JÉSUS HOMME DE RISQUES
PARTIE 2
Chocs
répétés avec les Dinosaures
(Suite et fin du blogue antérieur)
Jésus, tu n'es pas raisonnable! Tu as osé mettre les pieds chez cette
fripouille de Zachée. La religion des Dinosaures (qui était aussi la religion de
beaucoup de bonnes gens), interdisait
formellement de s'approcher d'un individu de cette espèce.
Rencontre avec Zachée
Luc 19, 1-10
Zachée était un abominable collecteur d’impôts qui suçait le sang de ses
concitoyens pour le compte de l’occupant romain. Il était protégé par ses
patrons et s’en mettait plein les poches grâce à une alléchante commission sur
les montants qu'il percevait. C'était ce que Zachée avait trouvé de mieux pour
réaliser son grand rêve de devenir quelqu’un.
Car, depuis tout jeune, Zachée était bourré de complexes en raison de
sa petite taille. Il en mourait de honte et de rage. Tout le monde se moquait
de lui. Son obsession était de devenir grand, très grand. Mais comment
faire? Personne ne s’intéressait à lui.
Alors lui vint l’idée de se vendre, de se prostituer, de se coller comme
une sangsue aux basques des Romains qui faisaient la pluie et le beau temps
dans le pays. Il lui importait peu qu’ils fussent des ennemis et de grands
voleurs, l'Important c'était de gagner de l'argent. Et ce fut ainsi que Zachée, l’homme de
petite taille, devint traître à l'égard de son peuple. Un traître très riche
que tout le monde craignait, haïssait, et même... enviait. Zachée, enfin, était
devenu quelqu'un.
Zachée, bien oui, était une ordure, un mort vivant comme on en trouve
encore aujourd'hui depuis les bouges les plus sordides jusqu'à la tête des nations. Sa maison
était une forteresse impénétrable dont tout le monde se tenait éloigné.
Soudain un bruit monta de la rue. C’était toi, Jésus, qui passais dans les
parages. T’accompagnait une troupe qui avait l'air de faire la fête.
«Jésus, le faiseur de miracles? demanda Zachée. Celui qui change
l'eau en vin? Qui guérit les boiteux et
redresse les femmes bossues? Si
c'est bien lui, je suis sûr qu'il il va me faire grandir d'une coudée!"... Il caressa sa
bourse de deniers et se dit d'un air malin: " Avec des sous on peut tout
avoir, vous savez»…
Zachée ne tenait plus en place. Poussé par son vieux rêve d'être grand, il
bondit hors de sa forteresse et grimpa dans un arbre, comme un enfant... De
là-haut, il put voir autre chose que les pieds des gens. Il te vit, toi, Jésus.
Et toi, Jésus, tu vis cet homme petit, ce gros méchant, accroché à une branche,
te faisant des signes. Tu lui crias: «Zachée, descends vite, je veux aller chez
toi!»
À ces mots, le petit homme tomba à la renverse, comme si la fin du monde
était arrivée. D'un saut il était au pied de l’arbre et t'ouvrait toute
grande la porte de sa forteresse.
Les plus timorés de la troupe n’entrèrent pas. La religion des prêtres
l’interdisait. Mais toi, Jésus, toi et ta bande de gais lurons, vous n'avez pas
hésité une seconde. Avec votre joie, votre humanité, votre simplicité et votre
liberté vous avez pénétré dans cette maison qui, jusque là, n'avait
été qu’un tombeau. Vous l'avez remplie d’air frais. Le petit homme reprit son
souffle. Puis son cœur perforé d'ulcères s’inonda de lumière. Et de paix.
Zachée venait d'échapper à l'impitoyable tribunal des vertueux, des purs et
des envieux. Pour la première fois de sa vie, il ne se sentait ni nain, ni
salaud, mais normal. Il en était si
heureux qu’il en perdit la tête.
«Je donne la moitié de mes biens aux pauvres, s’écria-t-il en
se jetant dans tes bras. Et tout ce que j’ai volé, je vais le restituer multiplié par quatre!»
Ce jour-là, le compte en banque de Zachée descendit au-dessous de zéro,
mais Zachée lui-même était devenu un très grand homme. Il était
redevenu un vrai fils d'Abraham.
Aujourd'hui Zachée est connu dans le monde entier, presque autant
qu'Alexandre le Grand, Ali Baba, Robin Hood et bien d'autres chenapans
célèbres. Depuis deux mille ans, partout, des milliers de choses ont été écrites sur
lui. Les présentes lignes font partie du lot...
Ce qui aurait sauvé Zachée, semble-t-il, c'était son cœur d’enfant. Ce cœur
dormait sous un tas de douleur, de honte et de sottises. C’était son
trésor caché, sa perle précieuse, son être profond, son « vrai moi »
que lui-même ignorait et que personne ne pouvait deviner… C’était, en lui,
l’image même de Dieu qui se levait comme
la Lune au plus profond de son être.
C'était l’homme nouveau, le ressuscité...; c'était le Royaume, qui s'éveillait dans les profondeurs de sa personne.
Ce cœur a pu émerger du méchant Zachée parce qu’un jour quelqu’un le
regarda avec les yeux de Dieu. De ce Dieu qui n'est pas un Dinosaure, mais une puissance d'intelligence et de tendresse
qui transperce la pierre la plus dure depuis l'intérieur même de l'être.
Jamais il ne juge en se basant sur les apparences
(1Samuel 16,7). Qui l’eût
cru?
Bravo, Jésus! Après avoir
bafoué une fois de plus les règles les plus élémentaires de la décence
religieuse, tu changeas le cœur d'un rapace et traître à la patrie en un cœur
d'homme juste et bon. Ce fut sans contredit ton plus grand miracle. Plus
grand encore que ces histoires d'eau changée en vin, de marche sur les eaux, de
pêche miraculeuse ou de résurrection de Lazare! Pourtant, en pénétrant chez
Zachée, selon la loi de la religion, tu avais commis un bien grand péché.
Preuve qu'il y a, malgré
tout, de bons, saints et raisonnables péchés... Qu'en dites-vous, messieurs et
mesdames les Dinosaures?...
Rencontre avec Nicodème
Le bon Nicodème était un
pharisien distingué qui croyait déjà en toi. Il aurait aimé se joindre à tes
disciples, mais il n'osait pas faire le pas de peur de perdre sa
réputation, son statut social, son job. Un soir, à la brunante, entre chien et
loup, il vint te rencontrer.
Voir s'approcher de toi un tel membre de la dinosaurerie
ennemie fut toute une surprise. De sa part, c'était vraiment un geste
audacieux, car il risquait beaucoup. Pour toi et ton groupe de
"pêcheurs d'hommes", c'était une aubaine. Tu aurais dû l'embrasser et
l'intégrer dans ta bande avec grande joie. Mais non. Tu l'assommas net. Tu lui
dis simplement: «Un moment, Nicodème, il
faut d'abord que tu renaisses » ... Renaître?... Cela voulait dire que tout ce
que Nicodème représentait, sa sagesse,
sa science, ses nombreuses relations, sa sympathie à ton égard, ne servaient
plus à rien. Pour être avec toi, il fallait repartir à zéro après avoir passé
par un chamboulement intérieur équivalent
à une nouvelle naissance. Tu ne négocias rien. Tu ne lui accordas aucun
"accommodement raisonnable". ..
Nicodème ne sembla pas s'en
surprendre. Il te connaissait assez bien pour comprendre que, même si tu
mettais la barre exagérément haute pour ceux qui voulaient te suivre, tu étais
aussi un homme de grande patience et de profonde compassion; il savait que tu
croyais fermement que la mèche qui fume encore peut toujours s'embraser de
nouveau. D'ailleurs, le fait que lui-même
ait entré en contact avec toi démontrait que déjà la renaissance s'était amorcée dans son être.
Il ne prétendait pas devenir
un militant, un héros, un martyr, un radical, encore moins un homme
parfait comme toi. Il lui suffisait d'être avec toi comme un simple "disciples de l'ombre".
Pas un "fan" qui emboucherait la trompette aux coins des rues pour
proclamer: «Je suis chrétien! Jésus est la Vérité! Convertissez-vous,
repentez-vous! Regardez mon signe de croix, ma Bible, mes médailles, mon
chapelet, mon bréviaire, mon col romain, ma mitre, mes messes, mes doctorats!
Venez vous joindre à la plus grande religion du monde!» C'est que, malgré ton radicalisme (car avec
toi, c'est tout ou rien), tu ne fermais la
porte à personne. Tu respectais le cheminement de chacun (e). Tu savais bien,
au fond, qu'un Dinosaure ne change pas en tournant comme une toupie sur une
pièce de dix sous...
Bref, depuis cette
nuit-là, dans la cachette de son cœur,
Nicodème devint l'un des tiens, mais à sa manière. Lui, son truc c'était de philosopher en se
caressant la barbe, en posant des questions et des sous-questions, en mettant la cuiller ici et là pour que ses
collègues soient moins injustes et plus ouverts à ton endroit . Ce n'était pas
la mer à boire, mais c'était mieux que rien. (Jean 7, 50-52).
Lorsque les Dinosaures te
mirent la main dessus et qu'ils te tuèrent, des femmes pieuses embaumèrent ton
corps et le déposèrent dans le tombeau. Nicodème
et Joseph d'Arimathie, son collègue, s'exposèrent à bien des tracas, mais ils étaient
là, eux aussi, leur donnant un coup de main (Jean
19, 39-40).Et puis les pleureuses
sur le chemin du Calvaire, dont les cris de douleur "enterraient" le
hurlement des hyènes déchaînées contre toi. Et les douces véroniques qui
essuyaient ton visage et te
consolaient.. Puis le très humble, le pauvre, le courageux, le magnifique Simon
de Cyrène, un Noir probablement, un immigré, un sans papier, qui partagea le poids de ta croix. Et même ce "bon larron" tout
crotté, tout en sang, crucifié à tes côtés qui a eu un bon mot pour toi face à
son comparse meurtri dans son âme et qui ne trouvait rien de mieux que de
hurler avec les loups.... Les loups... Le centurion au pied de la croix était
un loup. N'empêche qu'en te voyant mourir en pardonnant, sa conscience
l'emporta sur son obéissance de soldat
et elle le poussa à proclamer haut et fort, lui, le Romain, lui l'oppresseur,
lui, le complice de tes bourreaux: "Cet homme, (ce Juif, condamné par
Rome) est vraiment le fils de Dieu!" (Marc
15, 39).
En y pensant un peu, mon
cher Jésus, même de nos jours, tu
as plus de disciples qu'on ne pense.
On ne les identifie pas facilement, car la plupart d'entre eux, ou d'entre
elles, sont aussi de simples "disciples de l'ombre". Quand il s'agit
de donner un coup de main, cependant, ils sont toujours là, discrets, à peine
visibles... Tout comme Nicodème... Ou
comme ce jeune homme riche que tu aimas dès que tu le vis. Tout lâcher pour aller se faire tuer, c'était trop pour lui. (Marc 10, 21; Matthieu 19, 16-24).
Devint-il méchant pour autant? Je parie que non. Il continua d'être bon garçon,
disciple de loin, disciple de l'ombre, comme Nicodème. Un disciple à la manière
de Marthe, bien que cette brave fille passait plus de temps à frotter ses
casseroles qu'à méditer la bonne Parole (Luc
10, 38-42).
Car des Marie qui font de la
méditation pour se concentrer sur l'essentiel, c'est beau, mais heureusement
qu'il y a des Marthe, sinon notre monde serait vraiment moche, et la Source de
Vie, qui est dans les toutes petites choses autant que dans les grandes, nous
trouverait joliment ennuyants.
Et puis, des "disciples
de l'ombre", est-ce que ça existe vraiment?... Pas certain. Tous tes disciples sont lumière, mais avec
des intensités différentes. Il y a les "ultras" qui sont des
"stars", mais il y a aussi les
"cools", pas tièdes mais cools tout simplement, lucioles ou simples
bibittes à feu... Dans ton cercle, il y
a même des Dinosaures... Ça met du piquant. Sans eux, tout serait vraiment plus
"plate", comme on dit en québécois.
