17 décembre 2013

GOODBYE, NELSON!


Tu as été un bon garçon, Nelson. Merci pour ce que tu as fait. Sois heureux à jamais!    


    "Nelson" par Eloy Roy
           
Pour te ressembler un peu il faudrait renaître, devenir des êtres nouveaux, comme toi, le jour où tu es sorti libre de tes 27 années de prison. Ce serait pour toute la Terre un Noël éternel. Mais déjà on se sent meilleurs à cause de toi, moins durs, plus ouverts, plus humains. Ta vie allume une douce lumière dans notre cœur.

Salue Jésus de notre part. Grâce à toi, on le connaît mieux. Tu n’as jamais été bavard à son sujet, mais tu faisais des choses qui lui ressemblaient.

Tu as donné au visage de Jésus des traits noirs qui lui vont à merveille. Comme toi il fut un lutteur hors normes avec un cœur grand comme le monde. Et son sourire était éclatant comme le tien.  Goodbye, Nelson!

Paix et amour à toutes mes sœurs et à tous mes frères de toutes les couleurs et de toutes les langues, de toutes les religions et de toutes les anti-religions, à tous les bons, à tous les méchants, et aussi  à tous ceux et celles qui zigzaguent entre les deux (dont moi-même et bien d'autres).

Paix et amour à ma famille, à mes ami-es, et surtout aux derniers de la terre comme ces bergers bédouins de Terre sainte qui n'ont pas le droit d'exister, ces réfugiés syriens qui meurent de froid dans le désert, ces prisonniers politiques oubliés qui pourrissent dans les geôles des "rouges" ou des "blancs", les Premières Nations du Québec, du Canada et du Chaco, les jeunes et les enfants qui se sentent de trop sur la planète. Comment ne pas rêver que tous ces humains qui souffrent l’insupportable sentent que sur terre quelqu’un les aime?

 À tous les pauvres, à tous les solidaires, à tous les "humanitaires", à tous les indignés, à tous les rêveurs, à tous ceux qui pleurent et à tous les missionnaires de la compassion, de la justice et de la libération, qu'une gigantesque vague de courage et d'esprit de justice déferle sur vous!

Qu'une immense vague de guérison, une vague d'amour inconditionnel, une vague de profonde paix nous rassemble et nous soude tous les uns aux autres dans la liberté et dans la joie!

UNE CONSCIENCE NOUVELLE ET UNE NOUVELLE HUMANITÉ
SE LÈVENT SUR LE MONDE
                       

                                         JOYEUX NOËL!

                                                                           Eloy Roy

             
SVP “féminiser” le vocabulaire au besoin. Merci.



CELLULE ET CRÈCHE






Nelson Mandela est mort. Celui que le monde entier salue comme le « sauveur » de son peuple, a été enterré vivant pendant 18 ans dans une toute petite cellule qui ressemblait à une tombe. Condamné comme « terroriste » et « traître à la patrie » par la Justice de son pays, le « libérateur » de l’Afrique du Sud aura passé en tout 27 ans de sa vie en prison. 

Cette étouffante cellule de Mandela dans la sinistre prison de Robben Island me  transporte comme par magie jusqu’à la pauvre crèche de Jésus à Bethléem. 

J’aime relire Jésus à travers Mandela. 

Ces deux hommes qui, au départ, étaient condamnés au néant, ont réussi par le dépassement d’eux-mêmes à repousser d’énormes frontières et atteindre l’universel. Ils ont passé à travers les barreaux, les bunkers, les cases à cocher, les normes, les  cadres de fer et les dogmes intouchables. Ils ont brassé les cages sociales, idéologiques, psychologiques et religieuses de leur pays et de leur temps. Ils ont mis en échec  la haine et la vengeance. Ils ont vaincu les prisons, les crèches, les croix et bien des tombeaux  qui  enferment l’humain sur lui-même et l’empêchent d’être.

Deux vies qui éveillent ce qu’il y a de meilleur en nous. Deux vies qui nous donnent du souffle, de la hauteur, et le goût de ne plus vivre comme des morts.

Les deux libérateurs ont aussi en commun d’avoir été trahis par plusieurs de leurs disciples, et non des moindres.  La société d’Afrique du Sud est aujourd’hui plus divisée que jamais entre une petite fraction de gens extrêmement riches et une immense majorité de personnes extrêmement pauvres. Et quand on regarde dans son ensemble l’Occident chrétien, on ne trouve pas non plus beaucoup de raisons de se réjouir. Loin d’être mort, c’est à échelle mondiale que l’Apartheid se renouvelle tous les jours.

