie en un cœur d'homme juste et bon. Ce fut sans contredit ton plus grand miracle. Plus grand encore que ces histoires d'eau changée en vin, de marche sur les eaux, de pêche miraculeuse ou de résurrection de Lazare! Pourtant, en pénétrant chez Zachée, selon la loi de la religion, tu avais commis un bien grand péché.

 

Preuve qu'il y a, malgré tout, de bons, saints et raisonnables péchés... Qu'en dites-vous, messieurs et mesdames les Dinosaures?...

 

Rencontre avec Nicodème

 

Le bon Nicodème était un pharisien distingué qui croyait déjà en toi. Il aurait aimé se joindre à tes disciples,  mais il n'osait pas   faire le pas de peur de perdre sa réputation, son statut social, son job. Un soir, à la brunante, entre chien et loup, il vint te rencontrer.

 

Voir s'approcher  de toi un tel membre de la dinosaurerie ennemie fut toute une surprise. De sa part, c'était vraiment un geste audacieux, car il risquait beaucoup. Pour toi et ton groupe de "pêcheurs d'hommes", c'était une aubaine. Tu aurais dû l'embrasser et l'intégrer dans ta bande avec grande joie. Mais non. Tu l'assommas net. Tu lui dis simplement: «Un moment, Nicodème,  il faut d'abord que tu renaisses ». Renaître?... Cela voulait dire que tout ce que Nicodème représentait,  sa sagesse, sa science, ses nombreuses relations, sa sympathie à ton égard, ne servaient plus à rien. Pour être avec toi, il fallait repartir à zéro après avoir passé par un chamboulement intérieur équivalent  à une nouvelle naissance. Tu ne négocias rien. Tu ne lui accordas aucun "accommodement raisonnable". ..

 

Nicodème ne sembla pas s'en surprendre. Il te connaissait assez bien pour comprendre que, même si tu mettais la barre exagérément haute pour ceux qui voulaient te suivre, tu étais aussi un homme de grande patience et de profonde compassion; il savait que tu croyais fermement que la mèche qui fume encore peut toujours s'embraser de nouveau.  D'ailleurs, le fait que lui-même ait entré en contact avec toi démontrait que déjà  la renaissance s'était amorcée dans son être.

 

Il ne prétendait pas  devenir  un militant, un héros, un martyr, un radical, encore moins un homme parfait comme toi. Il lui suffisait d'aller derrière toi comme  un simple "disciple de l'ombre". Pas un "fan" qui emboucherait la trompette aux coins des rues pour proclamer: «Je suis chrétien! Jésus est la Vérité! Convertissez-vous, repentez-vous! Regardez mon signe de croix, ma Bible, mes médailles, mon chapelet, mon bréviaire, mon col romain, ma mitre, mes messes, mes doctorats!  Venez, rejoignez la plus grande religion du monde!»  C'est que, malgré ton radicalisme (car avec toi, c'était tout ou rien),  tu ne fermais la porte à personne. Tu respectais le cheminement de chacun (e). Tu savais bien, au fond, qu'un Dinosaure ne change pas en tournant comme une toupie sur une pièce de dix sous...

 

Bref, depuis cette nuit-là,  dans la cachette de son cœur, Nicodème devint l'un des tiens, mais à sa manière.  Lui, son truc c'était de philosopher en se caressant la barbe, en posant des questions et des sous-questions,  en mettant la cuiller ici et là pour que ses collègues soient moins injustes et plus ouverts à ton endroit. Ce n'était pas la mer à boire, mais c'était mieux que rien. (Jean 7, 50-52).

 

Lorsque les Dinosaures te mirent la main dessus et qu'ils te tuèrent, des femmes pieuses embaumèrent ton corps et le déposèrent dans le tombeau.  Nicodème et Joseph d'Arimathie,  son collègue,  s'exposèrent à bien des tracas, mais ils étaient là, eux aussi, leur donnant un coup de main (Jean 19, 39-40). Et puis  les pleureuses sur le chemin du Calvaire, dont les cris de douleur "enterraient" le hurlement des hyènes déchaînées contre toi. Et les douces véroniques qui essuyaient ton visage et  te consolaient. Puis le très humble, le pauvre, le courageux, le magnifique Simon de Cyrène, un Noir probablement, un immigré, un sans papier,  qui partagea le poids de ta croix.  Et même ce "bon larron" tout crotté, tout en sang, crucifié à tes côtés qui a eu un bon mot pour toi face à son comparse meurtri dans son âme et qui ne trouvait rien de mieux que de hurler avec les loups.... Les loups... Le centurion au pied de la croix était un loup. N'empêche qu'en te voyant mourir en pardonnant, sa conscience l'emporta  sur son obéissance de soldat et elle le poussa à proclamer haut et fort, lui, le Romain, lui l'oppresseur, lui, le complice de tes bourreaux: "Cet homme, (ce Juif, condamné par Rome) est vraiment le fils de Dieu!" (Marc 15, 39).

 

En y pensant un peu, mon cher Jésus, même de nos jours,  tu as  plus de disciples qu'on ne pense. On ne les identifie pas facilement, car la plupart d'entre eux, ou d'entre elles, sont aussi de simples "disciples de l'ombre". Quand il s'agit de donner un coup de main, cependant, ils sont toujours là, discrets, à peine visibles... Tout comme Nicodème...   Ou comme ce jeune homme riche que tu aimas dès que tu le vis. Tout lâcher pour aller se faire tuer, c'était trop pour lui. (Marc 10, 21; Matthieu 19, 16-24). Devint-il méchant pour autant? Je parie que non. Il continua d'être bon garçon, disciple de loin, disciple de l'ombre, comme Nicodème. Un disciple à la manière de Marthe, bien que cette brave fille passait plus de temps à frotter ses casseroles qu'à méditer la bonne Parole (Luc 10, 38-42). Car des Marie qui font de la méditation pour se concentrer sur l'essentiel, c'est beau, mais heureusement qu'il y a des Marthe, sinon notre monde serait vraiment moche, et la Source de Vie, qui est dans les toutes petites choses autant que dans les grandes, nous trouverait joliment ennuyants.  

 

Et puis, des "disciples de l'ombre", est-ce que ça existe vraiment?... Pas certain.  Tous tes disciples sont lumière, mais avec des intensités différentes. Il y a les "ultras" qui sont des "stars",  mais il y a aussi les "cools", pas tièdes mais cools tout simplement,  lucioles ou simples bibittes à feu...   Dans ton cercle, il y a même des Dinosaures... Ça met du piquant. Sans eux, tout serait vraiment plus "plate",  comme on dit en québécois. 

 

Risquer l'égalité

 

Se battre pour la liberté, ça va de soi. Pour la fraternité aussi,   car c'est un idéal magnifique. Mais pour l'égalité?..... Ça  semble impossible. Dans une famille, il y a des grands et des petits. Dans la vie, il y a des forts et des faibles, des blancs, des roses, des jaunes, des bruns, des noirs et des bleus foncés, des hommes et des femmes, bien sûr, des vertes et des pas mûres aussi avec un tas de nuances entre eux/elles. Personne n'est pareil. Personne n'est égal à l'autre...  Et toi, Jésus, tu nous arrives avec une histoire abracadabrante, une parabole, celle des "ouvriers de la dernière heure". Des ouvriers qui n'ont rien foutu de la journée et qui vont "puncher" juste cinq minutes avant que la cloche sonne. Ces fainéants vont toucher le même salaire que les camarades qui ont bossé toute la journée. Et tu nous dis que c'est le grand Patron (Dieu) qui veut ça (Matthieu 21, 1-16).  Franchement, ça ne peut pas marcher comme ça!

 

Non, bien sûr. Mais, quand les parents vont quitter ce monde, ils feront un testament et dans ce testament, est-ce qu'ils vont favoriser un enfant plus qu'un autre? Pour éviter la chicane, ils vont plutôt répartir leurs biens à parts égales entre chacun des enfants. La petite dernière qui a été choyée et gâtée,  pourrie par tout le monde, qui est capricieuse comme tout et ne sait pas encore quoi faire de ses dix doigts, va recevoir de ses parents autant que la grande sœur ou le grand frère qui se sont échinés  pendant des années pour contribuer à son  soutien et à celui de toute la famille.  Injustice? Pas du tout! La "petite" qui ne fait que jouer, rêver et bouder, est aussi importante que ceux qui ne font que travailler.  Les petits, les chômeurs, les rêveurs, les pauvres, les derniers, sont aussi importants que les premiers (Marc 10, 31). Même certains Dinosaures comprennent cela. À plus forte raison devrait-il en être ainsi parmi tes disciples.

 

Rencontre avec les femmes

 

Elles sont membres à part entière de la communauté qui t'accompagne. Entre elles et les hommes du groupe, pas de barrières! Dans le monde des Dinosaures, les Dinosaurines restent dans leur coin, sinon, c'est le bâton.  Même dans le judaïsme ultra orthodoxe d'aujourd'hui, on  enferme encore les femmes à double tour à la maison, et jamais les hommes religieux ne se montrent avec des femmes en public. La religion et la vie tout court est une affaire d'hommes (ainsi également avec l'Islam apparu six siècles après Jésus).  Cette règle prévalait en ton temps, mon cher Jésus, et toi tu ne te gênais pas pour l'enfreindre. Donc, ces femmes qui circulaient librement autour de toi, en public comme en privé, c'était un gros scandale. Mais c'était plus fort que toi. Les femmes, pour toi, c'était du monde!  

 

Luc parle d'un groupe de  femmes qui te suivaient partout. L'une d'elles provenait de la très peu recommandable cour d'Hérode, tandis que d'une autre tu avais chassé rien de moins que sept démons!... (Luc 8, 1-3). Tu provoquais. Tu faisais exprès pour t'attirer les foudres des gens décents. En réalité, que n'aurais-tu pas fait pour que les femmes, qui, après tant de siècles d'opprobre,  soutiennent leur grosse moitié du ciel aux côtés de l'homme, retrouvent leur place royale sous le soleil? Que serait le monde sans les femmes? Pourtant la religion des Dinosaures a réussi jusqu'à maintenant ce cruel tour de force de les garder à l'écart comme si elles étaient des bêtes à péchés tout juste bonnes à procréer (des mâles autant que possible...) ou à servir de secrétaires, de sacristines, de cuisinières ou de blanchisseuses...

 

Rencontre avec la femme affligée de pertes de sang

 

(Marc 5, 25-34)

 

Parlons de cette femme qui depuis des années était saignée à blanc par la maladie, par les médecins aussi, et par les normes religieuses. Selon les directives sanitaires de l'époque (qui étaient aussi des directives religieuses très strictes), la perte de sang était considérée comme l'impureté suprême. La personne qui en souffrait pouvait transmettre l'impureté aux autres. Comme une pestiférée donc, cette femme devait se tenir constamment  à l'écart et s'abstenir absolument de toucher à d'autres personnes. Elle était un danger public. Mais, un bon jour, cette femme  t'aperçut, toi, Jésus, au milieu d'une grande foule. Son cœur bondit. Elle se dit: «C'est la chance de ma vie! Je vais me faufiler vers lui. Je ne toucherai personne. Lui-même, je ne le toucherai pas. Je veux seulement effleurer le rebord  de son vêtement».  Puis, tremblant comme une feuille, et sans pouvoir éviter de bousculer tout le monde sur son passage, elle fit péniblement son chemin vers toi et réussit à atteindre le bout de ta tunique. Salope! Crime contre l'humanité! 

 

Oui, un sacré crime qui valut à cette brave et merveilleuse femme la guérison tant désirée. Magie? Non. Cette femme a osé franchir la ligne qui faisait d'elle une paria. Pour sortir de sa prison et retrouver sa place sous le ciel, elle t'a tout simplement imité. Elle a osé aller plus loin. C'est cela qui l'a guérie.

 

Et voilà à quoi tu sers, magnifique Jésus, toi l'homme qui franchis les lignes rouges du sacré irrationnel, sautes par-dessus les murailles de la peur, des tabous et même les lois les plus saintes, toi qui repousses les frontières de tous les tombeaux, et qui  appelles tout le monde à te suivre. «Vous n'avez pas pêché un seul méné pendant toute la nuit? Tant pis! Poussez la barque plus loin et lancez les filets. S'il n'y a rien à droite, essayez à gauche!» (Luc 5, 4-7; Jean 21, 5-6)

 

La présente scène de cette fille d'Abraham qui souffrait de pertes de sang est une petite capsule qui résume bien la lutte acharnée que mènent les femmes audacieuses de notre temps pour gravir les milliards de marches qui les séparent du soleil. Pour le grand bonheur de toute l'humanité, elles y réussissent assez bien. 

 

 

Rencontre avec la petite fille de Jaïre

(Marc 5, 21-24.35-42)

 

Une affaire de sang encore, et donc d'impureté religieuse! La petite, autant que son paternel, était traumatisée par ses premières règles. Elle était vraiment bloquée. Elle était "paralysée".  Par qui? Par nul autre que Jaïre lui-même. Ce bon papa, comme bien des hommes, ne comprenait rien à cette chose et, en plus, il avait une peur bleue du sang. Pour lui, à coup sûr, sa fille allait mourir! En cherchant de l'aide, il tomba sur toi, Jésus, qui, comme par hasard, venais justement sur son chemin. Sans bruit, tu dénouas les peurs qui étouffaient ce père et sa petite fille. Tu t'es montré, une fois de plus, comme celui qui apaise, débloque,  ose et fait grandir. "Talitha koum!" 