Risquer l'égalité
Se battre pour la liberté,
ça va de soi. Pour la fraternité aussi,
car c'est un idéal magnifique. Mais pour l'égalité?..... Ça semble impossible. Dans
une famille, il y a des grands et des petits. Dans la vie, il y a des forts et
des faibles, des blancs, des roses, des jaunes, des bruns, des noirs et des
bleus foncés, des hommes et des femmes, bien sûr, des vertes et des pas mûres
aussi avec un tas de nuances entre eux/elles. Personne n'est pareil. Personne
n'est égal à l'autre... Et toi, Jésus,
tu nous arrives avec une histoire abracadabrante, une parabole, celle des
"ouvriers de la dernière heure". Des ouvriers qui n'ont rien foutu de
la journée et qui vont "puncher" juste cinq minutes avant que la
cloche sonne. Ces fainéants vont toucher le même salaire que les camarades qui
ont bossé toute la journée. Et tu nous dis que c'est le grand Patron (Dieu) qui
veut ça (Matthieu 21, 1-16). Franchement, ça ne peut pas marcher comme ça!
Non, bien sûr. Mais, quand
les parents vont quitter ce monde, ils feront un testament et dans ce
testament, est-ce qu'ils vont favoriser un enfant plus qu'un autre? Pour éviter
la chicane, ils vont plutôt répartir leurs biens à parts égales entre chacun
des enfants. La petite dernière qui a été choyée et gâtée, pourrie par tout le monde, qui est
capricieuse comme tout et ne sait pas encore quoi faire de ses dix doigts, va
recevoir de ses parents autant que la grande sœur ou le grand frère qui se sont
échinés pendant des années pour contribuer
à son soutien et à celui de toute la
famille. Injustice? Pas du tout! La
"petite" qui ne fait que jouer, rêver et bouder, est aussi importante
que ceux qui ne font que travailler. Les
petits, les chômeurs, les rêveurs, les pauvres, les derniers, sont aussi
importants que les premiers (Marc 10,
31). Même certains Dinosaures comprennent cela. À plus forte raison
devrait-il en être ainsi parmi tes disciples.
Rencontre avec les femmes
Elles sont membres à part
entière de la communauté qui t'accompagne. Entre elles et les hommes du groupe,
pas de barrières! Dans le monde des Dinosaures, les Dinosaurines restent dans
leur coin, sinon, c'est le bâton. Même
dans le judaïsme ultra orthodoxe d'aujourd'hui, on enferme encore les femmes à double tour à la
maison, et jamais les hommes religieux ne se montrent avec des femmes en
public. La religion et la vie tout court est une affaire d'hommes (ainsi
également avec l'Islam apparu six siècles après Jésus). Cette règle prévalait en ton temps, mon cher
Jésus, et toi tu ne te gênais pas pour l'enfreindre. Donc, ces femmes qui
circulaient librement autour de toi, en public comme en privé, c'était un gros
scandale. Mais c'était plus fort que toi. Les femmes,
pour toi, c'était du monde!
Luc parle d'un groupe
de femmes qui te suivaient partout.
L'une d'elles provenait de la très peu recommandable cour d'Hérode, tandis que
d'une autre tu avais chassé rien de moins que sept démons!... (Luc 8, 1-3). Tu provoquais. Tu faisais
exprès pour t'attirer les foudres des gens décents. En réalité, que n'aurais-tu
pas fait pour que les femmes, qui, après tant de siècles d'opprobre, soutiennent leur grosse moitié du ciel aux
côtés de l'homme, retrouvent leur place royale sous le soleil? Que serait le
monde sans les femmes? Pourtant la religion des Dinosaures a réussi jusqu'à
maintenant ce cruel tour de force de les garder à l'écart comme si elles
étaient des bêtes à péchés tout juste bonnes à procréer (des mâles autant que
possible...) ou à servir de secrétaires, de sacristines, de cuisinières ou de
blanchisseuses...
Rencontre avec l'hémorroïsse
(Marc
5, 25-34)
Parlons de cette femme qui
depuis des années était saignée à blanc par la maladie, par les médecins aussi,
et par les normes religieuses. Selon les directives sanitaires de l'époque (qui
étaient aussi des directives religieuses très strictes), la perte de sang était
considérée comme l'impureté suprême. La personne qui en souffrait pouvait
transmettre l'impureté aux autres. Comme une pestiférée donc, cette femme
devait se tenir constamment à l'écart et
s'abstenir absolument de toucher à d'autres personnes. Elle était un danger
public. Mais, un bon jour, cette femme t'aperçut, toi, Jésus, au milieu d'une grande
foule. Son cœur bondit. Elle se dit: «C'est la chance de ma vie! Je vais me
faufiler vers lui. Je ne toucherai personne. Lui-même, je ne le toucherai pas.
Je veux seulement effleurer le rebord de
son vêtement». Puis, tremblant comme une
feuille, et sans pouvoir éviter de bousculer tout le monde sur son passage,
elle fit péniblement son chemin vers toi et réussit à atteindre le bout de ta
tunique. Salope! Crime contre l'humanité!
Oui, un sacré crime qui valut
à cette brave et merveilleuse femme la guérison tant désirée. Magie? Non. Cette
femme a osé franchir la ligne qui faisait d'elle une paria. Pour sortir
de sa prison et retrouver sa place sous le ciel, elle t'a tout simplement
imité. Elle a osé aller plus loin. C'est cela qui l'a guérie.
Et voilà à quoi tu sers,
magnifique Jésus, toi l'homme qui franchis les lignes rouges du sacré
irrationnel, sautes par-dessus les murailles de la peur, les tabous et même les
lois les plus saintes, toi qui repousses les frontières de tous les tombeaux,
et qui appelles tout le monde à te
suivre. «Vous n'avez pas pêché un seul méné pendant toute la nuit? Tant pis!
Poussez la barque plus loin et lancez les filets. S'il n'y a rien à droite,
essayez à gauche!» (Luc 5, 4-7; Jean 21,
5-6)
La présente scène de cette
fille d'Abraham qui souffrait de pertes de sang est une petite capsule qui
résume bien la lutte acharnée que mènent les femmes audacieuses de notre temps
pour gravir les milliards de marches qui les séparent du soleil. Pour le grand
bonheur de toute l'humanité, elles y réussissent assez bien.
Rencontre
avec la petite fille de Jaïre
(Marc
5, 21-24.35-42)
Une
affaire de sang encore, et donc d'impureté religieuse! La petite, autant que
son paternel, était traumatisée par ses premières règles. Elle était vraiment bloquée.
Elle était "paralysée". Par
qui? Par nul autre que Jaïre lui-même. Ce bon papa, comme bien des hommes, ne
comprenait rien à cette chose et, en plus, il avait une peur bleue du sang. Pour
lui, à coup sûr, sa fille allait mourir! En cherchant de l'aide, il tomba sur
toi, Jésus, qui, comme par hasard, venais justement sur son chemin. Sans bruit,
tu dénouas les peurs qui étouffaient ce père et sa petite fille. Tu t'es montré,
une fois de plus, comme celui qui apaise, débloque, ose et fait grandir. "Talitha
koum!"
Tu
es l'opposé de tous ceux-là qui, aveuglés par leurs peurs, empêchent la vie
nouvelle de germer. L'inconnu a beau
faire brusquement irruption dans la vie, toi, tu ne serres pas les poings. Tu
en acceptes avec courage les défis et les bouleversements comme tout père
devrait le faire en voyant devant lui le
corps de son enfant de douze ans qui, de poupée, se transforme tout à coup en une femme
capable d'accueillir et de donner la vie.
Rencontres avec ta mère
Elle avait beau être ta
mère, elle était coincée. La famille, la parenté, les cousins, faisaient pression sur elle pour que tu
rentres dans le rang. Ils voulaient seulement
te faire comprendre que tes activités
qui causaient tant d'urticaire au pouvoir religieux, non seulement
allaient se retourner contre toi, mais risquaient
d'attirer la colère contre tout le
clan familial. Or, selon la fabuleuse mise en scène des noces de Cana, ta mère
apparut soudain comme un symbole géant. Elle-même prit l'initiative pour que tu te manifestes
publiquement comme celui qu'on attendait depuis toujours. Elle-même te poussa à
t'attaquer à l'eau purificatrice des 613 prescriptions commandées par la Bible,
et à la remplacer carrément par des tonnes de vin de toute première
qualité. Car pour elle, autant que pour toi, l'Évangile devait être autre chose
qu'un amas de lois et un rapiéçage de vieilles outres (Marc 2, 22). D'aucune façon l'Évangile ne devait être une simple
mise à jour de la Loi (toute sainte ou
sacrée qu'elle fût). De la voie que tu allais ouvrir devait émaner, au
contraire, un air de neuf et un parfum de noces. Ton Évangile devait
être la vie en abondance, la justice et l'amour sans limites, et la liberté
sans fin. Il devait être la joie à profusion, le grand souffle, le vent
puissant. Il devait être, ni plus ni moins, le feu même de l'Esprit de CELUI
QUI EST. (Jean 4, 46-54 et Actes 1, 13-14 et 2, 1-14. 22-24).
Rencontre avec la Madeleine
Cette prostituée,
probablement une courtisane de haute classe, (genre geisha chez les
Japonais), avait bien honoré sa
profession pendant un bon moment, mais elle était désormais à la retraite. Elle
te montra plus d'amour que quiconque (Luc 7, 36-50). Dernière aux yeux des
Dinosaures si "purs", elle fut première dans ton cœur. Avec ta mère
au pied de la croix, elle connut un abîme de souffrance. Mais elle fut la
première à "voir" ta résurrection (car cette expérience ne peut être
faite que par ceux et celles qui savent aimer intensément). Et elle fut la
première à la dire au monde (Jean 20,
11-18). Plutôt que de Pierre, le Chef,
plutôt que de Jean, ton disciple favori, plutôt que de ta mère très
sainte, tu as fait de la Madeleine la porte-parole de la Résurrection, cœur et
essence même de ta Bonne Nouvelle. Ça en dit long sur la place
qu'occupaient les femmes dans la
communauté de tes compagnons et compagnes de route.
Les Dinosaures,
cependant, qui n'ont pas tardé à se
pointer dans la dite communauté, se sont
empressés de remettre les choses à leur place en commençant, comme on sait, par
museler les femmes, leur faire porter le voile, le chapeau ou la mantille, et
les renvoyer dans l'ombre sous le plumage de leur mari. Et cela, jusqu'à ce
jour (avec quelques adoucissements quand même)...
Rencontre avec la femme adultère
Cette femme avait péché,
oui. Mais elle seule portait le poids de la faute pourtant commise à deux. Son
partenaire, oh surprise, s'était perdu
dans la nature. C'est elle qui allait être punie à mort sous un tsunami
de pierres. Ainsi l'ordonnait la loi sacrée du grand Moïse, (la "charia" des Juifs)... Les
Dinosaures, les plus vieux et les plus vicieux, étaient les plus enragés. Ils
empoignaient déjà les plus grosses roches pour les lui lancer, quand l'un d'eux
les stoppa. Il venait de t'apercevoir dans les parages. Il t'accosta et, la
bave à la bouche, il te posa une colle pour te mettre dans le pétrin. «Selon
ton prêchi prêcha, on devrait pardonner à cette traînée, mais la loi de Moïse
nous commande de la tuer. Alors, à qui obéit-on: à toi ou à Moïse?»... Toi, tu
es resté tranquille et tu t'amusas à tracer des dessins dans le sable. Tu ne
levas même pas les yeux. Quand tu ouvris la bouche, ce fut pour dire: «Que
celui qui n'a pas péché, lui lance la première pierre!» S'ensuivit un silence de mort. Puis peu à peu
les Dinosaures se retirèrent la queue entre les fesses, en commençant par les
plus vieux...
Heureusement, cher Jésus,
que tu es apparu dans le décor, sinon, en vertu de la Loi de Moïse, en raison
de la religion, de la piété, de la morale et de cette tendance qu'ont les
juges, les prêtres et les mâles à jeter
la faute sur les femmes et à protéger le "sexe fort", cette femme aurait
été mise en charpie sous un tsunami de roches. (Jean 8, 1-11).