Que la joie du temps de Noël ne nous empêche pas de prendre conscience que, sans justice sociale, la réconciliation et la paix que nous aimons tant s’en vont tout droit dans le mur.

                                                                           Eloy Roy




27 novembre 2013

LES MOUTONS DANS LA MAISON

Dans  La Joie de l’Évangile, que le Pape François vient de publier, je découvre sans  aucune surprise que la plupart des  « hérésies » dont j’étais suspect sont maintenant  des paroles papales à répandre dans le monde entier. Hélas, il aura fallu attendre que l’Église soit sur le bord de la faillite pour que cette bouffée de gros bon sens commence à la secouer. Ce n’était pas trop tôt. Je m’en réjouis.


MON DERNIER BLOGUE

J’ai vécu ce blogue avec bonheur, mais l’heure est venue de changer de disque. Depuis des années je laisse de côté des choses qui me passionnent. Je me dis toujours: « Je m’y mettrai quand je serai vieux. » Je ne sais pas très bien si je suis maintenant assez vieux, mais,  avant d'avoir envie de mourir, je tiens à ramasser mes énergies pour me consacrer à l’essentiel.  En quoi consiste cet essentiel?...  Il s’est laissé voir parfois un tout petit peu à travers mes modestes écrits,  mais, à vrai dire,  je n’ai jamais vraiment pris le temps de l’approfondir. C’est pourquoi  je veux désormais me consacrer à cette recherche.


Je remercie très sincèrement  les personnes qui m’ont accompagné dans l’aventure de ce blogue. Nous resterons encore unis, mais par d’autres canaux.  En signe d’amitié  je vous partage un dernier article où il est encore question de  bergers et de moutons… pour faire changement!


LES MOUTONS DANS LA MAISON





« Quand tu donnes un banquet, n’invite ni tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni de riches voisins… Invite au contraire les pauvres, les estropiés, les boiteux, les aveugles… » (Luc 14, 12-13)


À la Porte-de-Juella, les moutons sont libres comme l’air et passent les nuits à la belle étoile, tranquilles derrière les buissons. Le climat doux à l’année et la sécurité des lieux leur permettent de se passer d’une bergerie. Mais, depuis quelques jours, le loup rôde. Il  est venu pas plus tard qu’hier et a massacré trois moutons. Tant qu’il restera un mouton vivant, il reviendra. C’est la loi des loups.

C’est pourquoi, ce soir, le berger, sa femme et ses enfants se retirent de leur maison pour y faire entrer les moutons. Mais, avant de se retirer et de fermer la porte, le berger laisse une fenêtre ouverte. Pour le loup…

Pendant que les moutons occupent la maison, le berger et sa famille vont se tapir dans le buisson derrière le potager et bravent le serein en  s’enroulant dans leurs ponchos. Les plus grands tiennent en main une carabine, les plus jeunes, un bâton. Ils dorment d’un œil, et gardent l’autre sur la fenêtre de la maison. 

Le loup n’est pas pressé.  Les nuits se succèdent sans que rien ne se passe et, chaque soir, se répète le rituel : les moutons prennent possession de la maison, alors que le berger et sa famille vont se cacher dans le buisson.

Ce n’est qu’au bout de quatorze soirs que quelque chose, enfin,  se met à bouger. Une grande ombre se profile à travers les branches et se glisse silencieusement vers la maison remplie de moutons.

Les moutons s’agitent et se mettent à gémir. L’ombre est nerveuse. Elle flaire la présence du berger et devine ses intentions,  mais l’appel du sang est plus fort que tout.

Une fenêtre est ouverte : « Voilà ma chance! », pense le loup. D’un saut vif il va s’agripper à la fenêtre quand un puissant BANG déchire le silence de la nuit. Un coup de fusil est parti. Dans un bruit sourd, la grande ombre tombe par terre, se tord un moment puis s’étend de tout son long sur le sol. Le loup est mort.

Dans l’église, les bons bergers sont comme ça. Accompagnés de leurs braves fidèles, ils quittent de temps en temps leur église pour la remplir d’esseulé-es, d’appauvri-es, de gens de la marge. Cette église, après tout, appartient aux pauvres depuis que du haut de sa croix Jésus leur a accordé la première place auprès de lui.