 

Tu es l'opposé de tous ceux-là qui, aveuglés par leurs peurs, empêchent la vie nouvelle de germer.  L'inconnu a beau faire brusquement irruption dans la vie, toi, tu ne serres pas les poings. Tu en acceptes avec courage les défis et les bouleversements comme tout père devrait le faire  en voyant devant lui le corps de son enfant de douze ans qui, de poupée,  se transforme tout à coup en une femme capable d'accueillir et de donner la vie.

 

Rencontres avec ta mère

 

Elle avait beau être ta mère, elle était coincée. La famille, la parenté, les cousins,  faisaient pression sur elle pour que tu rentres dans le rang. Ils voulaient seulement  te faire comprendre que tes activités  qui causaient tant d'urticaire au pouvoir religieux, non seulement allaient se retourner contre toi,  mais risquaient d'attirer la colère  contre tout le clan familial.

 

Or, selon la fabuleuse mise en scène des noces de Cana, ta mère apparut, soudain, comme un symbole géant. Elle-même  prit l'initiative pour que tu te manifestes publiquement comme celui qu'on attendait depuis toujours. Elle-même te poussa à t'attaquer à l'eau purificatrice des 613 prescriptions commandées par la Bible, et à la remplacer  carrément  par des tonnes de vin de toute première qualité. Car pour elle, autant que pour toi, l'Évangile devait être autre chose qu'un amas de lois et un rapiéçage de vieilles outres (Marc 2, 22). D'aucune façon l'Évangile ne devait être une simple mise à jour de la Loi (toute  sainte ou sacrée qu'elle fût). De la voie que tu allais ouvrir devait émaner, au contraire, un air de neuf et un parfum de noces. Ton Évangile devait être la vie en abondance, la justice et l'amour sans limites, et la liberté sans fin. Il devait être la joie à profusion, le grand souffle, le vent puissant. Il devait être, ni plus ni moins, le feu même de l'Esprit de CELUI QUI EST. (Jean 4, 46-54 et Actes  1, 13-14 et 2, 1-14. 22-24).

 

Rencontre avec la Madeleine

 

On a cru qu’elle était une ancienne prostituée. En fait, elle a  probablement été une courtisane de haute classe, (genre geisha chez les Japonais); elle aurait honoré sa profession pendant un bon moment avant de prendre sa retraite. Bref, peu importe son passé, cette femme te montra plus d'amour que  quiconque (Luc 7, 36-50). Dernière aux yeux des Dinosaures si "purs", elle fut première dans ton cœur. Avec ta mère au pied de la croix, elle connut un abîme de souffrance. Mais elle fut la première à "voir" ta résurrection (car cette expérience ne peut être faite que par ceux et celles qui savent aimer intensément). Et elle fut la première à la dire au monde (Jean 20, 11-18). Plutôt que de Pierre, le Chef,  plutôt que de Jean, ton disciple favori, plutôt que de ta mère très sainte, tu as fait de la Madeleine la porte-parole de la Résurrection, cœur et essence même de ta Bonne Nouvelle. Ça en dit long sur la place qu'occupaient  les femmes dans la communauté de tes compagnons et compagnes de route.

 

Les Dinosaures, cependant,  qui n'ont pas tardé à se pointer dans la dite communauté,  se sont empressés de remettre les choses à leur place en commençant, comme on sait, par museler les femmes, leur faire porter le voile, le chapeau ou la mantille, et les renvoyer dans l'ombre sous le plumage de leur mari. Et cela, jusqu'à ce jour (avec quelques adoucissements quand même)...

 

Rencontre avec la femme adultère

 

Cette femme avait péché, oui. Mais elle seule portait le poids de la faute pourtant commise à deux. Son partenaire, ô surprise, s'était perdu  dans la nature. C'est elle qui allait être punie à mort sous un tsunami de pierres. Ainsi l'ordonnait la loi sacrée du grand Moïse,  (la "charia" des Juifs). Les Dinosaures, les plus vieux et les plus vicieux, étaient les plus enragés. Ils empoignaient déjà les plus grosses roches pour les lui lancer, quand l'un d'eux les stoppa. Il venait de t'apercevoir dans les parages. Il t'accosta et, la bave à la bouche, il te posa une colle pour te mettre dans le pétrin. «Selon ton prêchi prêcha, on devrait pardonner à cette traînée, mais la loi de Moïse nous commande de la tuer. Alors, à qui obéit-on: à toi ou à Moïse?»... Toi, tu es resté silencieux et tu t'amusas à tracer des dessins dans le sable. Tu ne levas même pas les yeux. Quand tu ouvris la bouche, ce fut pour dire: «Que celui qui n'a pas péché, lui lance la première pierre!»  S'ensuivit un silence de mort. Puis peu à peu les Dinosaures se retirèrent la queue entre les fesses, en commençant par les plus vieux...

 

Heureusement, cher Jésus, que tu es apparu dans le décor, sinon, en vertu de la Loi de Moïse, en raison de la religion, de la piété, de la morale et de cette tendance qu'ont les juges, les prêtres  et les mâles à jeter la faute sur les femmes et à protéger le "sexe fort", cette femme aurait été mise en charpie sous un tsunami de roches. (Jean 8, 1-11).

 

Ta phrase assassine : «Que celui qui n'a pas péché, lui lance la première pierre!» devrait être inscrite en lettre d'or sur le fronton de tous les confessionnaux et de tous les tribunaux du monde. Et tant pis pour les Dinosaures!

 

Rencontre avec la femme courbée




La femme ne pouvait pas se tenir droite.  Depuis dix-huit ans, depuis dix-huit siècles, depuis des millénaires,  elle vivait pliée en deux, emprisonnée, ligotée.

 

C’était l’œuvre du diable, disait-on. Car les femmes avaient des accointances avec le diable, paraît-il. C’était chose connue.  Elles usaient du diable pour faire des affaires bizarres. Des guérisons, par exemple.  Avoir des bébés. Voir des choses…

 

D’abord on a habillé les femmes des pieds à la tête, on les a enfermées, on les a cloîtrées et on en a lapidé beaucoup parce qu’on croyait qu’elles étaient toutes plus ou moins putains. On les rendait responsables des vices et des péchés des hommes. Si un homme  violait, étranglait, massacrait, tuait, on disait : «cherchez la femme ».

 

Ensuite on les a brûlées vives. Si un malheur s’abattait sur le village,  c’était la faute de la sorcière. On lançait alors la chasse aux sorcières. On finissait toujours par en trouver une. Y avait-il une femme qui se montrait  trop entichée des chats,  cueillait des champignons étranges dans les bois, allait beaucoup à la messe ou n’y allait pas du tout? Avait-elle les yeux rouges? À force de concocter ses remèdes au-dessus de la flamme de l’âtre, difficile qu'il en fût autrement, mais on ne pensait pas si loin… Avait-elle une verrue ou quelque tache bizarre sur le corps? Rien de plus clair, c’était une sorcière!  On la brûlait vive sur la place du marché. Mort le chien, finie la rage… Plus de grêle, plus de grippe, plus d’incendies, plus de maux de dents au village. Pour un moment du moins. Tout le monde était content.

 

Depuis dix-huit siècles, depuis des millénaires, on soumettait les femmes à des tâches répugnantes et à des travaux très durs.  Et même à la mutilation, comme il arrive encore dans certaines cultures.  Ou au viol, à l’esclavage sexuel et aux crimes d’honneur, comme il arrive tous les jours.  Des centaines de millions de femmes ont été empêchées de naître, ou ont été tuées à leur naissance, pour la seule « erreur » de ne pas être mâles. Car être femme, pour  bien du monde, c’est encore une tare, un accident de la nature, au mieux : un mal nécessaire.

 

Elles avaient le droit d’être servantes, jouets, poupées ou trophées de l’homme. Elles avaient le devoir de faire jouir le mâle et de lui donner des descendants, mais il ne fallait pas qu’elles-mêmes jouissent.  Les mâles les aimaient, sans doute, mais dans ces conditions.

 

Elles pouvaient broder et jouer du piano, mais les grandes études leur étaient interdites; elles ne pouvaient pas faire de chèques ni signer de contrats,  ni voter. Pour entrer dans une église elles devaient être  enveloppées de milliers de jupons.

Puisque tel était le sort des femmes, il n’est pas étonnant qu’au sortir du lit, le bon Juif orthodoxe fasse  encore chaque matin cette prière: « Je te remercie, Seigneur, de ne pas m’avoir fait femme ! »

 

Dans nos sociétés moins traditionnelles, les choses ont changé. Par des combats épiques, qu’elles ont menés toutes seules, sans armes et sans verser une goutte de sang, les femmes ont réussi à conquérir la reconnaissance de leur dignité et de leurs droits essentiels. Mais elles n’ont pas fini. Beaucoup de chemin reste à parcourir  pour que partout sur la planète toutes les femmes soient heureuses d’être femmes.  

 

En Amérique latine, là où se trouve la plus grande concentration de catholiques au monde, les églises sont remplies de femmes. Sans elles, l’Église serait morte.  Mais là, comme dans d’autres pays, la haute hiérarchie catholique a décrété que Dieu,  en créant la femme, l’a irrémédiablement rendue incapable de célébrer une pauvre petite messe. Cela serait inscrit pour l’éternité dans le génome fémininet dans la pensée de Dieu...

 

Cette haute hiérarchie s’affaire actuellement à mobiliser toutes les forces de l’Église pour se lancer dans une « Nouvelle évangélisation » à échelle mondiale. N’en déplaise à ces vénérables barbes, il me fait plaisir de présenter ici sur le sujet  une Bonne Nouvelle de Jésus qui devrait être inscrite  pour l’éternité dans le génome même de l’Église :

 

Une femme était là. Elle ne demandait rien. Depuis dix-huit ans,  elle vivait pliée en deux, enfermée sur elle-même, ligotée.  Elle était « tellement courbée qu’elle ne pouvait absolument pas se redresser ».  Jésus la vit et en fut touché jusqu’aux tripes. Il étendit sur elle sa main fraternelle et lui  dit : « Femme, tu es libérée! »   À ces mots, la femme s’est dressée droite comme un arbre (Luc 13, 10-17).

 

La haute hiérarchie s’en prit immédiatement à Jésus pour avoir osé faire pareille chose, le jour sacré du sabbat. Cela était défendu en vertu d’une loi immémoriale.

 

Les enragés du sacré, gardiens de l’ « immuable », bref, les Dinosaures, sont tous pareils : pour eux une femme vaut moins qu’une ânesse ou une vache (voir le texte, verset 16), et tout ce qui échappe à leur contrôle vient du diable.

Ironiquement, c’est parce qu’elle s’attache mordicus à des lois, à des croyances et à des pratiques « immuables » que notre pauvre Église (qui, par ailleurs, a fait de grandes choses dans son histoire, il ne faut pas l'oublier) s’est transformée elle-même en une vieille femme toute courbée... Souhaitons qu’en réactualisant la Bonne nouvelle d’un Jésus qui redresse la femme courbée, elle trouve le goût de se relever à son tour, droite comme un arbre. Et qu’au nom de Jésus,  elle fasse en sorte que, dans toutes les églises et partout sur la Terre, les femmes marchent la tête haute. Et qu’elles puissent même célébrer la messe (au centre de l'église et non derrière les rideaux d'un coin obscur de la sacristie,) sans crainte de choquer la Divinité et de mettre toute la planète à l'envers. …

 

Comment offenseraient-elles ce Dieu génial qui a eu la bonne idée de  créer « à son image et à sa ressemblance » (Genèse, 1, 26-27) autant les femmes que les hommes, elles qui ont mis au monde un homme comme Jésus?...

 

Rencontres à la table des notables

 

Entre-temps on te voit souvent à la table de notables qui t'invitent à leurs banquets. Chaque fois que tu réponds à cette invitation, tu cours le risque de passer pour un glouton et un ivrogne, ami des riches. Cette étiquette, d'ailleurs, on te l'a bel et bien collée au front plus d'une fois (Matthieu 11,19) .

 

Ces notables cherchent sûrement à gagner ta sympathie, ou à te tendre des pièges. Toi, cependant, tu profites de l'occasion pour mieux taper sur le même clou: parler de la société que Dieu veut pour que les humains vivent et croissent comme des humains. À cette société, tu lui donnes le nom de "Royaume". Et tu lui donnes aussi le visage d'un immense banquet offert à tous les humains, sans distinction aucune, où, tous les jours,  chacun peut manger à sa faim et être heureux de pouvoir partager la même table avec le monde entier. Ce grand festin de l'égalité, de la justice, et de l'amitié est la figure même du  monde nouveau pour lequel tu es prêt à donner ta vie.

 

Le partage dans la justice et dans l'amitié est le grand miracle, en fait, c'est le seul vrai miracle qui remet le monde sur ses pattes, le seul qui le sort de son état sauvage, le seul qui le sort de la mort. C'est le seul vrai miracle qui le libère, le réconcilie, le civilise, l'humanise, le guérit, le fait grandir et le sauve. Ne cherchons pas d'autres recettes.

 

Quand on raconte que tu changeais l'eau en vin, que tu marchais sur les eaux, que de cinq petits pains et deux poissons tu nourrissais une foule de 5000 hommes ("sans compter les femmes (!!!) et les enfants", Matthieu 14, 21), et que de cette profusion il en restait encore des paniers pleins, c'est de ce miracle qu'on voulait parler.

