Ces jours-ci, téléguidés par un sympathique compagnon
de route (mi- québécois, mi-extraterrestre) échoué à Akatsutsumi, une avalanche
de moutons déferle de Tokyo vers Bethléem. Ils sont de tout genre. En carton,
en papier de riz, en papier mâché, en plastique, en bois, en métal; certains sont
même en laine! Une caravane extrêmement cool. Des gros, des petits, des
tendres, des têtus, des grognons, des délicats, des écervelés, des spartiates… Il
n’y a pas que des blancs, il y a plein de noirs, plein de bruns, et de toutes
les teintes de beige. Plusieurs tirent sur l’ivoire et ont les yeux bridés. Certains savent où
ils vont; d’autres, la tête dans les nuages, regardent à peine où ils mettent
les pattes. La plupart ne savent pas pourquoi ils sont en chemin, mais tous
cheminent. Et toutes, car il y a autant de moutons au féminin qu’au masculin,
des brebis, si l’on veut, avec des
compagnons béliers qui sont gentils aussi. Ce sont les pèlerins du monde. Ils sont
nous.
Comme nous : sérieux, fous, rêveurs,
méchants et bons. Tortues, lièvres, chauds lapins, amateurs de sport extrême,
coriaces… Ils sont de toutes les races, de toutes les couleurs, avec des
milliards de mélanges et de nuances. Ils sont de toutes les langues. De toutes
les religions aussi. Il y a des moutons bouddhistes, des moutons protestants,
orthodoxes, catholiques, des moutons musulmans, bien sûr, des sunnites et des
shiites. Il y a des juifs, évidemment. Il y a des hindous et des adeptes des
religions cosmiques. Il y a des progressistes et des traditionnalistes, des
croyants qui sont vraiment athées, et des mécréants qui sont plus croyants
qu’ils ne pensent. Les moutons se connaissent mal, se méfient, s’attirent, se repoussent, se bousculent, chantent,
pleurent, s’amusent, se haïssent et s’aiment. Ils ne savent pas trop où ils
vont mais ils vont.
Les moutons d’Akatsutsumi ont entendu le mot « Bethléem »,
et c’est là qu’ils vont. Pourquoi Bethléem?
Ils ne savent pas trop, mais ils sentent qu’il se passe quelque chose là-bas.
Quelque chose d’important. Ils ne
savent pas que Bethléem veut dire
« la Maison du Pain ». Ah ah? Serait-ce pour cela qu’ils s’en vont
par là?... « Maison du Pain » est un nom qui sent bon. Un nom qui attire
tout le monde, même les moutons qui ne mangent pas de pain… Car ce qui attire,
c’est l’odeur, l’odeur du bon pain chaud qui sort tout doré du four… Y a-t-il
sur Terre plus douce odeur?
Ces moutons en marche sont l’humanité en route vers le Pain. Peu importe
d’où l’on vienne ou qui l’on soit, tous et toutes nous marchons vers le Pain. N’importe
quel pain. Pain fait de farine de blé, et pain fait de maïs, de riz, de millet,
de sorgo, pain fait de toutes les céréales, de toutes les plantes, de toutes
les essences, de toutes les faims. Faim du ventre, du cœur, de l’esprit, de
l’âme. Faim de justice, de vérité et de dignité. Faim d’amour, de consolation
et de tendresse. Faim de beauté, d’unité, faim de pardon, faim de paix. Faim de
Dieu aussi. Eh oui!
Sur le chemin on se bouscule, on s’encorne, on
se déteste, on se bat, on s’aime bien un petit peu tout de même, on s’entraide parfois.
On est une bande disparate, joyeuse et malheureuse, généreuse et méchante, bien
portante et souffrante, mais ce qui
nous unit, c’est la faim. C’est la faim qui, au-delà de nos folies, nous
rassemble sur le chemin du pain.
Les fleurs du Coran, les fleurs de la Bible, les
fleurs de la grande sagesse des humains ont donné des épis qui ont été broyés.
On en a fait du pain, un bon pain pour le cœur et pour la vie de tous. À Bethléem le pain est vivant. Il est l’un de
nous. Il rentre en nous par une crèche, il est broyé sur la croix, comme le froment. Prenez et
mangez. Ma vie est un pain. Un bon pain. Pour la vie du monde.
Toi, Alep très chère, toi, mon amie musulmane, avec ou sans voile, toi, l’homme fier, et toi la femme debout de
toutes les grandes familles de la Terre, toi, le petit, toi, la bafouée, toi le malade, toi, le vieillard
esseulé, toi, le handicapé, toi, le prisonnier, toi, le pauvre (sacrement d’au
moins la moitié de l’humanité), je ne
peux pas te serrer dans mes bras… On se fait mal quand on est trop proche. On ne
s’habitue pas rapidement. On est gauche. Il y a des murs entre nous, même entre
les personnes les plus chères. On ne peut jamais se rejoindre vraiment. On est
loin, même quand on est proche. Je voudrais tout te donner, mais je n’ai rien.
Je voudrais tout faire pour toi, mais je ne peux rien. Je suis pauvre.
Nous sommes tous des pauvres. Qu’au moins cette
odeur du bon pain qui a doré longuement à la chaleur de mon cœur, que cette
douce odeur parvienne jusqu’à ton propre cœur. Je veux que tu sois heureux. Je
veux que tu sois heureuse. Même si on ne se voit pas, même si on ne se verra jamais,
seul ton bonheur pourra me rendre vraiment heureux.
Tous les animaux de la Terre, les oiseaux, les
poissons et toutes les bestioles, je vous embrasse. Tous les arbres, toutes les
plantes, tous les rochers, et tous les astres dans le ciel, je vous aime. À travers vous et à travers tous les humains je
touche l’intouchable, je vois l’invisible.
Tout commence par le cœur. Je crois que c’est l’unique
chemin qui conduit à la Maison du Pain.
BEAU NOËL, BELLES
FÊTES!
Eloy Roy
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