Toutes ces bonnes gens qui,  avec ou sans pasteurs,  contribuent à mettre les derniers de ce monde  au centre de la société et aux premières loges de l’église, ce sont elles qui ont inspiré à Jésus le chant génial des Béatitudes. Car elles sont la preuve vivante que le Royaume de Dieu est en marche.


Jésus se reconnaît en elles et en eux, comme dans un miroir, lui qui a employé entièrement sa vie à chambarder « l’ordre » des loups. Évidemment, on l’a tué. N’empêche, il fut vraiment un bon berger.


                                                                                                                                                          Eloy Roy 

1 novembre 2013

UN PETIT HOMME QUI DEVINT TRÈS GRAND


                                                                                     
Luc 19, 1-10

Zachée est une créature corrompue à l’os. Il est collecteur d’impôts. Il suce ses concitoyens  pour le compte de l’ennemi romain qui colonise le pays. Il profite de sa fonction pour s’en mettre plein les poches en plus de toucher une alléchante commission de la part des Romains et de bénéficier de leur protection. Zachée n’a  trouvé rien de mieux pour devenir quelqu’un.

Car, depuis tout jeune, Zachée est bourré de complexes à cause de sa petite taille. Cela l’enrage. Tout le monde se moque de lui.  Son seul rêve, c’est de grandir. Plus qu’un rêve, c’est une obsession.  Mais comment faire? Personne ne s’intéresse à lui.

Alors lui est venue l’idée de se vendre, de se prostituer, de se coller comme une larve aux basques de ceux qui font la pluie et le beau temps dans le pays. Il lui importe peu qu’ils soient des ennemis pourvu qu’ils paient. Et c’est ainsi que Zachée, l’homme de petite taille, est devenu un traître pour son peuple et un personnage très riche qui, à défaut d’être aimé, est craint et haï de tout le monde.

Zachée, c’est une ordure, un mort vivant comme il y en a partout, même  à la tête des nations.  Sa maison est une forteresse impénétrable. Personne n’y entre.

Soudain un bruit monte de la rue. C’est Jésus qui vient. L’accompagne  une joyeuse troupe.

-      Jésus, le faiseur de miracles?  demande Zachée. Voilà ma chance d’ajouter une coudée à ma taille. On ne sait jamais. J’ai des sous…

Zachée ne tient plus en place. Poussé par son vieux rêve de grandir il bondit hors de sa forteresse et grimpe dans un arbre. Comme lorsqu’il était enfant... De là-haut, enfin,  il voit autre chose que les pieds des gens; il voit Jésus. Et Jésus voit cet homme petit, ce gros méchant, qui s’accroche à une branche et lui fait des signes.

-      Zachée, descends de là! lui crie Jésus. Je veux aller chez toi.

Le petit homme tombe à la renverse, comme si la fin du monde venait d’arriver.  D'un saut il est rendu au bas de l’arbre et s'empresse d'ouvrir la porte à Jésus et à sa joyeuse troupe. Certains n’entrent pas. La Loi des prêtres l’interdit. Mais Jésus et sa joyeuse troupe n’ont pas ces scrupules. Ils pénètrent avec leur joie, leur humanité, leur simplicité et leur liberté dans  cette maison  qui n’était qu’un tombeau. Ils la remplissent d’air frais,  et le cœur ulcéré du petit homme s’inonde de lumière.

Enfin du monde qui ne juge pas Zachée… C’est la première fois qu’une chose pareille arrive. Zachée  est si heureux qu’il en perd la tête.

-      Je donne la moitié de mes biens aux pauvres, s’écrie-t-il en prenant Jésus et ses amis dans ses bras. Et tout ce que j’ai volé, je vais le restituer en le multipliant par quatre!

Ce jour-là, Zachée est devenu un très grand homme.  On en parle encore aujourd’hui. On écrit des milliers de choses à son sujet, dont ces lignes que vous lisez présentement.

Ce qui sauve Zachée, c’est son cœur d’enfant. Ce cœur pur dormait sous un tas de douleur, de honte et de sottises.  C’était son trésor caché, sa perle précieuse, son être profond, son « vrai moi »… C’était l’image de Dieu, le Royaume, l’homme nouveau, le ressuscité qui sommeillait au fond de son être. Ce cœur  soudain a émergé du méchant Zachée parce qu’un jour quelqu’un l’a vu comme Dieu le voit.  Qui l’eût cru?