 

Seul le miracle du partage dans la justice et la fraternité nous fait réaliser l'impossible. Lui seul renverse les montagnes d'iniquités qui nous séparent et nous écrasent. Lui seul  nous empêche de nous faire avaler par les eaux de la mort. Lui seul nous les fait franchir. Lui seul  nous libère de l'esclavage et nous apporte la joie et la liberté.

 

Mais ça, c'est bloqué systématiquement par les Dinosaures, par ceux et celles qui ont  accaparé les terres, les ressources, les richesses de tout le monde pour en faire leur propriété privée à eux, en laissant les autres tout nus, une main devant et l'autre derrière.

 

Non, tu n'es pas contre la propriété privée. Ce que tu  souhaites, c'est que chaque humain ait sa propre propriété privée, sa propre part de la propriété commune, sa propre part de la richesse de la Terre, de manière à ce que tous et toutes puissent vivre dans la dignité, la liberté, la justice et la paix. (Actes 2, 44-47. 4, 32-35)

 

Les premiers chrétiens ont tenté cette aventure du partage des biens selon les besoins de chacun, mais ça n'a pas duré, car les persécutions sont arrivées, la communauté s'est dispersée et le beau rêve est plus ou moins tombé à l'eau. Quelques siècles plus tard, cependant,  cette tentative très louable a quand même rebondi. Elle a  été la source d'inspiration des communautés de moines qui poussèrent comme des forêts, surtout en Europe, et furent en grande partie à l'origine du développement de l'Occident. Elle inspira des milliers d'ordres religieux d'hommes et de femmes  qui, au cours de l'histoire, se sont dévoués corps et âme au service des autres, pour l'éducation, la santé, la libération des captifs, le développement des arts, de la science, et l'avancement de la culture et surtout, (avec des méthodes pas toujours des plus pointues), à l'intégration des peuples, des tribus et des ethnies qui se livraient constamment la guerre. L'Utopie ne se réalisera jamais, mais elle est là pour inspirer, orienter, montrer le chemin.

Partager la même table, ça crée des liens et ça nous permet d'approfondir cette orientation, cet idéal, cet appel .... D'où le repas comme emblème, comme signe de ralliement, comme signe identitaire du chrétien.

 

D'où la messe qui n'est pas un sacrifice pour les morts, mais est (et devrait être) un partage pour le chemin, un repas fraternel pour grandir et aller de l'avant.

 

Le problème c'est qu'avec le temps, le repas de la messe a été si ritualisé qu'il ne ressemble plus à un repas. Le pain ne ressemble plus à du pain et le vin est si rationné qu'on finit par l'oublier. Et tout est si préparé d'avance selon des règles tellement strictes qu'il faut être devin pour y détecter un partage réel. Pas d'ambiance de fête non plus, malgré les lumières, les ornements, les chants et les fleurs. On n'est pas portés les uns vers les autres, on ne se  parle pas, on s'exprime très peu, on ne rit pas, on se tient sur ses gardes. La joie spontanée, les émotions, les contacts, on les laisse à l'entrée pour les reprendre à la sortie, comme au cimetière...

 

Pourtant, toi, Jésus, tu es venu  changer l'eau des préceptes en vin de liberté. Et le partage d'un repas fraternel, le premier jour de la semaine (soit le dimanche), était la célébration du passage de la mort à la vie avec toi, le Ressuscité. C'était la célébration dans l'amour et la joie du salut déjà arrivé et en voie de se répandre dans le monde entier. (Luc 24, 1.13.30-32;1Jean 3,14)

 

Rencontre avec les marchands du temple




(Jean 2, 13-22)

 

Contre les accaparateurs et, en particulier ceux qui se graissent la patte et s'engraissent grâce à la religion, tu brandis le fouet et les chasses à coups de pied.  En plein Temple, tu fonces de toutes tes forces contre la religion des sacrifices et du "business".   Est-ce assez clair?  Tu ne veux pas d'une religion qui prétende honorer Dieu en égorgeant des animaux, pire encore, en exploitant des humains comme des bêtes, ou en troquant les faveurs de Dieu contre de l'argent. Dieu n'est pas à acheter ni à vendre. Aucun humain non plus! Tu frappes "le Système" en plein cœur, tu plantes ta lance sans pitié dans  "l'Œil du Dragon".  Et, bien sûr, ce faisant, tu signes ton arrêt de mort.

Au lieu de bénir les armes comme elle en a eu l'habitude pendant longtemps,  pourquoi l'Église n'a-t-elle  pas fait de ce fouet un sacrement?...

 

Je comprends que le pain, surtout s'il ne ressemble pas à du vrai pain, et le vin (à peine une demi-goutte de vin) ont l'avantage de ne jamais déranger personne. Mais un fouet, un bon petit fouet  sur un coin de la Table de la Rencontre de ceux et celles qui marchent à ta suite,   ne serait pas de trop pour rappeler qu'elle n'est pas bienvenue dans ta communauté la ratatouille qui, d'une main, arrose la religion de ses sous, alors que, de l'autre,  elle affame les trois-quarts de l'humanité...

 

Le  Banquet de noces ouvert à tout le monde, soit, mais il ne doit pas pour autant servir de refuge aux voleurs et aux assassins. Le grand signe de la Fraternité universelle, n'est quand même pas celui de la stupidité.

 

«C'est immoler le fils en présence de son père que d'offrir à Dieu un sacrifice avec les biens ravis aux pauvres. Priver les pauvres de leur maigre pitance, c'est commettre un meurtre. Priver le salarié de son dû, c'est le tuer.» (Ben Sira 34, 20-26; Jacques 5, 1-6).

 

Vivement un fouet béni pour faire jinguer les affameurs des trois-quarts de l'humanité!...

 

Rencontre avec le possédé de Gerasa 

(Luc 8,26-39)

 

Ce n’est pas chrétien! Pour libérer un pauvre malheureux qui était plein de diables, tu as permis que 2000 cochons soient sacrifiés! Tu as mis l'économie au service de l'être humain, et non l'inverse;  ce qui était super génial.  Mais mettons-nous à la place de ces propriétaires de cochons. Ils avaient beau être des  Dinosaures, on comprend qu’ils ne l’aient pas trouvée drôle. On aurait presque envie de prendre leur défense. On les comprend. Mais qui, aujourd'hui,  comprend ces humains qui, par légions,  se  réveillent chaque matin plus pauvres que la veille, alors que pour les plus riches, c'est le contraire? Est-il normal de continuer sans cesse à engraisser les plus gras pendant que les plus maigres n'ont déjà plus que la peau sur les os? 

 

Il est évident que les éleveurs de porcs de Gerasa n'allaient pas se prendre en photo avec toi... Tu as donc dû quitter les lieux sans tambour ni trompette, sinon, tu étais cuit.

(Voir en annexe: "Jésus, l'économie et les cochons").

 

Rencontre avec le paralytique délivré par le pardon

(Marc 2, 1-12)

 

Voilà une autre scène formidable, infiniment libératrice. Dans une société où le Pardon était administré au compte-goutte, pratiquement une seule fois par année, par le Grand-Prêtre en personne (comme qui dirait le Pape) et uniquement par lui,  et au prix de milliers de sacrifices de moutons et de taureaux, toi, un gars de rien, un gars ordinaire, toi qui n'étais même pas prêtre ni un petit curé, même pas sacristain,  toi, un non consacré, un non oint, toi, un simple laïque, tu osas déclarer à un homme paralysé que ses péchés étaient pardonnés. Tout le monde était médusé. Les Dinosaures étaient au bord de l'infarctus. Ça ne se pouvait juste pas!  La paralysie de cet individu venait de quelque part! C'était sûrement Dieu qui la lui avait envoyée  en punition d'énormes péchés qu'il avait dû commettre. Toi, tu prétendais pardonner les péchés de cet homme? Pour qui te prenais-tu donc?

 

Mais quand le pauvre homme entendit de ta bouche que ses péchés étaient pardonnés, quand il entendit que ne pesait plus sur ses épaules le poids des péchés dont on le soupçonnait, sa tête a tourné. Il a vu des oiseaux. Il a eu envie de vivre. On connaît la suite. Il s'est mis à marcher.

 

Tu as voulu montrer comment le pardon délie, le pardon débloque, le pardon libère, le pardon guérit. Tu as voulu nous dire que le Fils de l'Homme, c'est-à-dire, l'être humain, nous tous, les humains, nous avons en nous-mêmes ce même pouvoir (et le devoir) de remettre en marche ce qui est paralysé. Pour cela nous n'avons  pas besoin  de Grands-prêtres ou de petits prêtres, pas besoin de pénitences ni  de sacrifices de moutons ou de taureaux. Le pardon est à la portée de tous et de toutes et, s'il est sincère, s'il est vrai, s'il vient du fond du cœur, il fait des choses étonnantes.

 

Les Dinosaures virent de leurs yeux le paralytique se redresser, prendre son grabat et marcher tout droit vers sa maison. Ils devinrent verts. Ils se dirent: "Ce Jésus est vraiment possédé du démon. Sinon, d'où lui vient ce pouvoir?" (Matthieu 10, 25). Sûrement pas de Dieu, car une chose est certaine: Dieu n'accomplit par ses œuvres au moyen des laïques et des gens ordinaires!...

 

Rencontre avec l'homme à la main desséchée

(Marc 3, 1-6)

 

Tu peux faire des guérisons n'importe quel jour de la semaine, sauf le samedi. Le samedi, jour sacré du sabbat, c'est strictement  interdit. Enfreindre cette loi, la plus sacrée de la religion juive,  peut être puni de mort. Toi, tu fais exprès pour guérir ce jour-là cet homme qui ne peut pas travailler, ne peut pas nourrir sa famille, parce que sa main s'était desséchée, on ne sait trop comment. Pourquoi cette provocation ? Simple. Tu as voulu montrer clairement à ceux et celles qui en doutaient encore en quoi consiste la vraie religion, non pas tant en s'abstenant de travailler, mais plutôt en donnant la chance de travailler à ceux qui, étant  dans le besoin, en sont empêchés... Car il y a une religion qui tue, celle où on traite un homme ou une femme moins bien que son âne ou son chien, et une religion qui libère de toute forme d'esclavage.

 

Rencontre avec les petits enfants

(Marc 9, 33-37. 42; 10, 13-16)

 

Tu les aimes bien. Ils s'amusent, ils ne se soucient de rien, ils posent des questions sans arrêter. Veulent tout savoir. N'ont aucun préjugé.  Sont ouverts à tout le monde sans regarder la couleur de la peau ni la condition sociale. Ils adorent les contes, s'inventent des mondes avec rien...  Les éduquer, oui sans doute, car ils ne sont pas toujours des anges, mais les éduquer sans tuer leur âme. Sans leur transmettre nos préjugés, nos peurs, nos obsessions, nos névroses. Pour toi, ils sont les plus grands. Ils sont nos maîtres. Ils sont le neuf, la nouveauté, l'avenir en herbe. Soyez comme eux, nous dis-tu. Malheur à qui les corrompt en faisant d'eux des jouets, des momies, des vieillards avant le temps... Ceux-là, il vaudrait mieux leur accrocher une pierre énorme au cou et les tirer aux requins. 

 

Rencontre avec les fleurs des champs

(Matthieu 6, 28-29)

 

Ce n'est pas un détail innocent. Les fleurs sont une des grandes forces de la nature. Elles sont à la racine de la fécondité de la Terre. Elles sont pour ainsi dire le sexe de la végétation. Sans elles, sans leur infinie variété, sans leurs milliards de séductions, les animaux et les humains n'existeraient pas. 

 

Elles ne sont pas de belles petites choses inutiles. Elles sont comme les atomes, comme chaque goutte de sang, chaque   goutte d'eau, chaque larme, chaque sourire. Elles sont comme les grains de sable, les chromosomes, les ovules, les étoiles, les bactéries, les quantas. Elles sont à la base du Big Bang de la vie...

Même les acariens participent de leur grandeur. Et les Dinosaures aussi. Ainsi que l'amour et la paix, le silence, le sommeil, le repos. Ainsi que la beauté de toutes choses, de toutes personnes et de toutes races... Elles sont le côté joyeux de la Raison qui explore les nouveaux mondes et nous empêche de sombrer dans la folie.

 

Rencontre dans le secret de ton cœur avec ton Abba

(Luc 15, 11-32)

 

Ton Abba, tu le sens proche, tu le vois en toi, tu le vis comme ton Père bien-aimé. Tu le chéris.  Qui peut prétendre une telle familiarité avec Dieu sans avoir été consacré à lui comme le sont les prêtres et les prophètes reconnus par le Temple?

