« Le mirage » de Ricardo Trogi et Louis
Morissette est un film québécois tout récent qui remporte un grand succès sur les écrans. Je copie ici quelques extraits de l’excellent
article qu’à propos de ce film Josée Blanchette a publié dans Le Devoir du 4
septembre 2015, sous le titre : « La
misère de la classe moyenne ».
Extraits de l’article :
(…) Le mirage a mis le doigt dans le
décolleté boosté de la classe
moyenne. Il appuie lourdement sur une problématique qui dépasse de loin le
couple géniteur et la sexualité insipide qu’il présente. Il radiographie notre
société du confort et de l’indifférence, surstimulée mais vide de valeurs et de
sens, gavée aux bébelles, aux antidépresseurs et au Ritalin mais surendettée,
coupée de ses envies profondes, mais menée par ses fantasmes superficiels,
prise en étau dans le cercle vicieux du « paraître » et de la
surenchère, utilisant la consommation et le sexe pour s’anesthésier et pallier
le manque d’intimité avec soi et avec l’autre, amidonnée dans la performance et
une esthétique plastique qui varie selon les époques. La mode est aux grosses
boules (elle l’est souvent). Ça coûte combien ?
– Six mille dollars… Je ne pensais pas que
c’était aussi cher. (…)
Le couple en récession
Concrètement,
un Québécois sur deux fait partie de la classe moyenne et chaque ménage
canadien possède une dette hypothécaire de 145 000 $,
15 000 $ sur sa marge de crédit, et 40 % ne paie pas le solde de
sa carte de crédit chaque mois, selon les données de Statistique Canada et de
la BMO.
(…) L’État-providence
nous abandonne de plus en plus, ne paie plus la garderie, désinvestit dans l’éducation
et la santé, ne torche plus nos parents, ne fournit plus le psy ni la clinique
de fertilité. La classe moyenne se tourne vers la banque, qui lui prête de
l’argent qu’elle n’a pas non plus. Au fond, le fric n’existe pas. C’est un
mirage. Un autre.
Le
problème de la classe moyenne, c’est qu’elle a l’air riche avec sa piscine
creusée « au sel », son jacuzzi au Javel, ses enfants au privé et sa
BMW louée stationnée devant le garage pour qu’on la remarque (ou parce qu’il
est rempli de patentes à gosse à l’obsolescence planifiée). Derrière le
paravent social et la page Facebook, elle est en faillite et pauvre raide dès
qu’on gratte le vernis des apparences et des sourires à 10 000 $.
Faux
seins, fausses dents blanches, fausses rallonges de cheveux, faux ongles, faux
bronzage, faux orgasmes, faux standing. Elle a tout faux en attendant le
premier lifting et en crémant
ses tatouages. Le vrai bonheur en arrache. En cela, Le mirage a tiré un formidable portrait-vérité de notre Québec
contemporain saturé de promesses 36D.
Cela
ressemble au mirage des femmes invisibles sur Ashley Madison. Trente-sept
millions de gars se zieutent le zizi entre eux. Les filles de rêve virtuelles
ne sont là que pour leur soutirer leur numéro de carte de crédit bien réel.
Derrière l’écran
(…) En sourdine,
l’image qui m’a le plus intriguée durant tout le film, c’est le fond d’écran
d’ordi de Patrick (Louis Morissette), cette vue sur l’horizon, ce champ
d’automne aux couleurs fanées par le soleil.
On
découvre à la fin du film que c’est là, dans cette image, que notre
quadragénaire en crise retrouve son essence et court se réfugier, dans sa
vieille roulotte avec son coton ouaté vintage,
là qu’il troque son exerciseur de hamster dans le garage contre un jogging sur
la route et qu’il épouse le sens d’un mot, un mot qui ne coûte rien, mais vaut
cher et implique l’énorme courage de s’affranchir de tout : liberté.
En cela, la tragicomédie acide devient une fable
céleste et philosophique qui nous incite à contempler nos fonds d’écran pour
mieux voir ce que nous y déposons.
Pour lire l’article complet de Josée Blanchette :
Un moment, je n’ai pas fini ! Aggée, ben oui, le
prophète, a un mot à nous dire là-dessus :
« Réfléchissez à votre situation: Vous avez semé
beaucoup, mais récolté peu; vous mangez, mais sans être rassasiés; vous buvez,
mais sans être désaltérés; vous vous habillez, mais sans avoir chaud; et
l’ouvrier qui a gagné son salaire n’a pour le mettre qu’une bourse trouée.
Ainsi parle le Seigneur de l’univers: Réfléchissez à ce que vous devez faire.
Allez dans la montagne, rapportez du bois pour rebâtir la maison de Dieu. Je prendrai
plaisir à y demeurer, et j’y serai glorifié. Parole du Seigneur.» (Aggée 1, 1-8).
©AELF
Des églises on en a et on les ferme. Pour nous il s’agit
plutôt de recommencer à zéro: ramasser quelques branches et dresser une petite
tente au milieu de notre vide. S’y réfugier au besoin pour se retrouver soi-même
et permettre qu’un autre oxygène remplisse le grand creux de notre vie. Si Dieu existe, il est là, dans cet oxygène qui
ne se vend dans aucun magasin et sur aucun site web...
Eloy Roy
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