Dieu ne juge pas d'après les apparences…

                                                                                                                                                                        Eloy Roy 



11 octobre 2013

CHIEN PASTEUR



  «  Le voleur ne vient que pour voler, égorger et détruire… » 
                                                                        Jean 10,10

                                             
                                          


Une chose effrayante dévale la montagne en faisant  voler des nuages de poussière. On dirait une fusée poilue aux yeux de braise qui  crache la bave et montre des crocs effrayants.  Elle aboie comme un diable et saute dans les airs cherchant à nous avaler tout rond mon cheval et moi.

Cette chose est un chien pasteur, un chien berger,  qui garde les moutons, les défend, les protège. Qui ne laisse personne approcher du troupeau, pas un loup, pas une belette, personne sauf le berger des moutons. Jamais dans ma vie je n’avais vu bête aussi méchante, mais jamais non plus une bête aussi dévouée à d’autres bêtes.

Pour le transformer ainsi en redoutable défenseur de moutons, le chiot dès sa naissance est enlevé à sa mère et confié à une brebis qui l’allaite comme l’un de ses propres petits. De cette manière le petit chien, sans cesser d’être chien, devient frère des moutons. Sinon de sang du moins de lait. Devenu plus grand, il défend comme sa propre peau la peau de ses frères moutons.

Le Pape a dit aux prêtres : Soyez proches du peuple, proches des pauvres, comme un berger de ses moutons. Arrangez-vous pour sentir le mouton… 

J’ajouterais: inspirons-nous du chien à moutons.

Abandonnons ce modèle de petits professeurs et fonctionnaires de choses saintes sur lequel la plupart des prêtres de notre génération ont été taillés. Il faut changer ce look à tout prix, quoi qu’il en coûte aux Nicodèmes comme moi.

Libérons nos futur(e)s pasteur(e)s et agent(e)s de pastorale de nos anciens moules de type académique et monacal et permettons qu’ils se forment en se frottant aux gens de tous les genres, principalement les pauvres, les petits, les paumés, les exclus.

Qu’ils puisent l’inspiration de leur spiritualité dans ce que les blessés et les marginaux de la société vivent, souffrent et rêvent. Qu’ils se contaminent de leur douleur,  de leur colère et de leurs espoirs.  Que le vaste sous-monde des couches inférieures de la société soit leur monde,  et qu’il se colle à leur peau comme le monde du chien-pasteur à celui des moutons. Qu’ils bâtissent leur théologie à partir de là, au lieu de la recevoir cuite d’avance dans les cloîtres de nos instituts d’église.

Car comment seront-ils témoins de la Bonne Nouvelle de Jésus aux pauvres s’ils ne s’exercent pas à voir le monde avec les yeux du pauvre?

Ces futur(e)s pasteur(e)s doivent à tout prix apprendre à sortir les crocs pour défendre les appauvri-es. Ils doivent être prêts à avaler (avec cheval et tout) l’injustice qui, chaque jour, leur mange un peu plus de laine sur le dos. Ils doivent surtout appendre à détecter la grossière duperie du grand système qui se présente à l’humanité et à la planète comme le remède à tous les maux alors qu’il en est lui-même  la cause première.

Cette histoire de chien-pasteur, bien entendu, n’est qu’une métaphore. Les humains ne sont pas des moutons et le pasteur n’est pas un chien. Jésus, qui a dit « bienheureux les doux », ne verrait sûrement pas d’un bon œil que ses disciples soient transformés en bêtes féroces comme ce chien enragé que j’ai décrit plus haut…

Mais retenons au moins ceci : Jésus et les prophètes, qui ne dédaignaient pas les métaphores et dont le cœur débordait de  compassion et d’amour pour la paix, n’ont jamais eu peur de japper…

Nous aussi nous jappons parfois, mais qui effrayons-nous au juste: les loups dévoreurs de moutons… ou seulement les brebis qui ne bêlent pas comme les autres?

                                                                                                    Eloy Roy


17 août 2013

Lumière


                                                               LUCÍA

François d'Assise tomba amoureux de Dame Pauvreté et l'épousa



Lucía a l’âge des veilles femmes de la Bible. Elle est toute menue mais de haute taille. Sous des dehors qui cachent mal sa pauvreté, elle est encore droite comme un arbre.

Personne ne peut croire que cette femme si frêle a déjà été dompteuse de chevaux.

Et une infatigable danseuse.