 

Le Père de la parabole dite de l'enfant prodigue, nous en apprend long sur le sujet.  Cette parabole porte un grand coup à un autre absolu de la société de ton époque, la famille patriarcale. Les pères, à ton époque, avaient pratiquement un droit de vie et de mort sur leurs enfants. L'obéissance au père était un devoir absolument sacré. C'était une question d'honneur, une affaire de   face, de rang, de réputation, de race, de clan, de tradition; c'était une question qui portait sur elle le sceau solennel de la religion. Obéir au père, c'était obéir à Dieu. Toute la société était construite autour de ce principe.  Toi donc, pour montrer que Dieu n'était pas un père tyrannique comme il s'en voyait alors dans ta société comme dans toutes les sociétés du temps, (et comme il s'en voit encore aujourd'hui),  tu inventas cette histoire d'un fils au cœur dur qui eut le front de demander à son père de lui donner sa part d'héritage.  Le père la lui donna. Le fils empocha l'argent,  claqua la porte et s'enfuit loin de la maison pour tout gaspiller dans une vie de débauche. Déshonoré, le père avait perdu la face et était  resté seul avec son autre garçon, lequel, heureusement, était un modèle de fils. Mais le pauvre père était  quand même la risée de tout le monde. Cette blessure n'allait jamais se cicatriser. 

 

Les années passèrent. Et, un bon jour, ce chenapan de fils qui s'était perdu dans un pays lointain,  tomba dans la dèche. Il ne lui restait que la peau et les os. Or, poussé uniquement par la faim  - et aucunement  par le remords - il eut l'audace de s'amener de nouveau à la maison. Il était méconnaissable, décharné, sale, déguenillé.  Son père aurait dû lancer ses chiens contre lui, et même le tuer. Mais, au lieu de cela, le voyant venir de loin, il courut à sa rencontre, pleura de joie, le dévora de baisers, l'accueillit comme s'il avait été le meilleur des fils. Il lui fit une fête à tout casser.

 

L'autre fils ne le prit pas, qui l'en blâmerait? Si son père était  devenu fou, lui, il allait garder la tête froide. Pas question de se joindre à la fête. Pour lui, ce vaurien, cette loque humaine, n'était plus un frère. Impossible de faire autrement. Le père en eut le cœur gros, mais comprit la réaction de ce fils qu'il aimait bien aussi. Sans se détourner de lui, - les Dinosaures sont aussi des créatures de Dieu - il retourna festoyer avec le guenilleux revenu au pays.

 

Dans cette histoire, ou plutôt cette parabole, mon cher Jésus, tu as vraiment fait sauter la baraque. Passant par-dessus tout ce qu'on peut penser, croire ou dire de raisonnable sur Dieu, toi, tu nous révélas la nature de son cœur. Pour toi, il n'y avait pas et jamais il n'y aurait d'autre Dieu que ce Dieu qui, de tout cœur, aime sans condition même les plus endurcis et les plus ingrats ainsi que tous ceux-là qui abusent de sa bonté.

 

Rien n'y fait, il aime aussi les gens à la tête froide qui, au fond, sont tout de même des Dinosaures...

 

Ce Dieu, c'était ton Abba. Tu l'aimais par-dessus tout. Il t'éblouissait. Il était l'amour de ta vie. Tu aimais te retirer du monde agité pour le rencontrer au plus intime de ton être.  Il était la source de ta liberté, le grand secret de tout ce que tu disais et de tout ce que tu faisais.       Or ce Dieu n'avait pas de barbe....

 

Une telle théologie qui mettait définitivement au rancart le Dieu justicier de la bonne vieille tradition, déstabilisait à un degré inimaginable les "gardiens de la vérité" qui n'en finissaient plus de déchirer leurs vêtements. La patience des Dinosaures  n'était plus très loin d’atteindre le bout de son rouleau.

 

Rencontre avec les gens de ton propre village et avec la Mission

 

(Luc 4, 16-30)

 

Vous étiez dans la synagogue du village. On te fit lire un texte du prophète Isaïe (un génie!) Le texte disait ceci (ici j'interprète la chose dans nos mots à nous):: «Le Souffle de Dieu est sur moi. Il respire en moi. Il me pousse à  annoncer aux pauvres la bonne nouvelle: tous ceux et celles que nos oppresseurs ont jetés en prison, vont être libérés! Tous ceux et celles qui sont enfermés dans l'obscurité des cachots vont enfin voir la lumière du jour et de la liberté! Tous ceux et celles qui, à cause de leur pauvreté, sont tombés dans les griffes des usuriers et qui, ne pouvant rembourser leurs dettes, se sont fait saisir tous leurs biens et, très souvent, ont même dû vendre leur force de bras et leur liberté pour que leurs créanciers les gardent en vie, eh bien, tout cela est fini! Leur pardon, leur affranchissement, leur libération, autrement dit,  leur "grâce" est arrivée! Ils pourront recouvrer leur liberté, leurs droits et tous les biens qui leur ont été confisqués! Pour tous et toutes, c'est L'ANNÉE DE GRÂCE du Seigneur, notre Dieu!»

 

Tu refermas le  livre. On n'entendit pas voler une mouche. Tout le monde te regardait avec des yeux grands comme des piastres. Puis tu ouvris la bouche et tu dis: "AUJOURD' HUI S'ACCOMPLIT CE QUE VOS OREILLES VIENNENT D'ENTENDRE"... À  ces mots,  les pauvres sautèrent au plafond et se mirent à danser de joie. Mais aussitôt, les autres, les usuriers, les grands propriétaires, ceux qui confisquaient terres et maisons aux insolvables, ceux-là se moquèrent  de toi, t'insultèrent, te chahutèrent. Ils te crièrent: "Pour qui te prends-tu?" Tu n'es qu'un minable charpentier de village, un nul!"   Ils te sommèrent de faire un miracle dans leur village pour prouver devant tout le monde que tes paroles ne venaient pas du diable. Tu leur répondis que ce n'était pas dans son village, mais à Sarepta, en terre étrangère, qu'Élie  avait  fait un grand miracle en faveur d'une veuve païenne qui mourait de faim; et une autre fois, ce n'était pas un Juif du pays qu'il avait guéri de la lèpre, mais Naaman, un fonctionnaire d'origine syrienne.

 

Ces paroles ne firent que jeter de l'huile sur le feu. On sauta sur toi, on te traîna dehors pour te tirer en bas d'une haute falaise... Comment as-tu pu t'échapper? Nul ne le sait. Ce que l'on sait, c'est que tu as réussi à te faufiler comme une couleuvre entre les pattes des Dinosaures. Aucun ne s'en est rendu compte.

 

Pas si forts, finalement, les Dinosaures.

 

Mon cher Jésus, c'est dans cette ambiance sulfureuse que s'est déroulé ton "envoi missionnaire pour l'évangélisation des peuples". Mais les choses ont bien changé depuis cette époque.  Aujourd'hui, dans un nuage d'encens, la sainte religion est venue arrondir les coins, mettre des bémols, nuancer les choses, effacer carrément ce qui n'était pas rentable pour elle et pour ceux qui, avec elles, se donnent la "mission" de maintenir l'ordre dans le monde  et l'équilibre dans l'univers. Dans nos envois missionnaires, on ne parle pas de libération, de remise de dettes, Dieu nous en garde! Il n'y a pas si longtemps, on baisait encore les pieds des missionnaires, comme on baisait la patte des riches qui de temps en temps faisaient de menus dons aux missions (on les  honorait même comme des parrains, des parents spirituels).

 

On allait  en mission parce qu'on voulait que tout le monde se convertisse à notre sainte religion, (une religion d'ailleurs  soigneusement expurgée de toute référence à "l'Année de Grâce" que l'on ignorait ou qu'on avait totalement déformée en la travestissant en une occasion en or de collectionner des indulgences et beaucoup d'argent...); une religion qu'on avait également exorcisée de toute velléité de libération, cette chose estimée dangereuse que l'on identifiait volontiers  à la désobéissance des anges déchus. (v.g. un certain Syllabus et un certain serment antimoderniste). Dinosaurisme parfait!

 

Cela a changé, évidemment, mais ces changements sont encore tout récents. Le fond et la mentalité restent les mêmes: la "libération" est comme le mot en 'n'... ou à peu près.

 

Rencontre avec le sexe.

 

Pas de fanfare, pas de pétarade, pas de maladie à ce sujet. C'était  probablement parce que tu voyais le sexe simplement comme une chose normale. Il est vrai que le sujet était hyper tabou dans ton monde (comme il l'a été pour nous pendant longtemps),  mais toi qui ne te laissais jamais embarrasser par les tabous,  pourquoi te serais-tu gêné à propos des pratiques sexuelles dans la société de ton époque? Il devait sûrement  y en avoir pour tous les goûts, au moins dans les cercles influencés par les autres cultures et les autres  "cultes"... Il y avait là tout un matériel extrêmement salé contre lequel tu aurais pu décocher quelques-unes de tes flèches les plus affûtées... Mais non. On ne saura jamais pourquoi.

 

Le moins que l'on puisse dire, c'est que tu n'étais pas obsédé par la question. Le sexe n'était pas le centre de tes préoccupations. Cependant, il n'en fallut pas plus pour que tu passes pour un païen, un impur, et même un ami des débauchés. D'ailleurs, tu as été accusé de cela aussi... On t'a même traité de Belzébul, comme on sait (Matthieu 10, 25).

 

Rencontre avec les Galiléens

 

Ils rêvaient d'un roi qui prendrait la tête des troupes pour pourchasser les ennemis, restaurer l'ordre et accroître la puissance de leur nation. Mais toi, ce dont tu rêvais c'était d'un État dans lequel l'autorité, la politique, l'économie, la justice, la liberté, la religion elle-même seraient au service de l'humain, et non l'inverse. Un État  où tout serait centré sur le bien de la personne humaine. À ce projet, tu lui donnais le nom de "Royaume de Dieu". Tu l'établissais sur un principe sacré selon lequel "le sabbat est fait pour l'être humain et non l'être humain pour le sabbat" (Marc 2, 27). Le Leader (ou le roi),  la Loi suprême, l'administration, la religion de ce Royaume, l'évangile lui-même et toute la communauté des disciples (l'église) seraient au service de l'humain et jamais l'inverse.

 

C'est d'ailleurs pour cela que l'église a été inventée. C'est cette vision, ce souffle, cette façon de faire qu'elle devait  incarner dans le monde. C'est en cela qu'elle devait être la lumière du monde, témoin de Jésus, témoin de l'évangile. En cela qu'elle devait et doit être levain dans la pâte. Elle devait être la preuve vivante que tout au monde doit se bâtir à partir de l'humain et en fonction de l'humain, et aussi, ajouterions-nous aujourd'hui,  en lien très étroit avec la Nature. Car la Nature est également un immense être vivant. L'humain n'en est qu'une partie. La Nature n'est pas une chose, elle n'est pas un simple objet, mais un ensemble d'êtres qui, comme les plantes et les animaux (et même les pierres !), respirent et sont vivants tout autant que les humains eux-mêmes.  Enfin, tout cela afin de rendre gloire à Dieu, lui qui aime tant le monde que Jésus, son témoin, ne peut faire autrement que donner sa vie pour lui (Jean 3, 16-17).

 

Ta révolution, Jésus, c'était cela ! Si les chrétiens d'aujourd'hui ne sont pas avec toi du côté des opprimés, tous les vrais révolutionnaires qui ont à cœur le triomphe de l'humain sur la bêtise, auront raison de juger le christianisme comme "l'opium du peuple". Ils traiteront les chrétiens d'hypocrites, de fascistes et de gorilles, et ils leur feront la guerre. Mais il faut admettre, par contre, que si un bon nombre de chrétiens se montraient résolument du côté des opprimés, ce serait la super surprise du millénaire que leurs propres dirigeants religieux leur apportent leur appui ou prennent leur défense. De peur de perdre quelque chose de leur pouvoir, ces braves grands-prêtres seraient les premiers à soupçonner leurs chrétiens engagés d'être des naïfs, des illuminés, des idiots utiles plus ou moins de connivence avec les sans-dieu et les gros méchants communistes. Ils les  ostraciseraient sûrement ou les dénonceraient  sans se faire de scrupules.  À moins de les faire éliminer tout simplement par un subalterne rêvant d'un ceinturon rouge.

 

Quand on prend ton évangile au sérieux, cher Jésus,  on court les mêmes risques que toi.

 

Rencontre avec la Joie

 

Au risque de passer pour des jovialistes et des illuminés, il faut affirmer haut et fort que l'Évangile, c'est de la joie de la tête aux pieds. Il y a des passages nuageux, il y a des moments de grande noirceur, mais il y a surtout de la joie qui coule à flot comme le meilleur vin aux noces de Cana.

 

Cette joie, c'est toi au complet, cher Jésus. Tu n'as rien d'un esprit sombre,  rien d'un esprit chagrin. Tu ne broies pas de noir.  Tu n'es pas grognon pour un sou. Tu as tes sautes d'humeur, bien sûr, tes moments moins olé olé, tes moments de peine et de tristesse, mais tu n'es pas que cela.

 

Dans Matthieu, ta bonne nouvelle commence par un immense cri de joie qui jette par terre toute la tristesse du monde. «HEUREUX! HEUREUX! HEUREUX!» est répété neuf fois de suite! (Matthieu 5, 1-12).  Ce mot résonne encore dans nos oreilles. Tu veux le bonheur de tous les paumés de la Terre, tu veux la joie dans  le monde entier. Tu es joie. Avec toi tout débouche sur cette certitude incroyable que le règne de  la mort, le règne des Dinosaures est terminé, et que commence le règne d'une conscience nouvelle, le règne d'une réalité complètement différente.