Ta phrase assassine : «Que celui qui n'a pas péché, lui lance la
première pierre!» devrait être
inscrite en lettre d'or sur le fronton de tous les confessionnaux et de tous
les tribunaux du monde. Et tant pis pour les Dinosaures!
Rencontre avec la
femme courbée
La femme ne pouvait pas se tenir droite. Depuis dix-huit ans, depuis
dix-huit siècles, depuis des millénaires, elle vivait pliée en deux,
emprisonnée, ligotée.
C’était l’œuvre du diable, disait-on. Car les femmes avaient des
accointances avec le diable, paraît-il. C’était chose connue. Elles
usaient du diable pour faire des affaires bizarres. Des guérisons, par exemple.
Avoir des bébés. Voir des choses…
D’abord on a habillé les femmes des pieds à la tête, on les a enfermées, on
les a cloîtrées et on en a lapidé beaucoup parce qu’on croyait qu’elles étaient
toutes plus ou moins putains. On les rendait responsables des vices et des
péchés des hommes. Si un homme violait, étranglait, massacrait, tuait, on
disait : «cherchez la femme ».
Ensuite on les a brûlées vives. Si un malheur s’abattait sur le
village, c’était la faute de la sorcière. On lançait alors la chasse aux
sorcières. On finissait toujours par en trouver une. Y avait-il une femme qui
se montrait trop entichée des chats, cueillait des champignons
étranges dans les bois, allait beaucoup à la messe ou n’y allait pas du tout? Avait-elle
les yeux rouges? À force de concocter ses remèdes au-dessus de la flamme de
l’âtre, difficile qu'il en fût autrement, mais on ne pensait pas si loin…
Avait-elle une verrue ou quelque tache bizarre sur le corps? Rien de plus
clair, c’était une sorcière! On la brûlait vive sur la place du marché.
Mort le chien, finie la rage… Plus de grêle, plus de grippe, plus d’incendies,
plus de maux de dents au village. Pour un moment du moins. Tout le monde était
content.
Depuis dix-huit siècles, depuis des millénaires, on soumettait les femmes à
des tâches répugnantes et à des travaux très durs. Et même à la mutilation,
comme il arrive encore dans certaines cultures. Ou au viol, à
l’esclavage sexuel et aux crimes d’honneur, comme il arrive tous les jours.
Des centaines de millions de femmes ont été empêchées de naître, ou ont
été tuées à leur naissance, pour la seule « erreur » de ne pas être
mâles. Car être femme, pour bien du monde, c’est encore une tare, un
accident de la nature, au mieux : un mal nécessaire.
Elles avaient le droit d’être servantes, jouets, poupées ou trophées de
l’homme. Elles avaient le devoir de faire jouir le mâle et de lui donner des
descendants, mais il ne fallait pas qu’elles-mêmes jouissent. Les mâles
les aimaient, sans doute, mais dans ces conditions.
Elles pouvaient broder et jouer du piano, mais les grandes études leur
étaient interdites; elles ne pouvaient pas faire de chèques ni signer de
contrats, ni voter. Pour entrer dans une église elles devaient être
enveloppées de milliers de jupons.
Puisque tel était le sort des femmes, il n’est pas étonnant qu’au sortir du
lit, le bon Juif orthodoxe fasse encore chaque matin cette prière:
« Je te remercie, Seigneur, de ne pas m’avoir fait femme. »
Dans nos sociétés moins traditionnelles, les choses ont changé. Par des
combats épiques, qu’elles ont menés toutes seules, sans armes et sans verser
une goutte de sang, les femmes ont réussi à conquérir la reconnaissance de leur
dignité et de leurs droits essentiels. Mais elles n’ont pas fini. Beaucoup de
chemin reste à parcourir pour que partout sur la planète toutes les
femmes soient heureuses d’être femmes.
En Amérique latine, là où se trouve la plus grande concentration de
catholiques au monde, les églises sont remplies de femmes. Sans elles, l’Église
serait morte. Mais là, comme dans d’autres pays, la haute hiérarchie
catholique a décrété que Dieu, en créant la femme, l’a irrémédiablement
rendue incapable de célébrer une pauvre petite messe. Cela serait inscrit pour
l’éternité dans le génome féminin… et dans la pensée de Dieu...
Cette haute hiérarchie s’affaire actuellement à mobiliser toutes les forces
de l’Église pour se lancer dans une « Nouvelle évangélisation » à
échelle mondiale. N’en déplaise à ces vénérables barbes, il me fait plaisir de
présenter ici sur le sujet une Bonne
Nouvelle de Jésus qui devrait être inscrite pour l’éternité dans le
génome même de l’Église :
Une femme
était là. Elle ne demandait rien. Depuis dix-huit ans, elle vivait pliée
en deux, enfermée sur elle-même, ligotée. Elle était « tellement
courbée qu’elle ne pouvait absolument pas se redresser ». Jésus la
vit et en fut touché jusqu’aux tripes. Il étendit sur elle sa main fraternelle
et lui dit : « Femme, tu es libérée! » À ces
mots, la femme s’est dressée droite comme un arbre (Luc 13, 10-17).
La haute
hiérarchie s’en prit immédiatement à Jésus pour avoir osé faire
pareille chose, le jour sacré du sabbat. Cela était défendu en vertu d’une loi
immémoriale.
Les enragés du sacré, gardiens de l’ « immuable », bref, les
Dinosaures, sont tous pareils : pour eux une femme vaut moins qu’une
ânesse ou une vache (voir le texte, verset 16 ), et tout ce qui
échappe à leur contrôle vient du diable.
Ironiquement, c’est parce qu’elle s’attache mordicus à des lois, à des
croyances et à des pratiques « immuables » que notre pauvre Église
(qui, par ailleurs, a fait de grandes choses dans son histoire, il ne faut pas
l'oublier) s’est transformée elle-même en une vieille femme toute courbée...
Souhaitons qu’en réactualisant la Bonne nouvelle d’un Jésus qui redresse la
femme courbée, elle trouve le goût de se relever à son tour, droite comme un
arbre. Et qu’au nom de Jésus, elle fasse en sorte que, dans toutes les
églises et partout sur la Terre, les femmes marchent la tête haute. Et qu’elles
puissent même célébrer la messe (au centre de l'église et non derrière les
rideaux d'un coin obscur de la sacristie,) sans crainte de choquer la Divinité
et de mettre toute la planète à l'envers. …
Comment offenseraient-elles ce Dieu génial qui a eu la bonne idée de
créer « à son image et à sa ressemblance » (Genèse, 1, 26-27)
autant les femmes que les hommes, elles qui ont mis au monde un homme comme
Jésus?...
Rencontres à la table des notables
Entre-temps on te voit
souvent à la table de notables qui t'invitent à leurs banquets. Chaque fois que
tu réponds à cette invitation, tu cours le risque de passer pour un
glouton et un ivrogne, ami des riches. Cette étiquette, d'ailleurs, on te l'a
bel et bien collée au front plus d'une fois (Matthieu 11,19) .
Ces notables cherchent
sûrement à gagner ta sympathie, ou à te tendre des pièges. Toi, cependant, tu
profites de l'occasion pour mieux taper sur le même clou: parler de la société
que Dieu veut pour que les humains vivent et croissent comme des humains. À cette
société, tu lui donnes le nom de "Royaume". Et tu lui donnes aussi le
visage d'un immense banquet offert à tous les humains, sans distinction
aucune, où, tous les jours, chacun peut
manger à sa faim et être heureux de pouvoir partager la même table avec le
monde entier. Ce grand festin de l'égalité, de la justice, et de l'amitié
est la figure même du monde nouveau pour
lequel tu es prêt à donner ta vie.
Le partage dans la justice
et dans l'amitié est le grand miracle, en fait, c'est le seul vrai miracle
qui remet le monde sur ses pattes, le seul qui le sort de son état sauvage, le
seul qui le sort de la mort. C'est le seul vrai miracle qui le libère, le
réconcilie, le civilise, l'humanise, le guérit, le fait grandir et le sauve. Ne
cherchons pas d'autres recettes.
Quand on raconte que tu
changeais l'eau en vin, que tu marchais sur les eaux, que de cinq petits pains
et deux poissons tu nourrissais une foule de 5000 hommes ("sans compter
les femmes (!!!) et les enfants", Matthieu
14, 21), et que de cette profusion il en restait encore des paniers pleins,
c'est de ce miracle qu'on voulait parler.
Seul le miracle du partage
dans la justice et la fraternité nous fait réaliser l'impossible. Lui seul renverse
les montagnes d'iniquités qui nous séparent et nous écrasent. Lui seul nous empêche de nous faire avaler par les eaux
de la mort. Lui seul nous les fait franchir. Lui seul nous libère de l'esclavage et nous apporte la
joie et la liberté.
Mais ça, c'est bloqué
systématiquement par les Dinosaures, par ceux et celles qui ont accaparé les terres, les ressources, les
richesses de tout le monde pour en faire leur propriété privée à eux, en
laissant les autres tout nus, une main devant et l'autre derrière.
Non, tu n'es pas contre la
propriété privée. Ce que tu souhaites,
c'est que chaque humain ait sa propre propriété privée, sa propre part
de la propriété commune, sa propre part de la richesse de la Terre, de manière
à ce que tous et toutes puissent vivre dans la dignité, la liberté, la justice
et la paix. (Actes 2, 44-47. 4, 32-35)
Les premiers chrétiens ont
tenté cette aventure du partage des biens selon les besoins de chacun, mais ça
n'a pas duré, car les persécutions sont arrivées, la communauté s'est dispersée
et le beau rêve est plus ou moins tombé à l'eau. Quelques siècles plus tard,
cependant, cette tentative très louable
a quand même rebondi. Elle a été la
source d'inspiration des communautés de moines qui poussèrent comme des forêts,
surtout en Europe, et furent en grande partie à l'origine du développement de
l'Occident. Elle inspira des milliers d'ordres religieux d'hommes et de femmes qui, au cours de l'histoire, se sont dévoués
corps et âme au service des autres, pour l'éducation, la santé, la libération
des captifs, le développement des arts, de la science, et l'avancement de la
culture et surtout, (avec des méthodes pas toujours des plus pointues), à
l'intégration des peuples, des tribus et des ethnies qui se livraient
constamment la guerre. L'Utopie ne se réalisera jamais, mais elle est là pour
inspirer, orienter, montrer le chemin...
Partager la même table, ça
crée des liens et ça nous permet d'approfondir cette orientation, cet idéal,
cet appel .... D'où le repas comme emblème, comme signe de ralliement,
comme signe identitaire du chrétien.
D'où la messe qui n'est pas
un sacrifice pour les morts, mais un partage pour le chemin, un repas fraternel
pour aller de l'avant.
Le problème c'est qu'avec le
temps, le repas de la messe a été si ritualisé qu'il ne ressemble plus à un
repas. Le pain ne ressemble plus à du pain et le vin est si rationné qu'on
finit par l'oublier. Et tout est si préparé d'avance selon des règles tellement
strictes qu'il faut être devin pour y détecter un partage réel. Pas d'ambiance
de fête non plus, malgré les lumières, les ornements, les chants et les fleurs.
On n'est pas portés les uns vers les autres, on ne se parle pas, on s'exprime très peu, on ne rit
pas, on se tient sur ses gardes. La joie spontanée, les émotions, les contacts,
on les laisse à l'entrée pour les reprendre à la sortie, comme au cimetière...
Pourtant, toi, Jésus, tu es
venu changer l'eau des préceptes en vin
de liberté. Et le partage d'un repas fraternel, le primer jour de la semaine
(soit le dimanche), était la célébration du passage de la mort à la vie avec
toi, le Ressuscité. C'était la célébration dans l'amour et la joie du salut déjà
arrivé et en voie de se répandre dans le monde entier. (Luc 24, 1.13.30-32;1Jean 3,14)
Rencontre avec les
marchands du temple
(Jean
2, 13-22)
Contre les accaparateurs et, en particulier ceux qui se
graissent la patte et s'engraissent grâce à la religion, tu brandis le fouet et
les chasses à coups de pied. En plein
Temple, tu fonces de toutes tes forces contre la religion des sacrifices et du
"business". Est-ce assez
clair? Tu ne veux pas d'une religion qui
prétende honorer Dieu en égorgeant des animaux, pire encore, en exploitant des
humains comme des bêtes, ou en troquant les faveurs de Dieu contre de l'argent.