Chaque année, autour de la fête de la Vierge du Rosaire, elle partait en courant vers le mont Sixilera où l’attendait la Mamita. Aux petites heures du matin, le « misachico » amorçait sa longue descente jusqu’à l’église du village. Cette randonnée  de vent, de poussière et de soleil de plomb durait au moins une douzaine d’heures, et frôlait souvent des sommets où les animaux eux-mêmes avaient peine à respirer. Tout au long du sentier de pierres chauffées par le soleil, Lucía allait nu-pieds et, au son de la musique des sikuris,  elle dansait à cœur joie en précédant l’image de celle qu’elle appelait « sa petite Mère ». D’après ce qu’on raconte, elle ne faisait que de rares pauses pour reprendre son souffle.

Depuis qu’une mort accidentelle lui a enlevé son fils unique, Lucía reste seule avec deux petits-fils déjà orphelins de leur mère, morte en donnant naissance au plus jeune. Pour nourrir ses petits, la vieille Lucía fait de menus travaux dans les champs des voisins.

Ses seuls biens sont cinq plants de maïs, deux petites poules de marque « bendy » et  une hutte de terre couverte d’une feuille de  tôle, au milieu d’une rivière desséchée. C’est là qu’elle se réfugie avec les deux enfants.

Un jour, je m’emmène chez elle avec Eduardo. Lucía est ravie de nous voir. L’intérieur de la maisonnette  est complètement nu et n’a pour chaises que trois anciennes caisses de bouteilles d’eaux gazeuses. Chacun de nous prend place sur une caisse. Nous étions certains que toutes ces caisses étaient vides, mais Lucía, avec des yeux malicieux,   allonge sa main sous la sienne et en tire une grosse bouteille de bière!

En rigolant comme de jeunes délinquants, nous ouvrons la bouteille.

-      Offrons un toast!, s’exclame Lucía.
-      À qui?,  demande Eduardo aussi fasciné que moi.
-      À mes deux amis.

Ces deux amis sont les petites statues de deux saints qu’éclaire une faible bougie dans un coin sombre de la pièce. Deux statuettes magnifiques dans leur niche peinte de fleurs : l’une de Saint Jean-Baptiste avec son agneau et l’autre de Saint Marc avec une petite vache.

-      Ce sont eux qui prennent soin de moi, nous confie Lucía d’une voix attendrie en pointant pieusement un doigt vers le ciel. 

Lucía n’a rien et donne tout. À Noël et à Pâques, elle fait la tournée de ses amis les plus chers pour leur offrir un petit œuf issu d’une de ses minuscules poules. Elle l’appelle son «œuf sacré ». Elle n’accepte d’être payée  que par un bisou,  comme ceux qu’on se donne à tout moment en Argentine. Car la joie de donner est son luxe à elle; c’est son grand trésor.  

« Lucía » veut dire « Lumière ».  Elle porte bien son nom, car elle rayonne en me disant:

-      Je ne manque de rien, mon petit père.  J’ai tout ce qu’il me faut. 

Dans la fente de ses yeux qui semblent voir l’infini, je crois voir écrit en  grosses lettres : «Seul Dieu suffit ».



                                                                  Eloy Roy

26 juillet 2013

LA MONTAGNE QUI PARLE



Les plus hautes montagnes sont intérieures. Celle de l’Ego est la plus escarpée de toutes et la plus dure à franchir… Mais « qui s’appuie sur le Seigneur ressemble au mont Sion: rien ne l’ébranle, il est stable pour toujours » (Ps 125, 1).

                                 




Jérémie a chaud, il a froid, il manque d’air. Il titube en avançant à la vitesse de l’escargot. Et le sentier tortueux qui promet de le transporter jusqu’à 4500 mètres au-dessus du niveau de la mer, lui paraît ne pas avoir de fin. Jérémie a le souffle court, il se traîne, mais ne s’arrête pas. 
                                                                                      
Il mettra vingt-trois jours à faire la tournée des petites communautés de bergers qui vivent éparpillés  dans la haute montagne à d’énormes distances les uns des autres. Les paysages spectaculaires qui le font planer au-dessus du monde, ne lui sont d’aucun secours contre le mal des hauteurs. Pas plus, d’ailleurs, que les  poignées de feuilles de coca qu’il s’épuise à chiquer dans l’espoir d’en tirer de la force pour ne pas lâcher.  Les maux de tête, les vertiges, les bourdonnements d’oreilles ne le quittent pas. Il est devenu un  zombie. Malgré tout, son cœur est dans la joie, car il marche à la rencontre des derniers, qui sont les premiers dans le Royaume de Dieu.