 

Oui, avec toi, on marche vers la joie du Royaume. Vers cette joie  qu'on ressent quand tombe du ciel l'aubaine du siècle, par exemple,  lorsque par pur hasard on découvre un trésor énorme caché dans un  champ, ou une perle splendide mêlée à la camelote d'un souk des Mille et une nuits.  (Matthieu 13, 44-45). Ou vers la joie d'une femme pauvre qui, ayant perdu une des rares monnaies qui lui restaient, la retrouve après avoir mis la maison à l'envers et  l'avoir balayée de haut en bas. Ou vers la joie du berger qui retrouve une brebis perdue, comme si cette brebis maigrichonne et un peu écervelée avait  autant de valeur que les 99 brebis grasses laissées sans gardien pendant la recherche. Ou vers la joie extrême du père qui retrouve son enfant perdu, même et surtout si cet enfant au cœur dur  ne mérite plus de porter le nom de son père (Luc 15, 8-9. 4-6. 11-32). Ou vers la joie des ouvriers qui n'ont travaillé qu'une heure et reçoivent le même salaire que ceux qui ont trimé tout le jour (Matthieu 20, 1-16)... 

"Que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite!" (Jean 15, 11).

 

ARRACHEMENT

 

J'entends monter des voix de protestation.

 

On pourrait  me reprocher de faire de la voie de Jésus un bar ouvert où tout le monde peut entrer sans s'essuyer les pieds et où chacun se fait servir sans payer. On me rappelle que le Jésus de l'évangile a quand même dit: "Si tu ne renonces pas à toi-même, si tu ne prends pas ta croix pour me suivre, tu ne peux pas marcher avec moi" (Luc 14, 26-27). On s'étonne aussi que je ne parle pas de la "tenue de noces" obligatoire pour prendre part au banquet auquel "beaucoup sont appelés, mais peu se qualifient" pour y être acceptés (Matthieu 22, 11-14). On me dit que mon langage n'est pas celui de Jésus. 

 

Ce à quoi je réponds:

 

 - "D'accord.  Chez Matthieu, l'accès au banquet du Royaume est apparemment plus restrictif que chez Luc. (Car Matthieu est Juif et  conserve encore des réflexes légalistes de sa communauté traditionnelle. Chez Luc, qui est Grec et n'a donc pas les mêmes scrupules que Matthieu,  sa vision du Royaume est sans réserve: «Va t'en par les chemins et le long des clôtures, et fais entrer les gens de force, afin que ma maison se remplisse!» (Luc 14, 21-23). Moi qui suis plus grec et plus païen que Juif, j'adopte avec reconnaissance la vision de Luc. 

 

Quant au renoncement requis pour suivre Jésus, je ne crois pas avoir baissé la barre. J'ai parlé beaucoup "d'arrachement". J'ai insisté pour que nous nous arrachions à nos vieilles pratiques, à nos routines, à nos tabous, à nos préjugés, à nos peurs; que nous nous arrachions à nos inerties, à nos zones de confort, à nos voies tracées d'avance, à nos certitudes, à nos dogmes; que nous renoncions aux images mielleuses ou de grand seigneur que nous nous sommes fabriquées de Jésus; que nous renoncions à nos béquilles, à nos déguisements, aux croyances incrustées dans nos gènes, à toutes ces choses que souvent nous avons sacralisées par le biais de la religion; que nous nous arrachions à nos enclos sacrés et que, de là, nous fassions le saut dans le vide, vers le neuf.

 

Pour moi, "renoncer à tout et prendre sa croix pour suivre Jésus", c'est justement cela.  Se dépouiller pour "revêtir le Christ", comme dirait l'apôtre Paul (Éphésiens 4, 22-24),  "emprunter la voie étroite" dont parle Jésus lui-même (Matthieu 7, 13), c'est cela. Voie qui n'est quand même pas toujours étroite, car à peine dure-t-elle le temps de rompre les amarres et de faire le saut. Aussitôt la muraille franchie, elle débouche sur une chaussée large à  l'extrême. Là, en lien "étroit" avec lui, on apprend à marcher joyeusement  dans "la glorieuse liberté des enfants de Dieu" (Romains 8, 21).

 

Et les Dinosaures?

 

Les Dinosaures, tu les as endurés tant que tu as pu. À la fin, quand ils t'ont crucifié, tu as prié ton Abba de les pardonner. Tu as plaidé en leur faveur, mais sans leur donner raison ( DÉTAIL TRÈS IMPORTANT).

 

Tu  as fait valoir qu'ils ne devaient pas être jugés coupables. Pourquoi? "Parce qu'ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient" (Luc, 23, 33-34). Autrement dit, parce qu'ils étaient des inconscients (ce qui n'est pas exactement un compliment...). Pour cette raison,  tu demandas à ton Abba de ne pas les condamner. Tu le prias de leur faire miséricorde...

 

Avec toi, il en est ainsi: avant tout: la justice et la vérité, mais le dernier mot appartient à la miséricorde.

 

Ce qu'il adviendra des Dinosaures après leur mort est un secret que Jésus partage seulement avec des amis très proches. Ce secret, je l'ai découvert quelque part, en 1959, dans un vieux livre jauni dont le titre était : "Révélations de N.S. Jésus-Christ à sainte Gertrude le la Passion" (imaginez!). Il lui aurait chuchoté à l'oreille:

 

«Ma fille, ni de Salomon, ni de Judas je te dirai ce que j'ai fait,  

            pour qu'on n'abuse pas de ma miséricorde»...

 

Vous l'avez bien deviné. Cette parole a de grosses chances d'être authentique et de très bien s'appliquer  à nos Dinosaures...  Tant mieux, alors!  Au fond, nos Dinosaures le méritent.  Car, même si nous n'avons aucune raison de les aimer, je me demande ce qu'on aurait pu connaître de Jésus s'ils n'avaient pas toujours été dans ses jambes... Enlevons les Dinosaures des évangiles,  et les évangiles tombent en miettes. Enlevons les prédateurs de la planète et ce sera la fin du monde. On n'a pas le choix...

 

C'est pour cette raison, sans doute, que François d'Assise a fait un pacte avec le loup de Gubio, un méchant loup.

 


 

 

 

Mort et Résurrection

 

Le grand Voile du temple qui marquait la séparation absolue entre Dieu et les humains, entre  le sacré et le profane, entre le pur et l'impur, entre l'esprit et la matière, entre  la religion et la vie quotidienne, entre la Loi de Dieu et la loi de la Nature, entre l'Humain et le Divin, entre la Mort et la Vie, ce Voile se déchira de haut en bas (Matthieu 27, 51). Ce voile  qui divisait et séparait... a été déchiré par les fouets, les épines, les clous et le coup de lance porté en plein cœur du Crucifié.

 

On aurait dit, Jésus, que ton visage, ton corps, ton histoire personnelle ou même ta parole réelle s'effaçaient pour "dé-voiler" l'ultime réalité pouvant expliquer le monde, le changer et le sauver.  Alors, ayant aimé les tiens, tu les aimas "jusqu'au bout" (Jean 13, 1). Tu te rendis semblable aux humains en tout. Tu leur lavas les pieds (Jean 13, 2-16) et tu te fis leur esclave jusqu'à la mort de la croix (Philippiens 2, 6-8). Tu t'es abîmé dans tout ce que nous sommes, y compris dans tout ce qu'il y a le plus inhumain et de plus méprisable en nous. Tu t'es fait malédiction, tu t'es fait péché (Galates 3, 13; 2 Corinthiens 5, 21). Tu t'es anéanti dans toutes nos horreurs jusqu'à l'absurdité de la présente  guerre entre la Russie et l'Ukraine. Aujourd'hui, tu es à Marioupol, tremblant de  faim et de froid parmi les vieillards, les femmes et les enfants enterrés vivants dans les caves humides des usines d'Azovstal.

 

Ta croix d'hier, d'aujourd'hui  et de toujours,  ce sont les chambres des tortures, les chambres à gaz et les geôles de toutes les tyrannies de tous les temps. Ta croix, ce sont les fameux pensionnats pour enfants autochtones, au Canada, aux USA et ailleurs. Ta croix, c'est la faim dont souffre une grande partie de l'humanité pendant que l'autre croule sous l'abondance et assassine la Terre qui lui donne la vie.  Quand  le soleil s'éteint en plein midi sous l'épais nuage de nos bombes, de nos crimes et de toutes nos folies, tu es là, cloué à nous,  poussant toujours le même cri de mort qui perce le cœur de Dieu: "Éloï, Éloï, lama sabachtani", "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi, m'as-tu abandonné?" (Marc 15, 34).

 

Ce cri fut aussi celui que poussèrent tes disciples, eux-mêmes morts de peur et  ensevelis vivants dans leur refuge de Jérusalem. Ils avaient tout perdu.

 

Il ne leur restait plus rien, sauf l'amour dont tu les avais aimés.  Gardé au fond de leur cœur, cet amour soudain remonta avec force dans leur être et les ramena doucement à la lumière et à la raison. Il les fit sortir de l'ombre. Il les "ressuscita".

 

Alors, leurs yeux s'ouvrirent.  Ils virent  que  l'amour dont tu les avais aimés, non seulement leur redonnait la vie, mais qu'il te ramenait à eux. Ils virent et comprirent que toute mort avait disparu et que tu étais toujours vivant. Vivant, non plus en dehors, mais au-dedans et au-delà d'eux-mêmes pour aller avec toi sur toutes les routes du monde.

Ils comprirent que la plus grande puissance de l'Univers est l'amour. Ils comprirent que l'amour rassemble tout, l'amour ramène toutes choses à leur unité originelle, l'amour ressuscite tout, l'amour recrée tout.

 

Ils comprirent que tout meurt et que seul l'amour demeure.

Et ils comprirent que tout ce qui est amour vit en Dieu à jamais, car Dieu est Amour (1 Jean 4, 16).

Serait-ce là, la "vérité" que Pilate cherchait? (Jean 18, 38)

 

 

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ÉPILOGUE

 

Cher lectrice, cher lecteur,

 

Ce Jésus que je viens de "mettre à jour" à ma façon,  n'est peut-être pas tout à fait le Jésus que les témoins d'il y a 2000 ans sont censés avoir  vu de leurs yeux.  Je crois, tout de même, m'en être "in-spiré", même si nous n'avons pas de portrait ni d'histoire sûre à son sujet. Pour ma part, tout ce que je sais de lui, c'est qu'il est vivant.

 

Si ce Jésus  te rejoint le moindrement, ne le laisse pas échapper. Il ne te demande pas de l'imiter, car il ne commande rien à personne. Il veut seulement s'enraciner suffisamment en toi pour "t'in-spirer" à ton tour, c'est-à-dire pour "spirer" à l'intérieur de toi, te donner du souffle, du tonus, de la vision, des ailes. Tout ce qu'il veut, c'est que son esprit (son "spire") poursuive en toi et par toi l'œuvre commencée par lui.

 

Trop souvent, dans notre iconographie imaginaire, l'Esprit vient  d'en-haut, il vient de l'extérieur et semble, d'une certaine manière, venir après Jésus et être indépendant de lui. Pourtant, même si Jésus a une idée très large de l'Esprit, celui-là même qu'il nous donne est proprement l'Esprit qui "demeure" en lui. Il s'agit de l'esprit qui l'habite intimement, il s'agit de sa mentalité à lui, de sa façon d'être, de sa façon de penser, de sa façon d'agir, de sa propre façon d'aimer. Ce qu'il nous transmet, c'est son propre souffle (Jean 20, 19-22). 

 

Pour employer un terme plus près de nous, l'esprit de Jésus est sa propre "énergie". Il est son âme, il est son souffle, il est sa vie. Rattaché à Jésus et "insufflé" en nous, l'esprit rend Jésus vivant à l'intérieur de nous, à partir de ce qu'il a été (ou de ce qu'à travers les siècles) on a cru qu'il a réellement été.

 

En nous laissant imprégner par le même esprit, Jésus sera en nous autre chose qu'un sujet de thèses ou un thème de sermon. Sa présence sera réelle, affective et effective. Ses émotions, sa créativité, sa liberté, sa sagesse, son audace, sa force, son amour se communiqueront à nous. Dans notre terre intérieure ses racines pousseront en profondeur.

 

Donc, si jamais ces lignes que je viens de partager avec toi te font vibrer un tant soit peu, si elles vont te "chercher" comme on dit dans notre langue courante, lis-les et relis-les à ton rythme, soit  d'une traite, soit goutte à goutte. Laisse-les tourner dans ta tête, mâchonne-les, débats-toi avec elles, laisse-les "spirer". Laisse-toi "contaminer" par elles. Si bien qu’à la longue, le "dinosaure" qui dort en toi, tout comme en moi,  finira par fondre; il s'effacera doucement comme un iceberg dans les eaux de l'Arctique qui se réchauffe...

 

Et voilà! En moins de trois ans, Jésus,  tu as bousculé notre vie et tu as renversé notre mort pour que nous trouvions notre centre et que s'établisse l'harmonie en nous, autour de nous, avec l'univers et avec Celui qui est la Source et le Cœur de tout. Tu as cassé tous les moules et secoué tous les cadavres. Toutes tes rencontres ont été des défis à relever, des risques à courir, des interdits et souvent des impossibles à affronter. Tu n'as cessé de surprendre.

 

Toutes choses qui n'entraient pas dans les vues et les cadres d'une religion qui était sûre d'elle-même et à peu près convaincue d'être plus ou moins l'incarnation même de Dieu et de sa volonté sur terre, croyant dur comme fer que ses Écritures, ses dogmes, ses codes moraux, ses rituels, ses structures étaient immuables à jamais, tu osas les remettre en question, tu les attaquas et les bouleversas de fond en comble... Nous en sommes encore interloqués, mais toi, avec patience, douceur et bonté tu nous préviens que nous n'avons encore rien vu et que nous devons continuer à marcher.  "En vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera lui aussi les œuvres que je fais; et il en fera même de plus grandes" (Jean, 14, 12).

