Journal Le Soleil, caricature d'André-Philippe Côté, 4 septembre 2015
Leur maison brûle. Ils ont tout perdu. Ils frappent à ma porte. Ils ont la peau plus
foncée, ils sont musulmans, je crois. Pas de questions. Je leur ouvre ma maison
et mon cœur, car ils sont ma chair et
mon sang.
J’ai connu dans d’autres cultures des gens pauvres
qui, dans leur humble chaumière, ont toujours fait une place à qui était plus
pauvre qu’eux : un neveu, une filleule, le petit frère de celle-ci et sa sœur,
l’oncle, la cousine, ou quelqu’un d’autre qui venait de loin.
Nous qui
sommes de pays qui se débrouillent assez bien, et qui avons travaillé beaucoup
pour cela, nous ne manquons pas de sagesse et de prudence, mais souvent nous
trouvons mille raisons pour n’ouvrir nos
portes qu’à moitié à une foule de réfugiés désespérés sous prétexte qu’ils
n’ont pas leurs documents en ordre (car un bon réfugié doit transporter ses
archives avec lui, c’est évident !!!), ou
parce qu’ils ne nous laissent pas le temps de les examiner à loisir, de les
évaluer, les soupeser ou de les faire poireauter comme ça nous chante.
Pourtant d’autres, plus sages et plus savants que nous, nous prouvent,
par A+B que nous sommes les privilégiés sinon carrément les complices d’un gigantesque système mondial d’arnaque, de
fraude, de mensonge, d’exploitation et de vol international. On ne les croit pas et on ne veut pas les
entendre, car notre sécurité, notre bien-être et notre paix dépendent si étroitement
de ce système injuste qu’on préfère lui
trouver des vertus plutôt que de le regarder en face. Notre façon de réagir n’est pas étonnante. Elle est
nourrie constamment par ce même système
tordu qui a été conçu, est réajusté au besoin et mis de l’avant jusque dans ses
plus petits détails par des corporations
et des groupes de personnages hautement sophistiqués qui savent tout, possèdent presque tout et dominent partout.
Ils sont nos maîtres, et nous, dupes ou aveugles,
nous en sommes les fidèles serviteurs. Notre vie repose entre leurs mains.
Nos maîtres nous ont mis dans le cerveau que le but de la vie, c’est le bien-être personnel, et non pas la grande joie qu’il peut y avoir à courir des risques pour que ce bien-être s’étende au monde entier. La justice sociale et la fraternité sont d’excellentes choses, nous enseignent-ils, mais il y a aussi nos investisseurs, nos emplois, notre patrimoine, notre langue, notre culture, notre identité, notre sécurité, notre tranquillité et notre prospérité à protéger… en un mot, notre bien-être. Et le bien-être des autres?
Comment en venir à croire que la justice sociale et la
fraternité mettraient en péril la richesse des identités culturelles,
nationales ou individuelles? Et qui a décidé que les chrétiens et les musulmans, les sécularisés et ceux qui ne
le sont pas, sont condamnés à ne pas pouvoir vivre ensemble et à ne jamais
devenir des amis? Est-ce que, par hasard, la justice, l’affection ou l’amour entre individus, peuples et cultures signifieraient
l’anéantissement de l’être propre et de la nature originale de chacun? La justice et l’amour appauvriraient?
Je sais qu’on n’a pas l’habitude de tenir
compte de l’amour dans nos évaluations et dans nos plans. L’amour, c’est
tellement privé, tellement sentimental, tellement rose bonbon... Mais non, l’amour est la trame
profonde du grand tissu de l’humanité. Enlevons cette trame, et c’est l’enfer. Mais nous ne sommes pas
encore assez évolués pour nous en convaincre. C’est pourquoi je parle simplement
de justice; et si le mot fraternité
sonne trop curé, disons que je me contenterais
d’un minimum de solidarité à ras de terre comme il en existe parfois même
chez les animaux.
Une chose est sûre et certaine : nous
avons les moyens qu’il faut pour en finir avec la faim et la pauvreté dans le
monde et pour mettre un terme au saccage de la planète ainsi qu’aux conflits les
plus aberrants qui déchirent l’humanité. Nul besoin de chercher de bonnes raisons
pour continuer à toujours remettre à plus tard…. Ce que l’on voit tous les
jours à la télé devrait suffire à nous
décider à ouvrir nos portes sans hésiter, sinon, tôt ou tard, nous devrons probablement
le payer très cher.
Je n’oublie pas les personnes du Québec, du
Canada et d’ailleurs qui, par-dessus de multiples embûches, se dévouent corps
et âme à accueillir les réfugié/es des quatre coins du monde et à leur redonner
vie entre nos murs. Ces « passeurs et passeuses » de la justice et de
la fraternité représentent ce que nous avons de meilleur.
Ils sont parmi les premiers artisans d’une Humanité nouvelle qui, osons
l’espérer, finira bien par arriver un de
ces quatre matins.
Pour résumer, je fais écho au cri du jeune
Syrien qui va à pied sur la route entre Budapest et Vienne. Avec lui, marchant d'un pas décidé sur la même route, ils sont des
centaines ou des milliers de réfugiés : vieillards, femmes, handicapés,
enfants. Ils viennent de l’enfer, ils ont vécu l'horreur, ils ont traversé mer et monde pour arriver jusque là et ils continuent
toujours à pied leur marche vers la vie. Le jeune homme, blessé dans tout son
être par un policier qui le bouscule, se protège de son agresseur en criant de toutes ses tripes :
« Nous ne sommes pas des animaux, nous sommes des humains! »
P.S. : Pour qui ne l’aurait pas encore vu, le documentaire, FIN DE LA PAUVRETÉ?, permet de situer le drame des réfugiés dans un
contexte global (in the whole picture). Suivre ce lien :
Eloy Roy
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