Dieu n'est pas à acheter ni à vendre. Aucun humain non plus! Tu frappes
"le Système" en plein cœur, tu plantes ta lance sans pitié dans "l'Œil du Dragon". Et, bien sûr, ce faisant, tu signes ton arrêt
de mort.
Au lieu de bénir les armes
comme elle en a eu l'habitude pendant longtemps, pourquoi l'Église n'a-t-elle pas fait de ce fouet un sacrement?...
Je comprends que le pain,
surtout s'il ne ressemble pas à du vrai pain, et le vin (à peine une
demi-goutte de vin) ont l'avantage de ne jamais déranger personne. Mais un
fouet, un bon petit fouet sur un coin de
la Table de la Rencontre de ceux et celles qui marchent à ta suite, ne serait pas de trop pour rappeler qu'elle
n'est pas bienvenue dans ta communauté la ratatouille qui, d'une main, arrose
la religion de ses sous, alors que, de l'autre,
elle affame les trois-quarts de l'humanité...
Le Banquet de noces ouvert à tout le monde,
soit, mais il ne doit pas pour autant servir de refuge aux voleurs et aux
assassins. Le grand signe de la Fraternité universelle, n'est quand même pas
celui de la stupidité.
«C'est immoler le fils en
présence de son père que d'offrir à Dieu un sacrifice avec les biens des
pauvres. Priver les pauvres de leur maigre pitance, c'est commettre un meurtre.
Priver le salarié de son dû, c'est le tuer.» (Ben Sira 34, 20-26; Jacques 5, 1-6).
Vivement un fouet béni pour
faire jinguer les affameurs des trois-quarts de l'humanité!...
Rencontre avec le possédé de Gerasa
(Luc 8,26-39)
Ce n 'est pas chrétien! Pour
libérer un pauvre malheureux qui était plein de diables, tu as permis que 2000
cochons soient sacrifiés! Tu as mis l'économie au service de l'être humain, et
non l'inverse; ce qui était super
génial. Mais mettons-nous à la place de
ces propriétaires de cochons. Ils avaient beau être des Dinosaures, on comprend qu'il ne l'aient pas
trouvée drôle. On aurait presque envie de prendre leur défense. D'accord. Mais
qui, aujourd'hui, prend vraiment à
cœur la défense de ces humains qui, par
légions, se réveillent chaque matin plus pauvres que la
veille, alors que pour les plus riches, c'est le contraire? Est-il normal de
continuer sans cesse à engraisser les plus gras pendant que les plus maigres
n'ont déjà plus que la peau sur les os?
C'est évident que les
éleveurs de porcs de Gerasa n'allaient pas se prendre en photo avec toi... Tu
as donc dû quitter les lieux sans tambour ni trompette, sinon, tu étais cuit.
(Voir
en annexe: "Jésus, l'économie et les cochons").
Rencontre avec le paralytique délivré
par le pardon
(Marc
2, 1-12)
Voilà une autre scène
formidable, infiniment libératrice. Dans une société où le Pardon était
administré au compte-goutte, pratiquement une seule fois par année, par le
Grand-Prêtre en personne (comme qui dirait le Pape) et uniquement par lui, et au prix de milliers de sacrifices de
moutons et de taureaux, toi, un gars de rien, un gars ordinaire, toi qui
n'étais même pas prêtre ni un petit curé, même pas sacristain, toi, un non consacré, un non oint, toi, un
simple laïque, tu osas déclarer à un homme paralysé que ses péchés
étaient pardonnés. Tout le monde était médusé. Les Dinosaures étaient au bord
de l'infarctus. Ça ne se pouvait juste pas!
La paralysie de cet individu venait de quelque part! C'était sûrement
Dieu qui la lui avait envoyée en
punition d'énormes péchés qu'il avait dû commettre. Toi, tu prétendais
pardonner les péchés de cet homme? Pour qui te prenais-tu donc?
Mais quand le pauvre homme
entendit de ta bouche que ses péchés étaient pardonnés, quand il entendit que
ne pesait plus sur ses épaules le poids des péchés dont on le soupçonnait, sa
tête a tourné. Il a vu des oiseaux. Il a eu envie de vivre. On connaît la
suite. Il s'est mis à marcher.
Tu as voulu montrer comment
le pardon délie, le pardon débloque, le pardon libère, le pardon guérit. Tu as
voulu nous dire que le Fils de l'Homme, c'est-à-dire, l'être humain, nous tous,
les humains, nous avons en nous-mêmes ce même pouvoir (et le devoir) de
remettre en marche ce qui est paralysé. Pour cela nous n'avons pas besoin
de Grands-prêtres ou de petits prêtres, pas besoin de pénitences ni de sacrifices de moutons ou de taureaux. Le
pardon est à la portée de tous et de toutes et, s'il est sincère, s'il est
vrai, s'il vient du fond du cœur, il fait des choses étonnantes.
Les Dinosaures virent de
leurs yeux le paralytique se redresser, prendre son grabat et marcher tout
droit vers sa maison. Ils devinrent verts. Ils se dirent: "Ce Jésus est
vraiment possédé du démon. Sinon, d'où lui vient ce pouvoir?" (Matthieu 10, 25). Sûrement pas de Dieu, car une chose est certaine:
Dieu n'accomplit par ses œuvres au moyen des laïques et des gens ordinaires!...
Rencontre avec l'homme à la main
desséchée
(Marc
3, 1-6)
Tu peux faire des guérisons
n'importe quel jour de la semaine, sauf le samedi. Le samedi, jour sacré du
sabbat, c'est strictement interdit.
Enfreindre cette loi, la plus sacrée de la religion juive, peut être puni de mort. Toi, tu fais exprès
pour guérir ce jour-là cet homme qui ne peut pas travailler, ne peut pas
nourrir sa famille, parce que sa main s'était desséchée, on ne sait trop comment.
,.. Pourquoi cette provocation ? Simple.
Tu as voulu montrer clairement à ceux et celles qui en doutaient encore en quoi
consiste la vraie religion, non pas tant en s'abstenant de travailler, mais
plutôt en donnant la chance de travailler à ceux qui, étant dans le besoin, en sont empêchés... Car il y
a une religion qui tue, celle où on traite un homme ou une femme moins bien que
son âne ou son chien, et une religion qui libère de toute forme d'esclavage.
Rencontre avec les petits enfants
(Marc 9, 33-37. 42; 10, 13-16)
Tu les aimes bien. Ils s'amusent, ils ne se soucient de rien,
ils posent des questions sans arrêter. Veulent tout savoir. N'ont aucun
préjugé. Sont ouverts à tout le monde
sans regarder la couleur de la peau ni la condition sociale. Ils adorent les
contes, s'inventent des mondes avec rien...
Les éduquer, oui sans doute, car ils ne sont pas toujours des anges,
mais les éduquer sans tuer leur âme. Sans leur transmettre nos préjugés, nos
peurs, nos obsessions, nos névroses. Pour toi, ils sont les plus grands. Ils
sont nos maîtres. Ils sont le neuf, la nouveauté, l'avenir en herbe. Soyez
comme eux, nous dis-tu. Malheur à qui les corrompt en faisant d'eux des jouets,
des momies, des vieillards avant le temps... Ceux-là, il vaudrait mieux leur
accrocher une pierre énorme au cou et les tirer aux requins.
Rencontre avec les fleurs des champs
(Matthieu
6, 28-29)
Ce n'est pas un détail
innocent. Les fleurs sont une des grandes forces de la nature. Elles sont à la
racine de la fécondité de la Terre. Elles sont pour ainsi dire le sexe de la
végétation. Sans elles, sans leur infinie variété, sans leurs milliards de
séductions, les animaux et les humains n'existeraient pas.
Elles ne sont pas de belles
petites choses inutiles. Elles sont comme les atomes, comme chaque goutte de
sang, chaque goutte d'eau, chaque
larme, chaque sourire. Elles sont comme les grains de sable, les chromosomes,
les ovules, les étoiles, les bactéries, les quantas. Elles sont à la base du
Big Bang de la vie...
Même les acariens participent
de leur grandeur. Et les Dinosaures aussi. Ainsi que l'amour et la paix, le
silence, le sommeil, le repos. Ainsi que la beauté de toutes choses, de toutes
personnes et de toutes races... Elles sont le côté joyeux de la Raison qui explore
les nouveaux mondes et nous empêche de sombrer dans la folie.
Rencontre dans le secret de ton cœur
avec ton Abba
(Luc
15, 11-32)
Ton Abba, tu le sens proche,
tu le vois en toi, tu le vis comme ton Père bien-aimé. Tu le chéris. Qui peut prétendre une telle familiarité avec
Dieu sans avoir été consacré à lui comme le sont les prêtres et les prophètes
reconnus par le Temple?
Le Père de la parabole dite
de l'enfant prodigue, nous en apprend long sur le sujet. Cette parabole porte un grand coup à un autre
absolu de la société de ton époque, la famille patriarcale. Les pères, à ton
époque, avaient pratiquement un droit de vie et de mort sur leurs enfants.
L'obéissance au père était un devoir absolument sacré. C'était une question
d'honneur, une affaire de face, de
rang, de réputation, de race, de clan, de tradition; c'était une question qui
portait sur elle le sceau solennel de la religion. Obéir au père, c'était obéir
à Dieu. Toute la société était construite autour de ce principe. Toi donc, pour montrer que Dieu n'était pas
un père tyrannique comme il s'en voyait alors dans ta société comme dans toutes
les sociétés du temps, (et comme il s'en voit encore aujourd'hui), tu inventas cette histoire d'un fils au cœur
dur qui eut le front de demander à son père de lui donner sa part d'héritage. Le père la lui donna. Le fils empocha
l'argent, claqua la porte et s'enfuit
loin de la maison pour tout gaspiller dans une vie de débauche. Déshonoré, le
père avait perdu la face et était resté
seul avec son autre garçon, lequel, heureusement, était un modèle de fils. Mais
le pauvre père était quand même la risée
de tout le monde. Cette blessure n'allait jamais se cicatriser.
Les années passèrent. Et, un
bon jour, ce chenapan de fils qui s'était perdu dans un pays lointain, tomba dans la dèche. Il ne lui restait que la
peau et les os. Or, poussé uniquement par la faim - et aucunement par le remords - il eut l'audace de s'amener
de nouveau à la maison. Il était méconnaissable, décharné, sale, déguenillé. Son père aurait dû lancer ses chiens contre
lui, et même le tuer. Mais, au lieu de cela, le voyant venir de loin, il courut
à sa rencontre, pleura de joie, le dévora de baisers, l'accueillit comme s'il
avait été le meilleur des fils. Il lui fit une fête à tout casser.
L'autre fils ne le prit pas,
qui l'en blâmerait? Si son père était devenu
fou, lui allait garder la tête froide. Pas question de se joindre à la fête.
Pour lui, ce vaurien, cette loque humaine, n'était plus un frère. Impossible de
faire autrement. Le père en eut le cœur gros, mais comprit la réaction de ce
fils qu'il aimait bien aussi. Sans se détourner de lui, - les Dinosaures sont
aussi des créatures de Dieu - il retourna festoyer avec le guenilleux revenu au
pays.
Dans cette histoire, ou
plutôt cette parabole, mon cher Jésus, tu as vraiment fait sauter la baraque.
Passant par-dessus tout ce qu'on peut penser, croire ou dire de raisonnable sur
Dieu, toi, tu nous révélas la nature de son cœur. Pour toi, il n'y avait pas et
jamais il n'y aurait d'autre Dieu que ce Dieu qui, de tout cœur, aime sans condition même les plus
endurcis et les plus ingrats ainsi que tous ceux-là qui abusent de sa bonté.
Rien n'y fait, il aime aussi
les gens à la tête froide qui, au fond, sont tout de même des Dinosaures...
Ce Dieu, c'était ton Abba.