 

Et nous, nous sommes les plus malheureux des humains parce que nous sommes dépassés et incapables de te suivre. Notre barque prend eau de toutes parts et toi, tu dors. Si tu te réveilles, c'est seulement pour t'entendre nous répéter: "Pourquoi avoir peur, hommes et femmes de peu de foi? (Matthieu 8, 26) Moi, j'ai vaincu le monde (Jean 16, 33). J'ai survécu à la mort et «je fais toutes choses nouvelles» (Apocalypse 21, 3-5). "Allez, de toutes les nations faites des disciples... Je suis avec vous tous les jours, jusqu' à la fin du monde» (Matthieu 28, 19-20).

 

Une dernière question

 

À vous qui doutez encore, à vous qui trouvez, peut-être, mon Jésus vraiment trop frondeur, trop délinquant, trop militant, trop anticlérical,  trop tiers-mondiste des années 70, pas assez cool, pas assez liturgique, trop laïque, pas du tout canonique  et trop kamikaze..., à vous qui estimez que ce je dis de lui est vraiment exagéré, je vous pose cette question: si le Jésus réel était plus  posé, modéré et nuancé que celui auquel je donne vie en ces pages, pourquoi donc, en moins de trois ans d'action publique, lui qui a tant aimé et qui a été si aimé, a-t-il été livré comme un ennemi extrêmement dangereux,  et pourquoi a-t-il été broyé sur une croix avec tant de rage, de cynisme et de cruauté, non pas par des diables sortis de l'enfer, mais  par des hommes religieux qui, pourtant, ne cherchaient qu'à faire leur devoir et obéir à la volonté de Dieu, le même Dieu que celui de Jésus?...

                                                                    Eloy Roy

 

ANNEXE1 3 Notes

 

 

 

Note 1 - Le langage des évangiles

 

Le langage des évangiles et de tous les anciens écrits chrétiens n'a rien à voir avec l'objectivité savante telle que nous l'entendons de nos jours. Les auteurs de ces écrits ne cherchaient nullement à faire un relevé détaillé de la vie de Jésus. Ils voulaient seulement  transmettre quelque chose de l'énorme impact que Jésus avait eu sur leur vie personnelle et sur celle d'un tas de gens de leur entourage. Tant et si bien que, malgré la fin atroce qu'il subit sur la croix, il continuait plus que jamais à vivre en eux et à faire des merveilles  à travers eux. Ce que les auteurs des évangiles désiraient partager par-dessus tout, c'était la foi qui s'était enracinée en eux grâce à Jésus. Ils nous disaient la reconnaissance, l'admiration, l'enthousiasme, les convictions et la joie que Jésus avait fait surgir dans leur propre vie. Quand ils le faisaient marcher sur les eaux, par exemple, ils ne voulaient pas dire que Jésus faisait du surf sans avoir de planche sous les pieds. Ils voulaient dire que le fait de connaître Jésus et de s'appuyer sur lui, leur avait permis de surmonter bien souvent dans leur propre vie la peur, les  doutes, les malheurs et les menaces de mort. Autrement dit, dans des situations où ils croyaient que l'abîme allait les avaler, leur confiance en Jésus leur avait donné des ailes et du souffle pour les affronter avec lucidité et courage. Car, dans le langage biblique,  les "eaux de la mer" réfèrent justement à l'échec, au malheur et à la mort. Si donc  Jésus marche sur "les eaux" et ne s'enfonce pas,  cela veut dire qu'avec lui, le mal et même la mort n'ont pas le dernier mot. Jamais.  Ni pour lui, ni pour ceux et celles qui le suivent.

 

Pour aller plus loin, lire Marcher sur les eaux, en suivant ce lien :. 

http://todoelmundovaalcielofrancais.blogspot.com/2012/04/marcher-sur-les-eaux.html

 

 

Note 2 - Le problème du Mal

 

À moins de se perdre dans des spéculations sans fin qui ne convainquent personne, on doit avouer que toi non plus, cher Jésus, tu n'as pas résolu cette question. Ta résurrection pourrait être une réponse très valable, mais ce n'est qu'une moitié de réponse,  car elle se présente un peu tard, seulement après la mort, une fois que le bout du tunnel est atteint et que tout est fini... C'est appréciable, mais qu'en est-il du mal que l'on souffre avant d'arriver au bout du tunnel?

 

(Ce qui suit est une hypothèse de mon crû à prendre avec un grain de sel). 

 

Depuis des millénaires, engouffrés dans le tuyau d'étranglement de leur existence, des milliards d'humains n'ont pas de vie. S'ils en ont une, elle se résume à se faire écraser par les plus forts, à endurer ce sort, à se révolter inutilement, à s'entre-tuer et à mourir... Comment un Dieu bon peut-il vouloir ou permettre une telle horreur?

 

J'essaie de comprendre. À la fin, peut-être que cette affaire ne dépend ni de toi, Jésus, ni directement de Dieu, mais du faible degré d'évolution auquel, à ce jour, nous sommes parvenus comme humanité. Dans l'immense tableau d'ensemble du développement de l'univers, l'espèce humaine, en plus de microscopique, est encore extrêmement jeune et fragile. Il est impossible d'imaginer ce qu'elle sera dans quelques centaines de milliers d'années. La souffrance vient peut-être du fait que nous sommes encore trop proches de notre naissance et à peine au début de notre croissance. Naissance et croissance, comme nous savons, sont des processus longs, violents et déchirants.  Ce sont des traumatismes puissants qui n'en finissent jamais de nous forger, de nous tailler, de nous affiner et de nous mûrir... Tout est souffrance, on dirait, mais cette souffrance, est-ce vraiment le Mal? Voilà la vraie question. Qu'en apprenant à marcher on trébuche, qu'on se frappe la tête ou on se blesse, est-ce là une situation absolument injuste et intolérable? Si oui,  tous les  apprentissages seraient le mal? Le mal serait de ne pas être nés déjà tout faits?... Ce serait de ne pas pouvoir, dès la naissance, esquiver le stade de l'œuf et du poulet et venir au monde instantanément comme coqs fringants ou poules parfaites? Le mal, ce serait de ne pas avoir tout cuit dans le bec? Le mal, ce serait de ne pas pouvoir s'abandonner à la "béatitude de l'inertie"? Le mal, ce serait de se laisser entraîner de force dans la danse effrénée de l'univers où tout est mouvement inlassable, changement, bouleversement, transformation, évolution, de même que vieillissement, régression, mort et... recommencement?... On sait bien que non. Alors, le mal est dans notre tête. Il pourrait venir du simple fait que soit planté très creux dans notre inconscience l'idée que la vie (et donc le bonheur) serait quelque chose de statique, de fixe et d'immuable, alors qu'il semble bien qu'elle soit, au contraire, une sorte de "galaxie" en perpétuelle transformation qui ne cesse de tourner et de se déplacer en volant vers l'infini.

 

Il est bon, consolant, merveilleusement inspirant et encourageant de savoir qu'un jour (dans 100 ou 500 mille ans?), grâce à nos descendants, c'est-à-dire grâce à des humains de notre chair, nous dépasserons nos inerties et  parviendrons à la plénitude à laquelle notre être, dans toutes ses cellules et au plus profond de lui-même, ne cesse d'aspirer.  En ce sens, Jésus, ta propre vie a été et continue d'être  une source constante d'inspiration. Toi, Jésus, tu as bien dit que celui ou celle qui parvient à aimer jusqu'à donner sa vie pour que d'autres vivent, est comme une semence jetée en terre. Si la semence ne se défait pas, si elle ne meurt pas dans la terre, elle demeure stérile, mais si elle se défait, «si elle meurt, elle porte beaucoup de fruit» (Jean 12, 24) ...

 

Dans cette image d'une simplicité déconcertante, tu nous dévoiles la loi fondamentale de la vie. Tu nous montres combien notre façon de voir "le mal" nous trompe. Il est là ton secret,  le secret de ta vie, de ta liberté et de ta fécondité. Ta vérité, elle est là.  En te regardant, en découvrant ce qui t'anime du dedans à travers ce que tu fais au dehors, nous apprenons, en effet, que  la vie consiste à se déconstruire, c'est-à-dire à s'ouvrir constamment pour que l'énergie qui se concentre à l'intérieur de nous se déploie et se transmette. En te suivant du cœur et des yeux, nous percevons que ce que nous considérons bien souvent comme mal, serait, en réalité, une force de la nature qui broie nos inerties, brise nos carapaces, ouvre nos cages, arrache nos œillères, casse nos chaînes, et nous expulse de nos tombeaux. Ce que nous appelons le mal serait donc, le plus souvent, une simple loi de la nature qui fait mal: naître, grandir, mûrir et mourir fait toujours mal, mais c'est nécessaire et pas mauvais du tout. C'est même bon. "Et Dieu vit que tout cela était bon" (Genèse 1, 25).

 

Je répète. Ceci n'était qu'une modeste hypothèse pour tenter d'expliquer l'inexplicable.

 

Note 3 - La religion

 

La religion n'est pas mauvaise, loin de là! Depuis l'époque des cavernes jusqu'à nos jours, elle a été la matrice et la colonne vertébrale de toutes les cultures, de toutes les nations et de toutes les civilisations. En occident, comme partout ailleurs, nous sommes passés de la barbarie à la civilisation en très grande partie, grâce à la religion

 

C'est à cause de la religion, entre autres, qu'à un certain moment de leur histoire des hommes et des femmes ont rêvé d'un nouveau monde, ont quitté leur patrie et ont bravé les furies de la mer dans des coquilles de noix pour se  transplanter  en terres inconnues  afin d'y fonder la Nouvelle-France, berceau du Canada, ou les États-Unis, le soi-disant "paradis" dont rêve la moitié de la planète... Mais si, chez les Anglais, les Français, les Hollandais, les Portugais, les Espagnols, et dans bien d'autres nations, la religion a souvent été la bougie d'allumage qui les a fait sortir de leur pays pour aller bâtir dans de nouveaux territoires un monde proche du Royaume des Cieux, elle leur aura servi le plus souvent de prétexte et de justification  pour conquérir un très grand nombre de peuples, les piller, les endoctriner, les soumettre à un esclavage plus ou moins déguisé, et en massacrer sans pitié ceux qui osaient leur résister.  

 

Au cours des siècles, des légions de moines, de moniales, de prêtres, de religieuses, de personnes laïques et de missionnaires ont déferlé sur le monde et l'ont rempli de dévouement, de dépassement de soi, de sacrifices héroïques en faveur des pauvres, des étrangers, des captifs, des esclaves; en faveur des petits, des opprimés, des malades, des pestiférés, des abandonnés et des rejetés de la Terre. Cette gloire, personne ne la leur enlèvera. En vérité, elle est incommensurable.

 

Ceci étant réaffirmé, admiré et célébré, il faut reconnaître aussi que cette religion, qui a produit de si beaux fruits, n'a pas moins, au cours des siècles, été profondément entachée d'abus d'autorité, de guerres de pouvoir, de fanatisme, d'intolérance à outrance et de cruelle inhumanité. 

 

Les Croisades, avec le  Pape en tête, en sont un bel exemple, elles qui, au-delà des bonnes intentions (qui ne manquaient pas), se sont transformées en véritables boucheries et creusé un abîme jusqu'à maintenant infranchissable entre l'Occident catholique,  les musulmans et les chrétiens orthodoxes. 

 

De tous les abus de pouvoir, le plus pernicieux, le plus terrifiant et le plus efficace, a été l'infâme Inquisition qui, à partir de 1230,  s'étira sur une période de  près de 600 ans dans différentes régions.  Elle fut l'instrument le plus perfectionné mis au point par la hiérarchie catholique pour éliminer en son sein toute critique et toute dissidence. Elle s'assura le contrôle des esprits, s'imposa comme autorité absolue dans tous les domaines de la vie politique et sociale, instaura partout un véritable totalitarisme religieux. Ses méthodes, ses techniques, ses tortures, ses bûchers,  n'avaient rien à envier à ce qu'on apprendra plus tard sur les geôles de Staline, d'Hitler, de Mao, de Pol Pot, ou sur les cachots des dictatures de l'Amérique latine et d'ailleurs, et sur des prisons américaines disséminées à travers le monde, comme Guantánamo, Abou Ghraib et beaucoup d'autres.

 

J'entends déjà les dinosaures hurler: «Il ne faut pas juger le passé avec les yeux d'aujourd'hui!»  Cette ritournelle, qui est sûrement juste à bien des égards, est une arme à deux tranchants qui a déjà trop tristement servi pour couvrir les manipulations de l'histoire. On l'a utilisée (et on l'utilise encore) ad nauseam pour ne montrer de nous qu'une face de  champions mondiaux de la vertu alors que dans les catacombes de nos mémoires grouillent les ombres encore vivantes de tout un passé d'horreurs. 