La Montagne fascine Jérémie autant qu’elle le déroute. Tantôt elle le regarde de haut avec une sombre froideur, tantôt elle lui tend les bras avec la tendresse d’une bonne amie.  Il va donc lentement en rêvant de tout et de rien,  quand soudain il se rappelle que, chez les anciens, on croyait  que les montagnes parlaient.  Il se  tourne alors vers son guide et lui demande à brûle-pourpoint:

- Est-ce vrai, Antolin, que les montagnes parlent ?

- Bien sûr, petit père!




Jérémie sourit et continue  son chemin. Mais après un long  moment de réflexion,  il s’arrête net, fixe des yeux la plus haute crête et, d’une voix assez faible pour que son guide ne l'entende pas, il murmure:

- Vas-y, Montagne, parle pour voir…

La Montagne ne bronche pas.

Une  légère honte monte au front de Jérémie. Il secoue la tête en soupirant, puis se remet en route.  L’enveloppe un silence total. Pas un bruit, sauf celui des cailloux qui crissent sous les pas des deux hommes et sonnent sous les pattes du petit âne et des deux mulets qui marchent derrière en soufflant.

À vrai dire, Jérémie n’est pas surpris de ne pas avoir entendu le moindre son tomber de la bouche de la Montagne.  « Les  montagnes, se dit-il, ne parlent certainement pas comme les humains.» 

Il ressasse longuement la chose dans sa tête, puis décide de faire appel à son cœur :

-      Mon cœur, toi qui comprends toutes les langues, s’il est vrai que les montagnes parlent, tu devrais pouvoir débrouiller leur langage. Prête l’oreille….

Il marche à pas lents en chiquant la coca, ébloui par le bleu profond du ciel que pas l’ombre d’un nuage ne ride. Il ne se lasse pas de contempler  les différents visages du paysage, ici désertique, rude, hostile, percé de pics rocheux, là s’étalant à l'infini comme un océan  de verdure tendre et lumineuse.

En se faufilant par d’étroits passages entre d’énormes masses de pierre,  ou en frôlant des abîmes qui donnent le vertige, Jérémie se dit à lui-même:

-      Mon vieux, si tu grimpes sur la crête du Zucho qui en ce moment  te reluque du haut de ses 5100 mètres,  tu seras un peu plus proche des étoiles, mais un seul faux pas au bord du gouffre  et, en moins de trente secondes, tu es cuit… 

À ce moment précis, le cœur de Jérémie se met à pomper avec force, puis commence à parler. Il dit à Jérémie tout essoufflé :

-      C’est vrai, Jérémie, les montagnes parlent. J’entends le  Zucho me dire des choses…

Il dit que la route de la vie traverse l’existence  comme un sentier de montagne. Elle est faite d’innombrables montées et  descentes et abonde en défis plus hauts et plus profonds encore que les sommets et les gouffres que tu as devant tes yeux.  

Quand tu regardes la montagne de loin, tu en vois une forme précise, mais à mesure que tu t’en approches, tout devient différent.   Il en est ainsi de la vie : elle  ne ressemble jamais à l’idée que tu t’en fais. Sans doute demeure-t-elle toujours la même, mais ses visages sont si variés que tu n’en finis plus de la découvrir.

Si tu crois toucher la cime de la montagne, elle s’éloigne, et lorsque, rendu à bout de force, tu te convaincs de ne jamais pouvoir l’atteindre, il se peut que tu la sentes comme à deux pas de toi.  La vie est comme cela aussi : plus tu es sûr d’en percer le secret, moins elle se fait connaître; ne peuvent la saisir que ceux qui ne cherchent pas à la posséder.


Jérémie emmagasine avec avidité ces paroles que la Montagne déverse sur lui,  tandis que son cœur refait le plein.  

Après une longue pause, celui-ci reprend le discours:

-      Dans la vie, comme dans la montagne, le plus court chemin n’est pas toujours le moins long. Pour aller vers la gauche il faut parfois faire un crochet à droite, et pour aller vers la droite, il faut passer par la gauche. Même si cela te paraît paradoxal, souvent pour mieux monter tu dois descendre, et pour mieux descendre tu dois monter.