Tu l'aimais par-dessus tout. Il t'éblouissait. Il était l'amour de ta vie. Tu
aimais te retirer du monde agité pour le rencontrer au plus intime de ton
être. Il était la source de ta liberté,
le grand secret de tout ce que tu disais et de tout ce que tu faisais. Or ce Dieu n'avait pas de barbe....
Une telle théologie qui
mettait définitivement au rancart le Dieu justicier de la bonne vieille
tradition, déstabilisait à un degré inimaginable les "gardiens de la
vérité" qui n'en finissaient plus de déchirer leurs vêtements. La patience
des Dinosaures n'était plus très loin du
bout de son rouleau.
Rencontre avec les gens de ton propre village
et avec la Mission.
(Luc
4, 16-30)
Vous étiez dans la synagogue
du village. On te fit lire un texte du prophète Isaïe (un génie!) Le texte disait ceci (ici j'interprète la chose dans nos mots à nous):: «Le Souffle de
Dieu est sur moi. Il respire en moi. Il me pousse à annoncer aux pauvres la bonne nouvelle: tous
ceux et celles que nos oppresseurs ont jetés en prison, vont être libérés! Tous
ceux et celles qui sont enfermés dans l'obscurité des cachots vont enfin voir
la lumière du jour et de la liberté! Tous ceux et celles qui, à cause de leur
pauvreté, sont tombés dans les griffes des usuriers et qui, ne pouvant
rembourser leurs dettes, se sont fait saisir tous leurs biens et, très souvent,
ont même dû vendre leur force de bras et leur liberté pour que leurs créanciers
les gardent en vie, eh bien, tout cela est fini! Leur pardon, leur
affranchissement, leur libération, autrement dit, leur "grâce" est arrivée! Ils
pourront recouvrer leur liberté, leurs droits et tous les biens qui leur ont
été confisqués! Pour tous et toutes, c'est L'ANNÉE
DE GRÂCE du Seigneur, notre Dieu!" Tu refermas le livre. On n'entendit pas voler une mouche.
Tout le monde te regardait avec des yeux grands comme des piastres... Puis tu
ouvris la bouche et tu dis: "AUJOURD' HUI S'ACCOMPLIT CE QUE VOS OREILLES
VIENNENT D'ENTENDRE"... À ces
mots, les pauvres sautèrent au plafond
et se mirent à danser de joie. Mais aussitôt, les autres, les usuriers, les
grands propriétaires, ceux qui confisquent terres et maisons aux insolvables,
ceux-là se moquèrent de toi,
t'insultèrent, te chahutèrent. Ils te crièrent: "Pour qui te
prends-tu?" Tu n'es qu'un minable charpentier de village, un
nul!" Ils te sommèrent de faire un
miracle dans leur village pour prouver devant tout le monde que tes paroles ne
venaient pas du diable. Tu leur répondis que ce n'était pas dans son village,
mais à Sarepta, en terre étrangère, qu'Élie
avait fait un grand miracle en
faveur d'une veuve païenne qui mourait de faim; et une autre fois, ce n'était
pas un Juif du pays qu'il avait guéri de la lèpre, mais Naaman, un
fonctionnaire d'origine syrienne. Ces paroles ne firent que jeter de l'huile
sur le feu. On sauta sur toi, on te traîna dehors pour te tirer en bas d'une
haute falaise... Comment as-tu pu t'échapper? Nul ne le sait. Ce que l'on sait,
c'est que tu as réussi à te faufiler comme une couleuvre entre les pattes des Dinosaures.
Aucun ne s'en est rendu compte. Pas si forts, finalement, les Dinosaures...
Mon cher Jésus, c'est dans
cette ambiance sulfureuse que s'est déroulé ton "envoi missionnaire pour
l'évangélisation des peuples". Mais les choses ont bien changé depuis
cette époque. Aujourd'hui, dans un nuage
d'encens, la sainte religion est venue arrondir les coins, mettre des bémols,
nuancer les choses, effacer carrément ce qui n'était pas rentable pour elle et
pour ceux qui, avec elle, se donnent la "mission" de maintenir
l'ordre dans le monde et l'équilibre
dans l'univers. Dans nos envois missionnaires, on ne parle pas de libération,
de remise de dettes, Dieu nous en garde!.. Il n'y a pas si longtemps, on
baisait encore les pieds des missionnaires, comme on baisait la patte des
riches qui de temps en temps faisaient de menus dons aux missions (on les honorait même comme des parrains, des parents
spirituels).
On allait en mission parce qu'on voulait que tout le
monde se convertisse à notre sainte religion, (une religion d'ailleurs soigneusement expurgée de toute référence à "l'Année
de Grâce" que l'on ignorait ou qu'on avait totalement déformée en la
travestissant en une occasion en or de collectionner des indulgences et
beaucoup d'argent...); une religion qu'on avait également exorcisée de toute
velléité de libération, cette chose estimée dangereuse que l'on identifiait volontiers
à la désobéissance des anges déchus. (v.g.
un certain Syllabus et un certain serment antimoderniste). Dinosaurisme
parfait!
Cela a changé, évidemment,
mais ces changements sont encore tout récents. Le fond et la mentalité restent
les mêmes: la "libération" est comme le mot en 'n'... ou à peu près.
Rencontre avec le sexe.
Pas de fanfare, pas de
pétarade, pas de maladie à ce sujet. C'était
probablement parce que tu voyais le sexe simplement comme une chose
normale. Il est vrai que le sujet était hyper tabou dans ton monde (comme il
l'a été pour nous pendant longtemps),
mais toi qui ne te laissais jamais embarrasser par les tabous, pourquoi te serais-tu gêné à propos des
pratiques sexuelles dans la société de ton époque? Il devait sûrement y en avoir pour tous les goûts, au moins dans
les cercles influencés par les autres cultures et les autres "cultes"... Il y avait là tout un
matériel extrêmement salé contre lequel tu aurais pu décocher quelques-unes de
tes flèches les plus affûtées... Mais non. On ne saura jamais pourquoi. Le
moins que l'on puisse dire, c'est que tu n'étais pas obsédé par la question. Le
sexe n'était pas le centre de tes préoccupations. Cependant, il n'en fallut pas
plus pour que tu passes pour un païen, un impur, et même un ami des débauchés.
D'ailleurs, tu as été accusé de cela aussi... On t'a même traité de Belzébul,
comme on sait (Matthieu 10, 25).
Rencontre avec les Galiléens
Ils rêvaient d'un roi qui
prendrait la tête des troupes pour pourchasser les ennemis, restaurer l'ordre
et accroître la puissance de leur nation. Mais toi, ce dont tu rêvais c'était
d'un État dans lequel l'autorité, la politique, l'économie, la justice, la
liberté, la religion elle-même seraient au service de l'humain, et non
l'inverse. Un État où tout serait centré
sur le bien de la personne humaine. À ce projet, tu lui donnais le nom de
"Royaume de Dieu". Tu l'établissais sur un principe sacré selon
lequel "le sabbat est fait pour l'être humain et non l'être humain pour le
sabbat" (Marc 2, 27). Le Leader
(ou le roi), la Loi suprême,
l'administration, la religion de ce Royaume, l'évangile lui-même et toute la
communauté des disciples (l'église) seraient au service de l'humain et jamais
l'inverse.
C'est d'ailleurs pour cela
que l'église a été inventée. C'est cette vision, ce souffle, cette façon de
faire qu'elle devait incarner dans le
monde. C'est en cela qu'elle devait être la lumière du monde, témoin de Jésus,
témoin de l'évangile. En cela qu'elle devait et doit être levain dans la pâte.
Elle devait être la preuve vivante que tout au monde doit se bâtir à partir de
l'humain et en fonction de l'humain, et aussi, ajouterions-nous
aujourd'hui, en lien très étroit avec la
Nature. Car la Nature est également un immense être vivant. L'humain n'en est
qu'une partie. Elle n'est pas une chose, elle n'est pas un simple objet, mais
un ensemble d'êtres qui, comme les plantes et les animaux, respirent et sont
vivants tout autant que les humains eux-mêmes.
Enfin, tout cela afin de rendre gloire à Dieu, lui qui aime tant le
monde que Jésus, son témoin, ne peut faire autrement que donner sa vie pour lui
(Jean 3, 16-17).
Ta révolution, Jésus, c'était cela ! Si les chrétiens d'aujourd'hui
ne sont pas avec toi du côté des opprimés, tous les vrais révolutionnaires qui
ont à cœur le triomphe de l'humain sur la bêtise, avec raison jugeront le
christianisme comme "l'opium du peuple". Il traiteront les chrétiens
d'hypocrites, de fascistes et de gorilles, et ils leur feront la guerre. Mais
si, par contre, un bon nombre de chrétiens se montraient résolument du côté des
opprimés, il serait, hélas, surprenant que leurs grands dirigeants religieux
les appuient et les défendent. Ce serait vraiment la surprise du millénaire!
Car, de peur de perdre quelque chose de leur pouvoir, ils seraient les premiers
à les soupçonner d'être des naïfs, des illuminés, des idiots utiles plus ou
moins de connivence avec les sans-dieu et les gros méchants communistes. Ils
les ostraciseraient sûrement ou les
dénonceraient sans se faire de
scrupules. À moins de les faire éliminer
tout simplement par un subalterne rêvant d'un ceinturon rouge...
Quand on prend ton évangile
au sérieux, cher Jésus, on court les
mêmes risques que toi.
Rencontre avec la Joie
Au risque de passer pour des
jovialistes et des illuminés, il faut affirmer haut et fort que l'Évangile,
c'est de la joie de la tête aux pieds. Il y a des passages nuageux, il y a des
moments de grande noirceur, mais il y a surtout de la joie qui coule à flot
comme le meilleur vin aux noces de Cana.
Cette joie, c'est toi au
complet, cher Jésus. Tu n'as rien d'un esprit sombre, rien d'un esprit chagrin. Tu ne broies pas de
noir. Tu n'es pas grognon pour un sou.
Tu as tes sautes d'humeur, bien sûr, tes moments moins olé olé, tes moments de
peine et de tristesse, mais tu n'es pas que cela.
Dans Matthieu, ta bonne
nouvelle commence par un immense cri de joie qui jette par terre toute la
tristesse du monde. «HEUREUX! HEUREUX! HEUREUX!» est répété neuf fois de suite!
(Matthieu 5, 1-12). Ce mot résonne encore dans nos oreilles. Tu
veux le bonheur de tous les paumés de la Terre, tu veux la joie dans le monde entier. Tu es joie. Avec toi tout
débouche sur cette certitude incroyable que le règne de la mort, le règne des Dinosaures est terminé,
et que commence le règne d'une conscience nouvelle, le règne d'une réalité
complètement différente.
Oui, avec toi, on marche
vers la joie du Royaume. Vers cette joie
qu'on ressent quand tombe du ciel l'aubaine du siècle lorsqu'on
découvre, par hasard, un trésor énorme caché dans un champ, ou une perle splendide mêlée à la
camelote d'un souk des Mille et une nuits.
(Matthieu 13, 44-45). Ou vers la
joie d'une femme pauvre qui, ayant perdu une des rares monnaies qui lui
restaient, la retrouve après avoir mis la maison à l'envers et l'avoir balayée de haut en bas. Ou vers la
joie du berger qui retrouve une brebis perdue, comme si cette brebis maigrichonne
et un peu écervelée avait autant de
valeur que les 99 brebis grasses laissées sans gardien pendant la recherche. Ou
vers la joie extrême du père qui retrouve son enfant perdu, même et surtout si
cet enfant au cœur dur ne mérite plus de
porter le nom de son père (Luc 15, 8-9.
4-6. 11-32). Ou vers la joie des ouvriers qui n'ont travaillé qu'une heure
et reçoivent le même salaire que ceux qui ont trimé tout le jour (Matthieu 20, 1-16)...
"Que ma joie soit en
vous et que votre joie soit parfaite!" (Jean
15, 11).
ARRACHEMENT
J'entends monter des voix de
protestation.