 

Quoi qu'on en pense, il est certain que les dinosaures qui sont censés s'être éteints il y a  66 millions d'années, semblent bien avoir survécu à la dite extinction, car, il y a à peine 2 mille ans,  on les retrouve en pleine santé au pied de la croix, narguant le crucifié de Nazareth. Il semble aussi qu'ils sont encore parmi nous, plus puissants que jamais. Leur look a changé et leurs techniques se sont sophistiquées.  On les voit maintenant sans soutane, avec des microscopes électroniques et des télescopes spatiaux  à la place des lunettes... Leur tête est plus grosse et leur queue plus courte, ils tuent maintenant avec des drones. Dans leur temps libres, avec des cornes sur la tête, ils s'emparent du Capitole de Washington, ou bien, au volant de camions plus gros que des mammouths, ils font trembler les colonnes de la soporifique Ottawa. Derrière ces hordes, on retrouve, bien évidemment, une pléthore de fondamentalistes religieux, la plupart de bannière américaine. Les dinosaures triomphent. L'avenir est à eux!

 

Étant donné le rôle éminent joué par les dinosaures dans le développement du christianisme en Occident, le moins que l'on puisse dire, c'est que la chrétienté, la religion dite chrétienne et l'Église elle-même ne sont pas exactement la même chose que l'Évangile de Jésus de Nazareth. Cela crève les yeux. L'Évangile est une chose, la religion et l'Église en sont une autre. Celles-ci ne devraient être qu'un support et un encadrement au service de l'Évangile, et cet encadrement devrait être le plus simple et le plus souple possible. Il devrait être ouvert, transparent et assez spacieux pour que, à chaque instant et sans équivoque, on puisse y respirer l'esprit de Jésus, son énergie, sa façon de vivre, sa façon de voir les choses, sa façon d'être, son souffle, son dynamisme, son originalité, sa hardiesse, sa liberté, son audace, sa mentalité, en un mot, sa présence active et libératrice qui ne se confond absolument jamais avec le statu quo et l'ordre établi. La loi, ou les lois, les règlements et les directives, les discours préparés d'avance et d'en haut, la pensée déjà toute faite devraient être réduits au minimum. De même que le sabbat est fait pour l'humain et non l'humain pour le Sabbat (Marc 2, 27), ainsi  la Religion, et même l'Église, ne devraient exister que pour l'évangile de Jésus et donc pour le service de l'humain, et jamais l'inverse.

 

Faut-il le rappeler? Jésus, qui était un homme religieux, ne s'est pas empêtré dans les filets de la religion. Son évangile dépassait le discours religieux de son temps, d'autant plus que, sur des points très importants, il s'y opposait.  C'est d'ailleurs la raison pour laquelle la religion l'a tué. Donc, le fait que Jésus ait été tué par des religieux de sa propre religion, et précisément pour des raisons nettement religieuses, devrait nous convaincre que    l'Évangile et la Religion ne sont pas des frères siamois.  Ils sont aussi différents que la Loi par rapport à l'amour, aussi peu semblables que la lettre par rapport à l'esprit. Amour et esprit donnent vie, Loi et lettre tuent (2 Corinthiens 3,6).  C'est l'Évangile qui donne la vie et non la religion. Pour nous, ils sont enchevêtrés comme dans un écheveau de laine; nous aurions intérêt à les séparer comme on fait avec la noix. Quand la noix est mûre, on ne l'avale pas tout rond, sinon on s'étouffe et on meurt. Seule l'amande se mange. Mais pour manger l'amande, il faut d'abord la séparer de la coque. Et pour  séparer l'amande de la coque, qu'est-ce que l'on fait?  On broie la  coque... La religion est la coque, l'amande est l'Évangile, et la récolte est mûre depuis belle lurette. (Luc 10, 2).

 

Pour ma part, plus je m'éloigne de la Religion et de son Dieu, plus je découvre Jésus de Nazareth comme un être de chair semblable à moi. Je le sens vraiment proche de moi et de tout humain. Je prends goût à son  Abba, et son évangile me paraît plus actuel et savoureux que jamais. Je ne sens plus le besoin d'être un autre pour me sentir proche de lui. Plus besoin d'être schizophrène. Je marche à ses côtés,  tel que je suis et j'apprends....

 

 

ANNEXE2 4 articles

Article 1                  

JÉSUS, LES COCHONS ET l'ÉCONOMIE

 


 

                                         MARC 5, 1-20

Qui est le plus cochon: le cochon ou bien celui qui lui donne à manger?

Gerasa est un bled ultra païen qui perche sur un cap au-dessus du lac de Galilée. Une subdivision de la Légion romaine en a fait une base militaire et 2000 soldats armés jusqu’aux dents y dressent leur campement. Leur mission est de contrôler avec une poigne de fer toute cette zone que l’empire de Rome colonise et exploite allègrement.

Aux yeux des Juifs bien nés, qui vivent sur l’autre rive du lac, ces Romains sont de méchantes créatures envoyées par le diable pour contaminer leur terre bénie et mener leur peuple à la perdition. Car cette soldatesque venue de l’étranger, non seulement tue à tour de bras et se livre à tous les vices, mais adore des dieux dégénérés, oblige les gens à adorer la statue de son empereur et, pour comble, mange du cochon!

Quels sont donc les gens qui approvisionnent ces diables de Romains en cochon, sinon les gros propriétaires de Gerasa? Pour eux, les Romains sont de la manne tombée du ciel. Ils investissent donc frénétiquement dans l’élevage du cochon et les vendent ensuite à haut prix aux riches occupants.

Cocasse, non? Ces « cochons » de Romains, qui empoisonnent la vie des Gerasiens, se font engraisser par… d’autres Gérasiens, qui se graissent à leur tour grâce aux sous des Romains. Et quoi? Les affaires sont les affaires!

Le pays de Jésus est un pays de Juifs allergiques au cochon qui se trouve situé, comme on a dit, de l’autre côté du lac, juste en face de Gérasa. Jamais un Juif qui se respecte ne laisserait sa barque aborder cette Gerasa qui pue le diable et le cochon à des kilomètres à la ronde.

Mais, un bon jour, Jésus, sans passeport ni rien, décide de franchir cette frontière interdite. Il appelle ses compagnons d’aventure, tous aussi juifs que lui, les embarque sur leur bateau et met le cap droit sur Gerasa.

Pas besoin d’insister, la traversée tourne rapidement au cauchemar. Les gars sont morts de peur. Peut-être plus en raison de leurs préjugés et de leurs superstitions que par le terrible orage qui se déclenche tout d’un coup au beau milieu du lac. Jésus est obligé de lever la voix pour que ses amis se ressaisissent et finissent par se calmer. Puis, c’est l’arrivée à Gerasa. Tous sont sains et saufs.

Dès que Jésus met le pied hors du bateau, une chose sombre surgit de derrière les tombes du cimetière local et court à toutes jambes vers lui. Les gens de la place expliquent qu’il s’agit d’un fou qui vit avec les morts; à toute heure du jour ou de la nuit, il hurle comme une bête en se tailladant les chairs avec des pierres pointues (comme ont coutume de faire les voyants païens dans leurs délires mystiques). Chaque fois qu'on essaie de l’attacher avec des chaînes et des fers, il fait tout voler en éclats. Personne ne peut le dominer. C’est un monstre.

Un monstre qui, en arrivant près de Jésus, se jette sur lui comme pour le tuer. Mais Jésus se cabre. Usant de la même voix qui a eu raison de la tempête sur le lac, il fait tomber le malheureux à ses pieds. Un son rauque, à la fois suppliant et sarcastique, sort de la gorge de l’homme. En pleurnichant il implore Jésus de ne pas le torturer.

- Si tu veux que je sorte du corps de cet homme, je t’en prie, envoie-moi dans le corps des cochons qui sont là sur la colline...

- Quel est ton nom? lui demande un Jésus tout à fait décidé à aller au fond des choses.

- Mon nom est... « Légion »…

Le chat vient de sortir du sac! Cet homme n’est donc pas un individu ordinaire. Il incarne dans sa personne le peuple de Gerasa, et bien d'autres peuples qui, comme le propre peuple de Jésus, sont dominés, pour ne pas dire « possédés » par la "Légion" romaine…

Pour s’ « accommoder » à l’empire, ces peuples perdent leur identité, leur liberté, leur dignité et même leur raison de vivre. Ils deviennent comme des déchets... Ils s’autodétruisent. Ils se couvrent le corps et l’âme de plaies mortelles, comme ce pauvre type avec ses pierres pointues et son repaire au milieu des tombeaux.

Alors Jésus ordonne à l'esprit "Légion" de sortir du corps du pauvre diable et l’envoie promener dans le troupeau de cochons en train de paître sur l’escarpement au-dessus du lac. Le choc est brutal. Malgré leur très mauvaise réputation, les cochons, moins accommodants que certains Juifs, se montrent incapables d’avaler l’esprit « Légion » et préfèrent se suicider en se jetant dans le lac du haut de leur falaise. 2000 cochons sont morts noyés ce jour-là. Autant de cochons noyés que de soldats formant la subdivision romaine de Gerasa. Ils sont, en effet, 2000.

C’est alors que notre malheureux énergumène retrouve ses esprits. On le lave, on l’habille proprement, il devient un homme neuf. Mais la fête tourne tout de suite au vinaigre. Les propriétaires de cochons sont hors d’eux-mêmes et chassent Jésus de leur pays.

Qui veut comprendre comprenne!

Par cette histoire on voit bien que Jésus n'aime pas les légions romaines, ni ceux qui collaborent avec elles. Il n'est pas ami des bottes militaires, ni ami des dictatures. Il n'est pas ami des puissances étrangères qui, sous le masque de l’amour à la démocratie, de l’aide humanitaire ou du développement ou sous celui de la lutte contre le terrorisme ou la drogue se faufilent dans d'autres pays pour les contrôler et les dominer. Il n’est pas ami non plus de ceux qui élèvent des cochons pour engraisser d’autres cochons…

Mais quel manque de gentillesse de sa part! Qu’il ait sorti un misérable d’un abîme sans fonds, tout le monde s’en réjouit, mais à quel prix, grand Dieu! Mettons-nous à la place des éleveurs de ces 2000 porcs dont Jésus a provoqué la mort, est-ce qu’ils n’ont pas raison d’être furieux contre lui? Est-ce que, par hasard, un être humain vaut 2000 porcs?

- Oui, certainement! répond Jésus.

Même s'il s’agit d'un marginal, d’un fou, d’un dépravé, d'un monstre qui sème la terreur? Même s'il est plein de diables, même s'il est aussi méchant qu’une légion romaine qui vole, viole, piétine, humilie et opprime tout un peuple? Est-il juste de sacrifier l'économie de tout un village pour réhabiliter un monstre pareil?

- Non seulement il est juste de sacrifier l'économie de tout un village, mais aussi celle de tout un pays, dit Jésus. Même celle du monde entier!

L'économie qui jusqu'à maintenant a fait la pluie et le beau temps dans le monde, est plus destructrice que 2 milliards de bombes égales à celles qui sont tombées des airs, les 6 et 9 août 1945, pour anéantir Hiroshima et Nagasaki.

Cette économie a été construite sur le dos de 99% de l'humanité, au prix de la dignité, de la liberté et des droits de personnes et de nations entières, en les bafouant, en se moquant d’elles, en les trompant, en les corrompant, en les exploitant à la corde, et en les massacrant.

Cette économie est responsable des blessures, des frustrations, de la haine, de la violence et de la décadence de ses victimes. Des monstres comme ce pauvre diable de Gerasa sont créés tous les jours par cette économie qui les envoie par milliers vivre parmi les morts et les cauchemars des immenses dépotoirs humains qui ne cessent de pousser partout sur la planète.

Elle est maudite cette économie qui assassine littéralement notre belle planète bleue et qui sacrifie des personnes et des peuples entiers aux cochons et non les cochons aux personnes. C'est pourquoi, un jour, tout va sauter. Ce ne sont pas seulement 2000 porcs qui tomberont à l'eau, ou deux tours de New York qui voleront en fumée, mais ce sera toute l'économie mondiale qui s’effondrera. C’est d’ailleurs déjà commencé.

Obama lui-même, qui est un bon garçon, a pitié des cochons de Wall Street et leur donne à manger. Mais il se peut qu’un jour ces mêmes cochons se retournent contre lui et le mordent. Car il ne faut pas donner à manger aux cochons, ni leur jeter de perles (Mt 7,6) . (Voyez qui a succédé à Obama).

Encore moins leur donner des milliards, ajouterait Jésus…

                                                                         Eloy Roy

Article 2

ÉVANGILE VOLÉ

 

Dieu parle par les cris et les silences des appauvri-es de la Terre. La « nouvelle évangélisation » devra se faire l’écho puissant de cette voix, sinon elle ne sera qu’un avortement de plus.

 

     Lazare, le pauvre (Luc 16, 21)

 

ON A TOUT VOLÉ  AUX PAUVRES, MÊME L’ÉVANGILE

 



On ne peut rien y faire. L'évangile ne m'appartient pas, ni à moi, ni aux intellectuels, ni aux gens d'église, ni aux experts en Bible, ni aux télévangélistes, ni aux prêtres, ni aux évêques, ni aux papes.

L'évangile appartient aux pauvres. L'âme de l'évangile, c’est Jésus et Jésus est un pauvre.

 

Jésus a vécu et lutté avec et pour les pauvres. Il s’est fait solidaire du pauvre. Il a été le compagnon, l’ami, le camarade, le frère, le défenseur des pauvres.  Il a souffert à cause des  pauvres. Il est mort pauvre parmi les plus pauvres.