Comme la montagne, la vie t’extrait du néant et t’attire vers le haut. Et vues d’en bas, les choses t’apparaissent souvent insurmontables, mais lorsque tu es rendu en haut, elles te font sourire. Une fois là, cependant, tu découvres qu’il reste encore beaucoup d’autres montagnes à franchir.

Tout comme la montagne, la vie peut plus d’une fois te sembler cruelle; c’est elle pourtant qui avec une patience inlassable supporte ton poids et soutient chacun de tes pas. Quoi qu’il t’en coûte, souviens-toi que c’est toujours elle qui te porte.

En montagne, qui n’avance pas recule, et qui ne monte pas déboule. Cette loi est  celle de la vie : elle est sans pitié pour ceux qui restent plantés à mi-chemin. De même, elle est implacable avec ceux et celles qui, après avoir touché le sommet, se laissent emporter par le vertige  des hauteurs.

En entendant ces mots, Jérémie revoit dans l’espace d’un éclair ces grands personnages de l’histoire qui, en un premier temps,  suscitent les plus beaux espoirs mais se  transforment en monstres dès qu’ils ont pris goût au pouvoir.  On en  trouve à toutes les époques, dans toutes les races, cultures et religions.  Ils abondent dans les plus hautes sphères de la société, et même plus bas. Aujourd’hui comme hier.

La Montagne reprend la parole et clôt son discours:

-      Au cas où tu ne l’aurais pas encore compris, l’expérience de la Montagne est celle du voyage intérieur de tout humain en quête de son être véritable. Cette expérience suit à peine un chemin différent de celui qui mène à la rencontre de Dieu.


Jérémie reçoit ces dernières paroles en frissonnant légèrement, mais il est aux oiseaux parce que la Montagne lui a parlé.

Tout en poursuivant sa montée silencieuse, il lui revient à la mémoire les nombreuses montagnes sacrées de la Chine, de l’Inde, de l’Amérique et de tous les continents avec leur flot de braves gens qui les gravissent  encore tous les jours en marchant sur des sentiers de pierres usées par les millénaires…

Il se souvient aussi des montagnes saintes de la Bible: le Sinaï, où Dieu parle à Moïse dans le feu et, dans une brise légère,  remplit Élie de son souffle; Sion,  l’humble  mont où est plantée la Demeure de Dieu; la colline de Galilée d’où Jésus fait couler la lumière des Béatitudes; le Thabor où les disciples sont frappés jusqu’à terre par le soleil qui s’échappe de l’enveloppe charnelle de leur Maître; le Calvaire, la triste colline, où l'amour extrême éclipse la lumière du midi. Enfin, la Résurrection de Jésus, sommet éblouissant de la grande Montagne de l'évolution, glorieux couronnement du cosmos par lequel l'univers pénètre en Dieu et Dieu dans l'Univers.  


Dans le monde andin on a toujours cru que sur les plus hautes montagnes vivent les Apu, seigneurs de ces lieux, et sur les montagnes moins élevées, les Auki.  Jérémie regrette que cette croyance sombre  dans l’oubli. Car il aime imaginer sur la pointe de chaque montagne un petit  être céleste assis à l’indienne, les bras croisés, chiquant coca, portant chullo, poncho, chuspa et ojotas, veillant attentivement sur les braves gens des hautes vallées, sur leurs maisonnettes et leurs animaux,  les protégeant des vents qui crachent des pierres, et aussi des bêtes qui dévorent les moutons et des neiges qui barrent les chemins et glacent les rêves.  

Il est évident que la Bible officielle ne connaît pas cette espèce d’anges, mais il suffit  qu’ils soient bienveillants et que les petites gens aient foi en eux pour que Jérémie les tienne pour réels et bénis de Dieu. Car selon lui, le Bon Dieu a écrit dans le cœur de chaque peuple une Bible qui complète l'autre.

Dans l’inconscient des peuples, en effet, il est inscrit depuis toujours que plus un lieu est haut plus il est proche du ciel et des dieux. On suppose que c’est là que la Divinité établit ses quartiers quand elle descend sur terre pour visiter les humains. Ne s’approchent de ce lieu hautement sacré que les « initiés », les consacrés et les fidèles dont les bras sont chargés d'offrandes. C’est le lieu où les humains montent vers Dieu. Le lieu où le Ciel se marie avec la Terre, et où la Divinité et l’Humanité ne forment plus qu’une seule chair.

