Ces temps-ci, c'est le bordel sur la planète. Se pourrait-il qu’un jour quelque chose de bon sorte de là? Difficile à dire. En attendant d'y voir clair, je vous partage un petit conte politico-religieux dont les personnages-clés sont notamment SAINT HÉRODE (un saint peu connu), son ami Caïphe, et un certain Jésus...
CONTE
Fatigué
de passer pour un mangeur de bébés, le roi
Hérode se convertit à la religion. Juché sur un palanquin d’or soutenu par douze esclaves, il se transporte à la
Crèche de Bethléem pour y adorer l'Enfant Dieu. La puanteur du lieu
le saisit au nez et quasi le suffoque. Il déchire sa chemise en signe d’horreur
et s’exclame en toussotant : «Par la barbe
d’Abraham, quelle honte! On accueille Dieu sur Terre comme de vrais sauvages ! »
À grands coups
de pieds il jette dehors bergers, moutons et autres bestioles, prend la sainte
famille sous son aile, met le feu à l’étable et retourne à Jérusalem.
Il porte
lui-même l'enfant Jésus dans ses bras, lui fait des chatouilles, le berce, se
prend d’une telle affection pour le marmot qu’il ne tarde pas à l’adopter comme un fils et en faire l’héritier de son trône. Joseph, à l’instar
de son célèbre ancêtre de même nom, est nommé premier ministre du
royaume, et Marie, en tant que Première Dame, se voit confier la douce tâche de
distribuer honneurs, bénéfices, petits cadeaux et autres largesses aux plus
fidèles amis de la Couronne. La conscience nationale, diligemment orientée par
les antennes du tout-puissant ministère de l'Intérieur, chante jour et nuit les
louanges de son roi.
Ainsi
s’écoulent des années heureuses au royaume d’Hérode. Le ciel, cependant, commence
à s’ennuager le jour où, devenu homme, Jésus entreprend de faire la tournée du pays. Tandis qu’au palais royal la
crème de la société se la coule douce, Jésus découvre dans les régions de
l’intérieur un peuple écrasé par des impôts
exorbitants et qui subit au quotidien la terreur des polices du Temple, des Romains et d’Hérode. Il en est bouleversé, choqué, scandalisé. En retournant à la maison en catastrophe, il se précipite chez Hérode et se
vide le cœur.
- J'ai toujours cru que tu étais
bon, mais tu es un monstre ! Un homme fourbe, menteur, hypocrite, injuste, cruel et
méchant !
- Méchant, moi
? lui répond le roi avec une larme à l’œil. Tu oublies que ce
méchant homme t’a sorti d’un tas de fumier. L’injuste ici, c’est toi. Écoute-moi bien. Dans mon royaume, on respecte la volonté de Dieu. C’est Dieu qui a créé les différences. Aux uns
il a donné du talent, aux autres, non ; c’est pour cela qu’on se retrouve
avec des riches et des pauvres, avec des
gens instruits et des ignorants. Il revient donc aux premiers de penser et de commander, et aux autres, d’obéir et travailler. Voilà l'ordre que Dieu, dans sa sagesse insondable, a
établi pour tous les hommes sur terre. Les
délinquants et les rebelles, nous les punissons comme il se doit, de façon
exemplaire.
- Qu’est-ce
qu’il ne faut pas entendre !, proteste Jésus explosant d’indignation… Écoute Jean le Baptiste, lis Moïse et les
Prophètes ! La volonté de Dieu, c’est tout le contraire de ce que tu dis.
Dès les premières lignes de la Bible on ne voit pas Dieu donner la
terre à certains individus plutôt qu’à d’autres. Il la donne à tous les humains
pour que chaque homme et chaque femme puisse vivre décemment. Plus tu reçois,
plus tu dois donner ; plus tu es grand, plus tu dois prendre soin des
petits. Dieu nous a faits FRÈRES et SŒURS et ÉGAUX. La Loi, les
Prophètes, toute la Bible se résume à cela ! Ne cherche pas la
volonté de Dieu ailleurs. Ni toi ni personne n’a le droit d’y changer un
iota!
Même le Très
Excellent Caïphe, pourtant à la langue bien pendue, est incapable de calmer
Jésus. Il va ouvrir la bouche quand Jésus se met les doigts dans les oreilles
pour ne pas l’entendre. Car il connaît par cœur le sermon qui l’attend.
N’empêche que Son Excellence va s’y essayer encore une fois… La millionième,
peut-être…
- Ah, mon
enfant ! Méfie-toi des idées
perverses qui flottent dans les airs par ces temps de malheur. Le Baptiste
n’est pas une mauvaise personne, mais c’est un alarmiste et un populiste. Il
devrait se taire. Les choses qu’il prêche, en abusant de notre patience,
prends-les avec des pincettes. Le temps des
prophètes est révolu, vois-tu. Le monde a évolué, Aujourd'hui nous avons
l’Empire romain sur le dos ; une puissance
terrifiante ! Une seule étincelle et c’est l’incendie. Jamais dans
notre histoire nous avons eu autant besoin de rester tranquilles. Ce n’est
pas en critiquant le roi, la propriété privée, les différences sociales
et les Forces armées que l’on va améliorer les choses. Réfléchis un peu.
Qui crée la richesse et assure la sécurité dans ce pays : les pauvres ou
les riches ? Penses-tu que c’est en coupant les vivres aux riches
que nous allons nourrir les pauvres et renforcer nos frontières ? Les
pauvres ne connaissent rien aux affaires. Nous n’allons quand même pas
mettre en leurs mains notre richesse nationale, notre sécurité et notre avenir.