On pourrait me reprocher de faire de la voie de Jésus un
bar ouvert où tout le monde peut entrer sans s'essuyer les pieds et où chacun
se fait servir sans payer. On me rappelle que le Jésus de l'évangile a quand
même dit: "Si tu ne renonces pas à toi-même, si tu ne prends pas ta croix
pour me suivre, tu ne peux pas marcher avec moi" (Luc 14, 26-27). On s'étonne aussi que je ne parle pas de la
"tenue de noces" obligatoire pour prendre part au banquet auquel
"beaucoup sont appelés, mais peu se qualifient" pour y être acceptés (Matthieu 22, 11-14). On me dit que mon
langage n'est pas celui de Jésus...
Ce à quoi je réponds:
- "D'accord. Chez Matthieu qui est Juif, l'accès au
banquet du Royaume est apparemment plus restrictif que chez Luc. (Car Matthieu
est Juif et conserve encore des réflexes
légalistes de sa communauté traditionnelle. Chez Luc, qui est Grec et n'a donc
pas les mêmes scrupules que Matthieu, sa
vision du Royaume est sans réserve: "Va -t'en par les chemins et le long
des clôtures, et fais entrer les gens de force, afin que ma maison se
remplisse!" (Luc 14, 21-23). Moi
qui suis plus grec et plus païen que Juif, j'adopte avec reconnaissance la
vision de Luc.
Quant au renoncement requis
pour suivre Jésus, je ne crois pas avoir baissé la barre. J'ai parlé beaucoup "d'arrachement". J'ai
insisté pour que nous nous arrachions à nos vieilles pratiques, à nos
routines, à nos tabous, à nos préjugés, à nos peurs; que nous nous arrachions à
nos inerties, à nos zones de confort, à nos voies tracées d'avance, à nos
certitudes, à nos dogmes; que nous renoncions aux images mielleuses ou
de grand seigneur que nous nous sommes fabriquées de Jésus; que nous renoncions
à nos béquilles, à nos déguisements, aux croyances incrustées dans nos gènes, à
toutes ces choses que souvent nous avons sacralisées par le biais de la
religion; que nous nous arrachions à nos enclos sacrés et que, de là,
nous fassions le saut dans le vide, vers
le neuf.
Pour moi, "renoncer à
tout et prendre sa croix pour suivre Jésus", c'est justement cela. Se dépouiller pour "revêtir le
Christ", comme dirait l'apôtre Paul (Éphésiens
4, 22-24), "emprunter la voie
étroite" dont parle Jésus lui-même (Matthieu
7, 13), c'est cela. Voie qui n'est quand même pas toujours étroite, car à
peine dure-t-elle le temps de rompre les amarres et de faire le saut. Aussitôt la
muraille franchie, elle débouche sur une chaussée large à l'extrême. Là, en lien "étroit" avec
lui, on apprend à marcher joyeusement
dans "la glorieuse liberté des enfants de Dieu" (Romains 8, 21).
Et les Dinosaures?
Les Dinosaures, tu les as endurés tant que tu as pu. À la fin, quand ils
t'ont crucifié, tu as prié ton Abba de les pardonner. Tu as plaidé en leur
faveur, mais sans leur donner raison
( DÉTAIL TRÈS IMPORTANT).
Tu as fait valoir qu'ils ne
devaient pas être jugés coupables. Pourquoi? "Parce qu'ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient" (Luc, 23, 33-34). Autrement dit, parce
qu'ils étaient des inconscients (ce qui n'est pas exactement un compliment...).
Pour cette raison, tu demandas à ton
Abba de ne pas les condamner. Tu le prias de leur faire miséricorde...
Avec toi, il en est ainsi: avant tout: la justice et la vérité, mais le
dernier mot appartient à la miséricorde.
Ce qu'il adviendra des
Dinosaures après leur mort est un secret que Jésus partage seulement avec des
amis très proches. Ce secret, je l'ai découvert quelque part, en 1959, dans un
vieux livre jauni dont le titre était : "Révélations
de N.S. Jésus-Christ à sainte Gertrude le la Passion" (imaginez!). Il lui aurait chuchoté à l'oreille:
"Ma fille, ni de Salomon,
ni de Judas je te dirai ce que j'ai fait, pour qu'on n'abuse pas de ma
miséricorde"...
Vous l'avez bien deviné.
Cette parole a de grosses chances d'être authentique et de très bien
s'appliquer à nos Dinosaures... Tant mieux, alors! Au fond, nos Dinosaures le méritent. Car, même si nous n'avons aucune raison de
les aimer, je me demande ce qu'on aurait pu connaître de Jésus s'ils n'avaient
pas toujours été dans ses jambes... Enlevons les Dinosaures des évangiles, et les évangiles tombent en miettes. Enlevons
les prédateurs de la planète et ce sera la fin du monde. On n'a pas le choix...
C'est pour cette raison, sans
doute, que François d'Assise a fait un pacte avec le loup de Gubio, un méchant
loup...
Le grand Voile du temple qui
marquait la séparation absolue entre Dieu et les humains, entre le sacré et le profane, entre le pur et
l'impur, entre l'esprit et la matière, entre
la religion et la vie quotidienne, entre
la Loi de Dieu et la loi de la Nature, entre l'Humain et le Divin, entre la
Mort et la Vie, ce Voile se déchira de haut en bas (Matthieu 27, 51). Ce voile qui
divisait et séparait... a été déchiré par les fouets, les épines, les clous et le
coup de lance porté en plein cœur du Crucifié.
On aurait dit, Jésus, que
ton visage, ton corps, ton histoire personnelle ou même ta parole réelle s'effaçaient
pour "dé-voiler" l'ultime réalité pouvant expliquer le monde, le
changer et le sauver. Alors, ayant aimé
les tiens, tu les aimas "jusqu'au bout" (Jean 13, 1). Tu te rendis semblable aux humains en tout. Tu leur
lavas les pieds (Jean 13, 2-16) et tu
te fis leur esclave jusqu'à la mort de la croix (Philippiens 2, 6-8). Tu t'es abîmé dans tout ce que nous sommes, y
compris dans tout ce qu'il y a le plus inhumain et de plus méprisable en nous. Tu
t'es fait malédiction, tu t'es fait péché (Galates
3, 13; 2 Corinthiens 5, 21).
Tu t'es anéanti dans toutes nos
horreurs jusqu'à l'absurdité de la présente guerre entre la Russie et l'Ukraine. Aujourd'hui,
tu es à Marioupol, tremblant de faim et
de froid parmi les vieillards, les femmes et les enfants enterrés vivants dans
les caves humides des usines d'Azovstal.
Ta croix d'hier,
d'aujourd'hui et de toujours, ce sont les chambres des tortures, les
chambres à gaz et les geôles de toutes les tyrannies de tous les temps. Ta
croix, c'est la faim dont souffre une grande partie de l'humanité pendant que
l'autre croule sous l'abondance et assassine la Terre qui lui donne la vie. Quand le soleil s'éteint en plein midi sous l'épais
nuage de nos bombes, de nos crimes et de toutes nos folies, tu es là, cloué à
nous, poussant toujours le même cri de
mort qui perce le cœur de Dieu: "Éloï, Éloï, lama sabachtani", "Mon
Dieu, mon Dieu, pourquoi, m'as-tu abandonné?" (Marc 15, 34).
Ce cri fut aussi celui que
poussèrent tes disciples, eux-mêmes morts de peur et ensevelis vivants dans leur refuge de
Jérusalem. Ils avaient tout perdu.
Il ne leur restait plus rien,
sauf l'amour dont tu les avais aimés. Gardé
au fond de leur cœur, cet amour soudain remonta avec force dans leur être et
les ramena doucement à la lumière et à la raison. Il les fit sortir de l'ombre.
Il les "ressuscita".
Alors, leurs yeux
s'ouvrirent. Ils virent que
l'amour dont tu les avais aimés, non seulement leur redonnait la vie,
mais qu'il te ramenait à eux. Ils virent et comprirent que toute mort avait
disparu et que tu étais toujours vivant. Vivant, non plus en dehors, mais
au-dedans et au-delà d'eux-mêmes pour aller avec toi sur toutes les routes du
monde.
Ils comprirent que la plus
grande puissance de l'Univers est l'amour. Ils comprirent que l'amour rassemble
tout, l'amour ramène toutes choses à leur unité originelle, l'amour ressuscite
tout, l'amour recrée tout.
Ils comprirent que tout meurt et que seul l'amour demeure.
Et ils comprirent que tout ce qui est amour vit en Dieu à jamais, car Dieu
est Amour (1 Jean 4, 16).
Serait-ce là la "vérité" que Pilate cherchait? (Jean 18, 38)
ÉPILOGUE
Cher lectrice, cher lecteur,
Ce Jésus que je viens de "mettre
à jour" à ma façon, n'est peut-être
pas tout à fait le Jésus que les témoins d'il y a 2000 ans sont censés
avoir vu de leurs yeux. Je crois, tout de même, m'en être
"in-spiré", même si nous n'avons pas de portrait ni d'histoire sûre à
son sujet. Pour ma part, tout ce que je sais de lui, c'est qu'il est vivant.
Si ce Jésus te rejoint le moindrement, ne le laisse pas
échapper. Il ne te demande pas de l'imiter, car il ne commande rien à personne.
Il veut seulement s'enraciner suffisamment en toi pour "t'in-spirer"
à ton tour, c'est-à-dire pour "spirer" à l'intérieur de toi, te
donner du souffle, du tonus, de la vision, des ailes. Tout ce qu'il veut, c'est
que son esprit (son "spire") poursuive en toi et par toi l'œuvre
commencée par lui.
Trop souvent, dans notre
iconographie imaginaire, l'Esprit vient
d'en-haut, il vient de l'extérieur et semble, d'une certaine manière,
venir après Jésus et être indépendant de lui. Pourtant, même si Jésus a une
idée très large de l'Esprit, celui-là même qu'il nous donne est proprement l'Esprit
qui "demeure" en lui. Il s'agit de l'esprit qui l'habite intimement, il
s'agit de sa mentalité à lui, de sa façon d'être, de sa façon de penser, de sa
façon d'agir, de sa propre façon d'aimer. Ce qu'il nous transmet, c'est son propre souffle (Jean 20, 19-22).
Pour employer un terme plus
près de nous, l'esprit de Jésus est sa propre "énergie". Il est son
âme, il est son souffle, il est sa vie. Rattaché à Jésus et
"insufflé" en nous, l'esprit rend Jésus vivant à l'intérieur de nous,
à partir de ce qu'il a été (ou de ce qu'à travers les siècles) on a cru qu'il a
réellement été.
En nous laissant imprégner
par le même esprit, Jésus sera en nous autre chose qu'un sujet de thèses et un
thème de sermon. Sa présence sera réelle, affective et effective. Ses émotions,
sa créativité, sa liberté, sa sagesse, son audace, sa force, son amour se
communiqueront à nous. Dans notre terre intérieure ses racines pousseront en
profondeur.
Donc, si jamais ces lignes
que je viens de partager avec toi te font vibrer un tant soit peu, si elles
vont te "chercher" comme on dit dans notre langue courante, lis-les
et relis-les à ton rythme, soit d'une
traite, soit goutte à goutte. Laisse-les tourner dans ta tête, mâchonne-les,
débats-toi avec elles, laisse-les "spirer". Laisse-toi
"contaminer" par elles. Si bien qu' à la longue, le
"dinosaure" qui dort en toi, tout comme en moi, finira par fondre; il s'effacera doucement
comme un iceberg dans les eaux de l'Arctique qui se réchauffe...
Et voilà! En moins de trois
ans, Jésus, tu as bousculé notre vie et
tu as renversé notre mort pour que nous trouvions notre centre et que
s'établisse l'harmonie en nous, autour de nous, avec l'univers et avec Celui
qui est la Source et le Cœur de tout. Tu as cassé tous les moules et secoué
tous les cadavres. Toutes tes
rencontres ont été des défis à relever, des risques à courir, des interdits et souvent des impossibles
à affronter. Tu n'as cessé de surprendre.