 

De même que le soleil brille sur les bons et sur les mauvais, et sur les riches comme sur les pauvres, ainsi Dieu aime tout le monde, dit Jésus. Il ne s’est pourtant identifié ni aux mauvais ni aux riches, mais aux pauvres. Il s’est adressé au cœur des mauvais et des riches, mais à partir du cœur des pauvres.

 

Il s’est identifié aux pauvres en devenant l’un d'eux et en faisant siens leurs gémissements et leurs espoirs. S'il a aimé l’humanité entière, ce fut vraiment à partir du cri des pauvres et à partir de leurs rêves les plus fous. Ce sont eux, les pauvres, qui ont inspiré à Jésus les Béatitudes et la grande merveille du Royaume. Sans les pauvres, l'évangile n'existe simplement pas. Et Jésus non plus.

Il a aimé les pauvres au point de se donner entièrement à la tâche de redonner vie et espoir aux rejetés qu’il croisait sur son chemin. Il les traitait comme des personnes qui ont un nom et un visage. Il était pour eux l’occasion de prendre la parole, de crier leur vérité. Il les écoutait, leur ouvrait les bras, leur tendait la main, les relevait. Sur les pas de Jésus la vie fleurissait.

Quand en chemin il croisait des riches qui exploitaient le peuple, il ne les maudissait pas. Parfois il allait banqueter avec eux. Mais il entrait chez eux comme pauvre, tel qu’il était, et il ne changeait pas son discours pour leur plaire. Il profitait même de l’occasion pour leur dire quelques bonnes vérités. Il ne cassait rien mais ne faisait aucune concession.

 

Si Jésus est la Parole créatrice de Dieu  ensemencée dans notre terre, cette parole ne peut être que la parole des appauvri-es. Pour que Dieu nous parle, nous devons écouter les pauvres. Si nous voulons connaître Dieu, nous devons connaître les pauvres. Si nous voulons nous approcher de lui, nous devons nous approcher d’eux.  

Mais les pauvres ne sont pas tous des saints, peu s'en faut. Il y en a parmi eux  qui sont détestables, répugnants, bêtes, méchants, fourbes, profiteurs, paresseux, envieux, arrogants et violents. Pour comble, la plupart d’entre eux rêvent de devenir comme les riches. Comment Dieu peut-il donc nous parler par cette masse informe de braves gens dans laquelle se mêlent comme dans un dépotoir tous les « rebuts » de l’humanité? 

 

La même question pourrait être posée au sujet de Jésus qui fut lui-même rejeté comme un « rebut » de l’humanité. Il a  été excommunié de sa communauté, soumis à la torture comme un criminel, accusé d’être un  apostat et  un subversif, et crucifié comme un ennemi de la Religion et de la Patrie. Pourtant, ce « rebut» de l’humanité, nous le vénérons comme le « Sauveur » du monde.

 

Ce qui veut dire pour nous, les chrétiens,  que c’est là, dans la misère humaine,  qu’est enfouie la Parole suprême  du  Dieu qui recrée l’humanité.

On objectera qu’à la différence des pauvres, qui sont des pécheurs comme tout le monde, Jésus était « innocent »  et que s’il a été réduit à un « rebut »  de l’humanité, ce ne fut pas par sa faute, mais par l’injustice qu’on lui a fait subir.

Ce même jugement devrait tout autant  s’appliquer aux pauvres, car eux aussi sont innocents.

Ils sont les créatures d’un système délirant et pervers qui depuis des siècles les fabrique par centaines de millions dans l’unique but d’enrichir toujours plus ceux qui possèdent déjà tout.

 

Ce système est un monstre. Il ne cesse de grossir en toute impunité, grâce, en particulier,  à la complicité d’un tas de  «bonnes gens» comme nous qui croyons encore bêtement aux vertus des plus forts, et aux miracles de la guerre et de  l’argent. Ironiquement nous prétendons être des piliers de la démocratie et du christianisme. Et il nous arrive même de prier  Dieu de bénir tout cela.

 

Pourtant, dans un monde qui regorge de richesses, la pauvreté est le crime le plus abominable contre l’humanité. Et les victimes de ce crime ne sont pas des extraterrestres mais des êtres humains qui sont rien de moins que des membres de notre propre corps.

Fasse le ciel que les cris de nos pauvres nous percent  le cœur, que leurs tares nous fassent horreur,  que leurs souffrances nous blessent assez fort pour qu’éclate l’épaisse bulle de notre inconsciente tranquillité!

 

La "nouvelle évangélisation" devra se bâtir sur les attentes criantes des appauvri-es de la Terre, autrement elle s’écroulera comme cette maison dont Jésus dit qu’un idiot l’avait bâtie sur le sable plutôt que sur le roc; au premier coup d’eau elle fut emportée comme un fétu de paille (Matthieu 7, 26-27).  

                                                                     Eloy Roy

 

 

             LE  "COMING OUT"  DE LAZARE DE BÉTHANIE

                                             (Jean 11, 1-44)

 


Quel était le vrai problème de Lazare ? Personne ne peut le dire. Ce sont de ces choses dont on ne parle pas. On en souffre, c’est tout.

Lazare était un beau jeune homme gentil, très sensible, d’une famille bien. Ses parents moururent quand il était tout petit, et depuis ce temps il était demeuré seul avec ses sœurs. Marthe et Marie, deux femmes hors pair, l’ont élevé dans leurs jupes.

 

Elles l’ont gâté et protégé de tout mal. Elles voulaient en faire le meilleur garçon du monde. Ce qu’il devint de fait. Personne ne pouvait l’égaler en intelligence, en sympathie, en popularité. Sauf qu’il était timide et que les filles ne lui disaient pas grand-chose, car aucune n’arrivait à la cheville de ses sœurs.

 

Dans son nid douillet il n’était pas malheureux, mais pas heureux non plus. Il lui manquait quelque chose. Il ne savait pas quoi, mais n’ayant eu ni père ni frère, jamais il n’avait pu se comparer et se mesurer à quelqu’un de semblable à lui. C’est ainsi qu’il ne s’était jamais vraiment découvert comme homme.

 

 Il restait étranger à une grande partie de lui-même. On aurait dit que quelque chose d’essentiel n’était pas encore né en lui. Cela le rendait mélancolique et, à certains jours, réellement dépressif. Ses sœurs s’en affligeaient. À la longue cela finissait par l’agacer. Elles ne comprenaient rien à ce qui lui arrivait, et lui non plus, d’ailleurs.

 

Mais un jour, tout changea. Un homme apparut chez eux. Un homme fantastique, que les deux sœurs avaient connu dans un de ces ralliements pleins d’effervescence où il était question du Règne de Dieu. Elles s’étaient entichées de lui. Son nom était Jésus. Il était le clou de ces ralliements. Bientôt il devint un ami intime de la famille. On ne parlait que de lui, on ne vivait que pour lui. Avec lui c’était le soleil qui était entré dans la maison, et pour Lazare, la fin de la dépression. Enfin, le jeune homme avait trouvé le grand frère qu’il n’avait jamais eu. Tout ce qui lui manquait, et tout ce qu’il voulait devenir, il l’avait trouvé en Jésus.

 

Et puis, un bon jour, plus de nouvelles de Jésus. Plus de messages de lui. Les deux femmes ne s’en alarmaient pas trop. Elles connaissaient les activités de leur ami et elles avaient une confiance aveugle en lui. S’il ne donnait pas signe de vie, c’était parce que c’était mieux ainsi. Mais Lazare ne le prenait pas sur ce ton. Il ne pouvait ni ne voulait s’expliquer cette absence de Jésus. Surtout son silence. Jésus était entré dans sa vie comme l’air pur et comme le soleil; la vie commençait à peine à lui sourire et puis, vlan ! Plus un mot, plus rien. Comme s’il n’existait pas. Lazare se sentit rejeté. Il pleura, se fâcha, s’enferma dans sa chambre. Il ne mangeait plus, ne dormait plus, ne voulait plus voir personne. Il était brisé, humilié, défait. Ses sœurs, les larmes aux yeux, le suppliaient de se raisonner, mais rien n’y faisait. Lazare voulait mourir. De fait il était déjà mort.

 

Un seul pouvait tirer Lazare de là. C’était Jésus. Il fallait aller le chercher avant qu’il ne soit trop tard. Comme tout le monde dans le pays était un peu au courant des allées et venues de Jésus, Marthe et Marie purent assez facilement le repérer. Elles envoyèrent quelqu’un le rejoindre avec ce message : « S’il te plaît, Jésus, reviens à la maison au plus vite; ton ami, Lazare, est en train de mourir ! » Pour toute réponse Jésus dit : « Il va s’en remettre. Dieu y verra. » Et même s’il aimait beaucoup Marthe et Marie, il ne se pressa pas. Deux jours passèrent, puis il dit à ses disciples : « Notre ami, Lazare, s’est endormi, nous allons aller le réveiller. » Les disciples respirèrent. Puis Jésus ajouta : « En réalité, il est mort. Mais c’est bon pour lui et pour vous que je n’aie pas été là… ». Il n’y avait rien à y comprendre. Jésus était comme ça. On ne comprenait pas toujours ce qu’il pensait. Mais on s’y était habitué. On lui faisait confiance.

 

Quand Jésus et ses compagnons arrivèrent près du village, le bruit courait que Lazare était bien mort. Certains disaient qu’il était même enterré depuis quatre jours. En fait, ça faisait quatre jours qu’il ne bougeait plus. Il était décharné et gris comme un cadavre. Son pouls se sentait à peine. On lui parlait et il ne bougeait pas. Dans sa chambre flottait déjà une odeur de mort. En le voyant, Jésus fut saisi d’émotion. De grosses larmes coulèrent sur ses joues. Il s’approcha, ferma les yeux et pria Dieu avec toute la ferveur de son âme, puis cria très fort : « Lazare, sors dehors ! » En reconnaissant la voix de Jésus qui l’appelait par son nom, Lazare se dressa tout droit sur son lit. Il était enroulé dans son drap comme dans un linceul. Jésus dit : « Libérez-le et laissez-le aller ! ».

 

À partir de ce jour, Lazare se mit à respirer comme un homme neuf. Sa dépendance à l’égard de ses sœurs était terminée et aussi sa dépendance à l’égard de Jésus. Il était enfin libre d’être lui-même. 

 

Ce jour-là, Dieu fut vraiment glorifié. Et de partout les gens apprirent cette histoire. Tout le monde racontait que Jésus avait vraiment sorti vivant d’un tombeau un homme qui était mort depuis quatre jours et qui sentait déjà mauvais. Et qu’une grosse pierre fermait l’entrée du tombeau.

 

Dans le fond c’était vrai. Psychiquement Lazare était mort. Tout son être était ligoté. Sur son âme pesait une lourdeur qui l’empêchait réellement de respirer. C’était comme s’il avait encore été enfermé dans le sein de sa mère. Comme s’il n’avait pas encore réussi à naître vraiment. Jésus coupa le cordon qui le rattachait à cette vie qui n’était pas une vie. Il en fit un homme debout.

 

 

TROP DE BONS, PAS ASSEZ DE JUSTES

 

Quelle compagnie, quelle banque, quel gouvernement, quel politicien, quel homme d’affaires va dire qu’il n’aime pas le monde et qu’il ne cherche pas le bien de tout le monde?  Dis-moi alors pourquoi beaucoup de compagnies ferment leurs usines dans nos pays pour aller en ouvrir d’autres en Chine, au Bengladesh, au Mexique?... Est-ce que ce serait par amour pour les Chinois et les Mexicains?

 

Dis-moi : crois-tu que les USA, le pays le plus riche, le plus puissant de la planète, serait aussi riche et puissant si l’on n’y avait pas exterminé les Autochtones,  on ne s’était pas emparé de leurs terres et de toutes leurs richesses, et si on n’avait pas pu compter sur le travail forcé et sans rémunération de millions d’esclaves noirs?

 

Dis-moi : est-ce l’amour du prochain qui inspire les Banques, le Fonds Monétaire International et toutes les grandes multinationales qui font la pluie et le beau temps sur la terre?

 

Est-ce que l’Europe serait aussi riche, aussi puissante, aussi « civilisée » si elle n’avait pas étendu ses tentacules par toute l’Amérique latine, l’Afrique, le Moyen-Orient, l’ASIE et en avait pompé tout le sang qu’elle a pu?

 

Est-ce que c’est vraiment par amour pour le prochain que les USA et la Grande-Bretagne ont envahi et détruit l’Irak?

 

Pourtant, un tas de monde de ces pays, un tas de hauts dirigeants de ces banques, de ces multinationales, des gouvernements de ces nations toutes-puissantes sont convaincus d’être de bons chrétiens ou de bons Juifs. Plusieurs vont même jusqu'à se vanter publiquement de leur foi et ne craignent pas d’affirmer qu’ils adhèrent de tout leur cœur aux Dix Commandements de Moïse. 

 

Il y a trop de « bons » sur la terre, et pas assez d’hommes et de femmes qui aiment la JUSTICE.

 

Une maxime de saint Grégoire, un père de l’Église :

 

«Quand nous donnons aux pauvres ce qui leur est nécessaire,

nous ne leur donnons pas ce qui est à nous;

nous ne faisons que leur rendre ce qui est à eux.

C'est plus un devoir de justice que de miséricorde. »

 

                                                                          Eloy Roy

 

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