D’ailleurs, quoi qu’on fasse pour eux, c’est peine perdue ; l’Écriture le
dit bien: « Des pauvres il y en aura toujours ».
Jésus n’interrompt pas le Grand-Prêtre. Il semble voir dans l'ombre Dieu
qui lui fait signe de ne pas trop s’en faire, parce qu’un jour, comme tous les
dinosaures, Caïphe disparaîtra. Donc Jésus se mord la langue et laisse au
pontife le loisir de poursuivre son discours sur ses thèmes de
prédilection :
- L’esprit de rébellion est l’œuvre du Diable.
-La violence ne sert qu’à augmenter la violence,
-Les pauvres ont faim, il est vrai ; cependant, ce n’est pas de pain,
mais surtout de paroles de paix, d’amour et de consolation dont ils ont
besoin. Et qu’ils travaillent, grand Dieu ! Le travail est l’antidote
naturel aux vices et aux idées bizarres. Justement, en ce moment il y a un
manque criant de main-d’œuvre dans les fermes, mais les pauvres lèvent le
nez là-dessus. Ce sont des paresseux !
-Ne pas se laisser ébranler par les lamentations des pauvres qui, de toute
façon, ne sont jamais contents. Ils sont pourtant plus riches qu’ils ne
pensent, et plus heureux aussi. Parfois, le Grand-Prêtre lui-même les envie.
-Quant à la
Bible et aux prophètes, là aussi, prudence ! La Bible est remplie
d’utopies de doux rêveurs et d’apocalypses créées par des extrémistes.
Opium pernicieux s’il en est ! Le critère pour ne pas se perdre avec
la Bible, ce n'est pas tellement la vérité comme telle, car souvent la vérité tue ;
c’est plutôt l'ordre et la paix dans la communauté. « Unité ! »,
voilà le fin mot de la Bible. Or seule une autorité forte est capable de faire
l’unité avec un peuple turbulent porté à se disperser et à s’égarer. Donc pour
bien comprendre la Bible et se situer dans la volonté de Dieu, la clé est
l’obéissance à l’autorité. Obéir à l’autorité, c’est obéir à Dieu.
-Et puis, ce qui importe finalement, ce n’est pas le changement de
structures, mais la conversion des cœurs. Voilà !
- Et bla bla bla…
Jésus reste coi. Il aurait envie de
dire à Caïphe que ses conseils sont ceux d’un cœur égoïste et lâche qui place
ses intérêts et ceux de son royal comparse à des années-lumière au-dessus des
intérêts du peuple… Mais à quoi bon? Caïphe et Hérode ont la conviction
solidement vissée dans le crâne que leur façon de penser leur est dictée par Dieu lui-même. Sur ce, Jésus se retire. Quelques
minutes après il rebondit dans le plus simple appareil tenant en main les
insignes d’honneur que le roi et le Grand-Prêtre lui avaient décernés; il les
leur remet en disant : « Reprenez ces chaînes qui vous
appartiennent. Toutes les choses que vous m’avez données, je les laisse
derrière moi. Plutôt que de croupir une seconde de plus dans ce palais, je
préfère retourner à mon étable! » À ces mots, il prend la clé des champs.
La suite de
l’histoire est connue. Jésus s’enfonce dans les souffrances et dans les rêves
des derniers de la terre et fait parmi eux des choses étonnantes, et très
touchantes. Sa popularité atteint des sommets. Mais les possédants, les
bien-pensants, les super-dévots et les dominants se chargent de tout saboter.
Incapables de le récupérer pour renforcer leur clique, les fondamentalistes
religieux et les radicaux armés se déchaînent contre lui. Tant et si bien qu’au
bout de deux ou trois ans, on
retrouve Jésus mort, pendu à une croix.
Hérode et
Caïphe sont là. Hérode soupire :
- Quelle
peine ! Je l’avais pourtant prévenu que cela finirait mal !
Caïphe
soupire à son tour :
- Quel
dommage, en effet ! Un jeune homme qui promettait tant !
- Que j'ai sorti du néant…, ajoute Hérode en écrasant une larme. Hélas,
il avait un côté rebelle qui l’a mené à des excès regrettables. Nous l’avons
trop gâté. De nos jours, la jeunesse est ainsi… Comme c’est triste !
-
Consolez-vous, mon frère, susurre le Souverain pontife en bénissant son roi.
Soyons magnanimes. Pardonnons à ce pauvre garçon qui s’est laissé ensorceler et
a joué avec le feu. Il a cru bien faire, mais au lieu d'unir le peuple,
il l'a divisé davantage. Seul le temps pourra effacer les dégâts
qu’il a causés. Retenons, cependant,
les belles choses que, dans ses moments de lucidité, ce cher Jésus a prêchées
sur l’amour. Ces idées-là, je les partage à 100% avec lui, car c’est bien
ce que moi-même je ne cesse de prêcher à temps et à contretemps: l’amour, la réconciliation, la paix…
Ce jour-là, au pied
de la croix, le bon roi Hérode et Caïphe pardonnent à Jésus ses nombreux
dérapages, et jurent de s’aimer plus que jamais comme des frères.
Fin
Notre petit
conte est terminé. Les mauvaises langues affirment qu’au moins 95% de
notre Église est plus proche de saint Hérode et du bienheureux Caïphe, que de
Jésus de Nazareth. ¿Toi, qu’en dis-tu?...
Eloy Roy
Décembre 1990- Septembre 2017
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