Toutes choses qui
n'entraient pas dans les vues et les cadres d'une religion qui était sûre
d'elle-même et à peu près convaincue d'être plus ou moins l'incarnation même de
Dieu et de sa volonté sur terre, croyant dur comme fer que ses Écritures, ses
dogmes, ses codes moraux, ses rituels, ses structures étaient immuables à
jamais, tu osas les remettre en question, tu les attaquas et les
bouleversas de fond en comble... Nous en sommes encore interloqués, mais toi,
avec patience, douceur et bonté tu nous préviens que nous n'avons encore
rien vu et que nous devons continuer à marcher. "En vérité, je vous le
dis, celui qui croit en moi fera lui aussi les œuvres que je fais; et il en
fera même de plus grandes" (Jean, 14, 12).
Et nous, nous sommes les
plus malheureux des humains parce que nous sommes dépassés et incapables de te
suivre. Notre barque prend eau de toutes parts et toi, tu dors. Si tu te
réveilles, c'est seulement pour t'entendre nous répéter: "Pourquoi avoir peur, hommes et femmes
de peu de foi? (Matthieu 8, 26) Moi,
j'ai vaincu le monde (Jean 16, 33).
J'ai survécu à la mort et «je fais toutes choses nouvelles» (Apocalypse 21, 3-5). "Allez, de
toutes les nations faites des disciples... Je suis avec vous tous les jours,
jusqu' à la fin du monde» (Matthieu 28,
19-20).
Une dernière question
À vous qui doutez encore, à vous
qui trouvez, peut-être, mon Jésus vraiment trop frondeur, trop délinquant, trop
militant, trop tiers-mondiste des années
70, pas assez cool, pas assez liturgique, trop laïque, pas du tout
canonique et trop kamikaze..., à vous qui
estimez que ce je dis de lui est vraiment exagéré, je vous pose cette question:
si le Jésus réel était plus posé, modéré
et nuancé que celui auquel je donne vie en ces pages, pourquoi donc, en moins de trois ans d'action publique, lui
qui a tant aimé et qui a été si aimé, a-t-il été livré comme un ennemi
extrêmement dangereux, et pourquoi
a-t-il été broyé sur une croix avec tant de rage, de cynisme et de cruauté, non
pas par des diables sortis de l'enfer, mais par des hommes religieux qui, pourtant, ne cherchaient qu'à
faire leur devoir?...
Eloy Roy
JÉSUS, LES COCHONS ET l'ÉCONOMIE
MARC
5, 1-20
Qui est le plus cochon: le cochon ou
bien celui qui lui donne à manger?
Gerasa est un bled ultra païen qui
perche sur un cap au-dessus du lac de Galilée. Une subdivision de la Légion
romaine en a fait une base militaire et 2000 soldats armés jusqu’aux dents y
dressent leur campement. Leur mission est de contrôler avec une poigne de fer
toute cette zone que l’empire de Rome colonise et exploite allègrement.
Aux yeux des Juifs bien nés, qui vivent
sur l’autre rive du lac, ces Romains sont de méchantes créatures envoyées par
le diable pour contaminer leur terre bénie et mener leur peuple à la perdition.
Car cette soldatesque venue de l’étranger, non seulement tue à tour de bras et
se livre à tous les vices, mais adore des dieux dégénérés, oblige les gens à adorer
la statue de son empereur et, pour comble, mange du cochon!
Quels sont donc les gens qui
approvisionnent ces diables de Romains en cochon, sinon les gros propriétaires
de Gerasa? Pour eux, les Romains sont de la manne tombée du ciel. Ils
investissent donc frénétiquement dans l’élevage du cochon et les vendent
ensuite à haut prix aux riches occupants.
Cocasse, non? Ces « cochons » de Romains,
qui empoisonnent la vie des Gerasiens, se font engraisser par… d’autres
Gérasiens, qui se graissent à leur tour grâce aux sous des Romains. Et quoi?
Les affaires sont les affaires!
Le pays de Jésus est un pays de Juifs
allergiques au cochon qui se trouve situé, comme on a dit, de l’autre côté du
lac, juste en face de Gérasa. Jamais un Juif qui se respecte ne laisserait sa
barque aborder cette Gerasa qui pue le diable et le cochon à des kilomètres à
la ronde.
Mais, un bon jour, Jésus, sans passeport
ni rien, décide de franchir cette frontière interdite. Il appelle ses
compagnons d’aventure, tous aussi juifs que lui, les embarque sur leur bateau
et met le cap droit sur Gerasa.
Pas besoin d’insister, la traversée
tourne rapidement au cauchemar. Les gars sont morts de peur. Peut-être plus en
raison de leurs préjugés et de leurs superstitions que par le terrible orage qui
se déclenche tout d’un coup au beau milieu du lac. Jésus est obligé de lever la
voix pour que ses amis se ressaisissent et finissent par se calmer. Puis, c’est
l’arrivée à Gerasa. Tous sont sains et saufs.
Dès que Jésus met le pied hors du
bateau, une chose sombre surgit de derrière les tombes du cimetière local et
court à toutes jambes vers lui. Les gens de la place expliquent qu’il s’agit
d’un fou qui vit avec les morts; à toute heure du jour ou de la nuit, il hurle
comme une bête en se tailladant les chairs avec des pierres pointues (comme ont
coutume de faire les voyants païens dans leurs délires mystiques). Chaque fois
qu'on essaie de l’attacher avec des chaînes et des fers, il fait tout voler en
éclats. Personne ne peut le dominer. C’est un monstre.
Un monstre qui, en arrivant près de
Jésus, se jette sur lui comme pour le tuer. Mais Jésus se cabre. Usant de la
même voix qui a eu raison de la tempête sur le lac, il fait tomber le
malheureux à ses pieds. Un son rauque, à la fois suppliant et sarcastique, sort
de la gorge de l’homme. En pleurnichant il implore Jésus de ne pas le torturer.
- Si tu veux que je sorte du corps de
cet homme, je t’en prie, envoie-moi dans le corps des cochons qui sont là sur
la colline...
- Quel est ton nom? lui demande un Jésus
tout à fait décidé à aller au fond des choses.
- Mon nom est... « Légion »…
Le chat vient de sortir du sac! Cet
homme n’est donc pas un individu ordinaire. Il incarne dans sa personne le
peuple de Gerasa, et bien d'autres peuples qui, comme le propre peuple de
Jésus, sont dominés, pour ne pas dire « possédés » par la "Légion"
romaine…
Pour s’ « accommoder » à l’empire, ces
peuples perdent leur identité, leur liberté, leur dignité et même leur raison
de vivre. Ils deviennent comme des déchets... Ils s’autodétruisent. Ils se
couvrent le corps et l’âme de plaies mortelles, comme ce pauvre type avec ses
pierres pointues et son repaire au milieu des tombeaux.
Alors Jésus ordonne à l'esprit
"Légion" de sortir du corps du pauvre diable et l’envoie promener dans
le troupeau de cochons en train de paître sur l’escarpement au-dessus du lac.
Le choc est brutal. Malgré leur très mauvaise réputation, les cochons, moins
accommodants que certains Juifs, se montrent incapables d’avaler l’esprit «
Légion » et préfèrent se suicider en se jetant dans le lac du haut de leur
falaise. 2000 cochons sont morts noyés ce jour-là. Autant de cochons noyés que
de soldats formant la subdivision romaine de Gerasa. Ils sont, en effet, 2000.
C’est alors que notre malheureux énergumène
retrouve ses esprits. On le lave, on l’habille proprement, il devient un homme
neuf. Mais la fête tourne tout de suite au vinaigre. Les propriétaires de
cochons sont hors d’eux-mêmes et chassent Jésus de leur pays.
Qui veut comprendre comprenne!
Par cette histoire on voit bien que
Jésus n'aime pas les légions romaines, ni ceux qui collaborent avec elles. Il
n'est pas ami des bottes militaires, ni ami des dictatures. Il n'est pas ami
des puissances étrangères qui, sous le masque de l’amour à la démocratie, de
l’aide humanitaire ou du développement ou sous celui de la lutte contre le
terrorisme ou la drogue se faufilent dans d'autres pays pour les contrôler et
les dominer. Il n’est pas ami non plus de ceux qui élèvent des cochons pour
engraisser d’autres cochons…
Mais quel manque de gentillesse de sa
part! Qu’il ait sorti un misérable d’un abîme sans fonds, tout le monde s’en
réjouit, mais à quel prix, grand Dieu! Mettons-nous à la place des éleveurs de
ces 2000 porcs dont Jésus a provoqué la mort, est-ce qu’ils n’ont pas raison
d’être furieux contre lui? Est-ce que, par hasard, un être humain vaut 2000
porcs?
- Oui, certainement! répond Jésus.
Même s'il s’agit d'un marginal, d’un
fou, d’un dépravé, d'un monstre qui sème la terreur? Même s'il est plein de
diables, même s'il est aussi méchant qu’une légion romaine qui vole, viole,
piétine, humilie et opprime tout un peuple? Est-il juste de sacrifier
l'économie de tout un village pour réhabiliter un monstre pareil?
- Non seulement il est juste de sacrifier l'économie de
tout un village, mais aussi celle de tout un pays, dit Jésus. Même celle du
monde entier!
L'économie qui jusqu'à maintenant a fait
la pluie et le beau temps dans le monde, est plus destructrice que 2 milliards
de bombes égales à celles dont on s’est servi, les 6 et 9 août 1945, pour
anéantir Hiroshima et Nagasaki.
Cette économie a été construite sur le
dos de 99% de l'humanité, au prix de la dignité, de la liberté et des droits de
personnes et de nations entières, en les bafouant, en se moquant d’elles, en
les trompant, en les corrompant, en les exploitant à la corde, et en les
massacrant.
Cette économie est responsable des
blessures, des frustrations, de la haine, de la violence et de la décadence de
ses victimes. Des monstres comme ce pauvre diable de Gerasa sont créés tous les
jours par cette économie qui les envoie par milliers vivre parmi les morts et
les cauchemars des immenses dépotoirs humains qui ne cessent de pousser partout
sur la planète.
Elle est maudite cette économie qui
assassine littéralement notre belle planète bleue et qui sacrifie des personnes
et des peuples entiers aux cochons et non les cochons aux personnes. C'est
pourquoi, un jour, tout va sauter. Ce ne sont pas seulement 2000 porcs qui
tomberont à l'eau, ou deux tours de New York qui voleront en fumée, mais ce
sera toute l'économie mondiale qui s’effondrera. C’est d’ailleurs déjà
commencé.
Obama lui-même, qui est un bon garçon, a
pitié des cochons de Wall Street et leur donne à manger. Mais il se peut qu’un
jour ces mêmes cochons se retournent contre lui et le mordent. Car il ne faut
pas donner à manger aux cochons, ni leur jeter de perles (Mt 7,6) . (Voyez qui
a succédé à Obama)....
Encore moins leur donner des milliards,
ajouterait Jésus…
Eloy Roy
ÉVANGILE VOLÉ
Dieu parle par les cris et les silences des
appauvri-es de la Terre. La « nouvelle évangélisation » devra se
faire l’écho puissant de cette voix, sinon elle ne sera qu’un avortement de
plus.
ON A TOUT VOLÉ AUX PAUVRES, MÊME L’ÉVANGILE
On ne peut rien y faire. L'évangile ne m'appartient
pas, ni à moi, ni aux intellectuels, ni aux gens d'église, ni aux experts en
Bible, ni aux télévangélistes, ni aux prêtres, ni aux évêques, ni aux papes.
L'évangile appartient aux pauvres.
L'âme de l'évangile, c’est Jésus et Jésus est un
pauvre.
Jésus a vécu et lutté avec et pour les pauvres. Il
s’est fait solidaire du pauvre. Il a été le compagnon, l’ami, le camarade, le
frère, le défenseur des pauvres. Il a souffert à cause des pauvres.
Il est mort pauvre parmi les plus pauvres.
De même que le soleil brille sur les bons et sur les
mauvais, et sur les riches comme sur les pauvres, ainsi Dieu aime tout le
monde, dit Jésus. Il ne s’est pourtant identifié ni aux mauvais ni aux riches,
mais aux pauvres. Il s’est adressé au cœur des mauvais et des riches, mais à
partir du cœur des pauvres.
Il s’est identifié aux pauvres en devenant l’un d'eux
et en faisant siens leurs gémissements et leurs espoirs. S'il a aimé l’humanité
entière, ce fut vraiment à partir du cri des pauvres et à partir de leurs rêves
les plus fous. Ce sont eux, les pauvres, qui ont inspiré à Jésus les Béatitudes
et la grande merveille du Royaume. Sans les pauvres, l'évangile n'existe
simplement pas. Et Jésus non plus.
Il a aimé les pauvres au point de se donner
entièrement à la tâche de redonner vie et espoir aux rejetés qu’il croisait sur
son chemin. Il les traitait comme des personnes qui ont un nom et un visage. Il
était pour eux l’occasion de prendre la parole, de crier leur vérité. Il les
écoutait, leur ouvrait les bras, leur tendait la main, les relevait. Sur les
pas de Jésus la vie fleurissait.
Quand en chemin il croisait des riches qui
exploitaient le peuple, il ne les maudissait pas. Parfois il allait banqueter
avec eux. Mais il entrait chez eux comme pauvre, tel qu’il était, et il ne
changeait pas son discours pour leur plaire. Il profitait même de l’occasion
pour leur dire quelques bonnes vérités. Il ne cassait rien mais ne faisait
aucune concession.
Si Jésus est la Parole créatrice de Dieu
ensemencée dans notre terre, cette parole ne peut être que la parole des
appauvri-es. Pour que Dieu nous parle, nous devons écouter les pauvres. Si nous
voulons connaître Dieu, nous devons connaître les pauvres. Si nous voulons nous
approcher de lui, nous devons nous approcher d’eux.
Mais les pauvres ne sont pas tous des saints, peu s'en
faut. Il y en a parmi eux qui sont détestables, répugnants, bêtes,
méchants, fourbes, profiteurs, paresseux, envieux, arrogants et violents. Pour
comble, la plupart d’entre eux rêvent de devenir comme les riches. Comment Dieu
peut-il donc nous parler par cette masse informe de braves gens dans laquelle se
mêlent comme dans un dépotoir tous les « rebuts » de
l’humanité?
La même question pourrait être posée au sujet de Jésus
qui fut lui-même rejeté comme un « rebut » de l’humanité. Il a
été excommunié de sa communauté, soumis à la torture comme un criminel, accusé
d’être un apostat et un subversif, et crucifié comme un ennemi de
la Religion et de la Patrie. Pourtant, ce « rebut» de l’humanité, nous le
vénérons comme le « Sauveur » du monde.
Ce qui veut dire pour nous, les chrétiens, que
c’est là, dans la misère humaine, qu’est enfouie la Parole suprême
du Dieu qui recrée l’humanité.
On objectera qu’à la différence des pauvres, qui sont
des pécheurs comme tout le monde, Jésus était « innocent » et
que s’il a été réduit à un « rebut » de l’humanité, ce ne fut
pas par sa faute, mais par l’injustice qu’on lui a fait subir.
Ce même jugement devrait tout autant s’appliquer
aux pauvres, car eux aussi sont innocents.
Ils sont les créatures d’un système délirant et
pervers qui depuis des siècles les fabrique par centaines de millions dans
l’unique but d’enrichir toujours plus ceux qui possèdent déjà tout.
Ce système est un monstre. Il ne cesse de grossir en
toute impunité, grâce, en particulier, à la complicité d’un tas de
«bonnes gens» comme nous qui croyons encore bêtement aux vertus des plus forts,
et aux miracles de la guerre et de l’argent. Ironiquement nous prétendons
être des piliers de la démocratie et du christianisme. Et il nous arrive même
de prier Dieu de bénir tout cela.
Pourtant, dans un monde qui regorge de richesses, la
pauvreté est le crime le plus abominable contre l’humanité. Et les victimes de
ce crime ne sont pas des extraterrestres mais des êtres humains qui sont rien
de moins que des membres de notre propre corps.
Fasse le ciel que les cris de nos pauvres nous
percent le cœur, que leurs tares nous fassent horreur, que leurs
souffrances nous blessent assez fort pour qu’éclate l’épaisse bulle de notre
inconsciente tranquillité!
La "nouvelle évangélisation" devra se bâtir
sur les attentes criantes des appauvri-es de la Terre, autrement elle
s’écroulera comme cette maison dont Jésus dit qu’un idiot l’avait bâtie sur le
sable plutôt que sur le roc; au premier coup d’eau elle fut emportée comme un
fétu de paille (Matthieu 7, 26-27).
Eloy Roy
LE "COMING
OUT" DE l'AUTRE LAZARE
(Jean 11, 1-44)
Quel était le vrai problème de Lazare ? Personne ne peut le dire. Ce sont de ces choses dont on ne parle pas. On en souffre, c’est tout.
Lazare était un beau jeune homme gentil, très sensible, d’une
famille bien. Ses parents moururent quand il était tout petit, et depuis ce temps il était demeuré seul avec ses sœurs. Marthe et Marie, deux femmes hors pair, l’ont élevé dans leurs jupes.
Elles l’ont
gâté et protégé de tout mal. Elles voulaient en faire le meilleur garçon du
monde. Ce qu’il devint de fait.
Dans son nid douillet il n’était pas malheureux, mais pas heureux non plus. Il lui manquait quelque chose. Il ne savait pas quoi, mais n’ayant eu ni père ni frère, jamais il n’avait pu se comparer et se mesurer à quelqu’un de semblable à lui. C’est ainsi qu’il ne s’était jamais vraiment découvert comme homme.
Il restait étranger à une grande partie de lui-même. On aurait dit que quelque chose d’essentiel n’était pas encore né en lui. Cela le rendait mélancolique et, à certains jours, réellement dépressif. Ses sœurs s’en affligeaient. À la longue cela finissait par l’agacer. Elles ne comprenaient rien à ce qui lui arrivait, et lui non plus, d’ailleurs.
Mais un jour,
tout changea. Un homme apparut chez eux. Un homme fantastique, que les deux
sœurs avaient connu dans un de ces ralliements pleins d’effervescence où il
était question du Règne de Dieu. Elles s’étaient entichées de lui. Son nom
était Jésus. Il était le clou de ces ralliements. Bientôt il devint un ami
intime de
Et puis, un bon jour, plus de nouvelles de Jésus. Plus de messages de lui. Les deux femmes ne s’en alarmaient pas trop. Elles connaissaient les activités de leur ami et elles avaient une confiance aveugle en lui. S’il ne donnait pas signe de vie, c’était parce que c’était mieux ainsi. Mais Lazare ne le prenait pas sur ce ton. Il ne pouvait ni ne voulait s’expliquer cette absence de Jésus. Surtout son silence. Jésus était entré dans sa vie comme l’air pur et comme le soleil; la vie commençait à peine à lui sourire et puis, vlan ! Plus un mot, plus rien. Comme s’il n’existait pas. Lazare se sentit rejeté. Il pleura, se fâcha, s’enferma dans sa chambre. Il ne mangeait plus, ne dormait plus, ne voulait plus voir personne. Il était brisé, humilié, défait. Ses sœurs, les larmes aux yeux, le suppliaient de se raisonner, mais rien n’y faisait. Lazare voulait mourir. De fait il était déjà mort.
Un seul pouvait tirer Lazare de là. C’était Jésus. Il fallait aller le chercher avant qu’il ne soit trop tard. Comme tout le monde dans le pays était un peu au courant des allées et venues de Jésus, Marthe et Marie purent assez facilement le repérer. Elles envoyèrent quelqu’un le rejoindre avec ce message : « S’il te plaît, Jésus, reviens à la maison au plus vite; ton ami, Lazare, est en train de mourir ! » Pour toute réponse Jésus dit : « Il va s’en remettre. Dieu y verra. » Et même s’il aimait beaucoup Marthe et Marie, il ne se pressa pas. Deux jours passèrent, puis il dit à ses disciples : « Notre ami, Lazare, s’est endormi, nous allons aller le réveiller. » Les disciples respirèrent. Puis Jésus ajouta : « En réalité, il est mort. Mais c’est bon pour lui et pour vous que je n’aie pas été là… ». Il n’y avait rien à y comprendre. Jésus était comme ça. On ne comprenait pas toujours ce qu’il pensait. Mais on s’y était habitué. On lui faisait confiance.
Quand Jésus et ses compagnons arrivèrent près du village, le bruit courait que Lazare était bien mort. Certains disaient qu’il était même enterré depuis quatre jours. En fait, ça faisait quatre jours qu’il ne bougeait plus. Il était décharné et gris comme un cadavre. Son pouls se sentait à peine. On lui parlait et il ne bougeait pas. Dans sa chambre flottait déjà une odeur de mort. En le voyant, Jésus fut saisi d’émotion. De grosses larmes coulèrent sur ses joues. Il s’approcha, ferma les yeux et pria Dieu avec toute la ferveur de son âme, puis cria très fort : « Lazare, sors dehors ! » En reconnaissant la voix de Jésus qui l’appelait par son nom, Lazare se dressa tout droit sur son lit. Il était enroulé dans son drap comme dans un linceul. Jésus dit : « Libérez-le et laissez-le aller ! ».
À partir de ce jour, Lazare se mit à respirer comme un homme neuf. Sa dépendance à l’égard de ses sœurs était terminée et aussi sa dépendance à l’égard de Jésus. Il était enfin libre d’être lui-même.
Ce jour-là, Dieu fut vraiment glorifié. Et de partout les gens apprirent cette histoire. Tout le monde racontait que Jésus avait vraiment sorti vivant d’un tombeau un homme qui était mort depuis quatre jours et qui sentait déjà mauvais. Et qu’une grosse pierre fermait l’entrée du tombeau.
Dans le fond c’était vrai. Psychiquement Lazare était mort. Tout son être était ligoté. Sur son âme pesait une lourdeur qui l’empêchait réellement de respirer. C’était comme s’il avait encore été enfermé dans le sein de sa mère. Comme s’il n’avait pas encore réussi à naître vraiment. Jésus coupa le cordon qui le rattachait à cette vie qui n’était pas une vie. Il en fit un homme debout.
Eloy Roy
Quelle compagnie, quelle
banque, quel gouvernement, quel politicien, quel homme d’affaires va dire qu’il
n’aime pas le monde et qu’il ne cherche pas le bien de tout le monde?
Dis-moi alors pourquoi
beaucoup de compagnies ferment leurs usines dans nos pays pour aller en ouvrir
d’autres en Chine, au Bengladesh, au Mexique?... Est-ce que ce serait par amour
pour les Chinois et les Mexicains?
Dis-moi : crois-tu que
les USA, le pays le plus riche, le plus puissant de la planète, serait aussi
riche et puissant si l’on n’y avait pas exterminé les Autochtones, on ne s’était pas emparé de leurs terres et
de toutes leurs richesses, et si on n’avait pas pu compter sur le travail de
millions d’esclaves noirs?
Dis-moi : est-ce
l’amour du prochain qui inspire les Banques, le Fonds Monétaire International
et toutes les grandes multinationales qui font la pluie et le beau temps sur la
terre?
Est-ce que l’Europe serait
aussi riche, aussi puissante, aussi « civilisée » si elle n’avait pas
étendu ses tentacules par toute l’Amérique latine, l’Afrique, le Moyen-Orient,
l’ASIE et en avait pompé tout le sang qu’elle a pu?
Est-ce que c’est vraiment
par amour pour le prochain que les USA et
Pourtant, un tas de monde de
ces pays, un tas de hauts dirigeants de ces banques, de ces multinationales,
des gouvernements de ces nations toutes-puissantes sont convaincus d’être de
bons chrétiens ou de bons Juifs. Plusieurs vont même jusqu'à se vanter
publiquement de leur foi et ne craignent pas d’affirmer qu’ils adhèrent de tout
leur cœur aux Dix Commandements de Moïse.
Il y a trop de
« bons » sur la terre, et pas assez d’hommes et de femmes qui aiment
Une maxime de saint
Grégoire, un père de l’Église :
« Quand nous donnons aux pauvres ce qui leur est
nécessaire,
nous ne leur donnons pas ce qui est à nous;
nous ne faisons que leur rendre ce qui est à eux.
C'est plus un devoir de justice que de
miséricorde. »
Eloy Roy