Il n'y a pas de religion sans l'effort de s’extraire de la boue pour se laisser soulever vers le haut. Pas de religion sans sortir de sa prison mentale et charnelle pour tenter de toucher au moins le bout du manteau de  l’invisible Divinité. Il n'y a pas de religion sans une certaine forme de croix, sans un certain arrachement à soi-même, sans une certaine plongée dans le noir,  ou sans une foi profonde et un incommensurable espoir.

On sait bien que Dieu n’est ni en haut ni en bas et qu’il est plus proche de nous que nous de nous-mêmes. Nous savons aussi que ce sont nos vides, plus que nos dons,  qui touchent son cœur. Mais il est difficile de comprendre la grande Bible, pense Jérémie,  si on ne traverse pas la vie comme un pays de hautes montagnes, sautant de ravissements en dépressions et de gouffres en plages de lumière, pour pouvoir capter, au-delà de tout horizon, une étincelle de ce que nous sommes en vérité et de ce qui nous attend au terme de la longue aventure de l’humanité.

Nous entrevoyons, en effet, qu’un jour viendra où il n’y aura plus de montagnes à franchir : elles « fondront comme cire devant le Maître de toute la terre, et sa justice sera proclamée à toutes les nations » (Ps 97, 5). « Toute vallée sera comblée, toute montagne et toute colline abaissées; tout précipice deviendra une plaine et les escarpements une vallée; alors la Gloire du Seigneur se révèlera et toute chair la verra » (Isaïe 40, 4-5).



                                                                  Eloy Roy





                                                                         


                                                                         





19 juin 2013

LE CRUCIFIX DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE



« Il sera un signe en butte à la contradiction » (Luc 2, 34)


Dans le Québec d’autrefois le crucifix était roi. Il était  la marque d’appartenance à l’Église catholique. Pour certains il n’était qu’une simple décoration ou un objet de superstition. Pour bien d’autres, il était le symbole vénéré de l’amour extrême de Dieu pour l’humanité, ainsi qu'il est écrit dans l’évangile : « Dieu a tant aimé les humains qu’il leur a donné son Fils unique, non pour les condamner, mais pour les sauver » (Jean 3, 16-17). 

Mais dans le Québec d’aujourd’hui, les crucifix ont pratiquement disparu. On n’en  trouve que dans les églises, les maisons religieuses et quelques rares foyers. Ou dans des musées. 

Chose curieuse, le salon bleu de l’Assemblée nationale n’a pas perdu son crucifix. Par un miracle dont seule la politique a le secret, il exhibe toujours son crucifix, bien accroché au-dessus du fauteuil du Président. Il n’a pas bougé depuis des années. Pour combien de temps encore? Nul ne le sait. Pour le moment, il divise les Québécois en deux camps qui se crêpent le chignon comme un tas de coqs  dans un même poulailler.

D’un côté, les tenants d’une laïcité stricte de l’État réclament sans pitié la tête du crucifix. De l’autre, des croyants ou non croyants, qui reconnaissent dans ce symbole religieux tout un passé qui a contribué largement à forger l’identité culturelle de la nation, tiennent mordicus à ce qu’il reste là.

Je demande à Jésus ce qu’il en pense. Il me répond tout de suite,  sans montrer aucun signe de vouloir brandir contre la laïcité les foudres de la divinité. Au contraire, il est tout sourire et semble me dire:


        -  Tu sais bien que je ne vis pas dans les crucifix...

Je vis dans le génie du peuple de ce pays qui a grandi comme un grand arbre et  résisté à tous les vents. Ces dernières années, des branches d’essences nouvelles sont venues nombreuses se greffer sur lui. J'aime les racines de ce peuple capable de porter la vie et l’avenir de tant de monde.

J'aime la liberté, la créativité et l’impétuosité qui marquent sa jeunesse. J'aime la justice qu’il ne cesse de chercher. J'aime sa compassion et ses élans de solidarité. J'aime les facettes nouvelles qui donnent à son visage des airs de famille avec toute l'humanité… 

Je vois que Jésus a de l’affection pour les braves gens qui désirent honorer Dieu en défendant  les symboles de leur passé religieux : « Sans les racines, insiste-t-il, il n’y a pas d’arbre ». Par contre, il semble souhaiter que tout le monde revisite cette page de l'Évangile où il est dit que la vie, l’avenir et même le salut ne se trouvent pas dans les vieilles outres, ni dans le raccommodage de vêtements qui ne se portent plus (Marc 2, 21-22).

Pour aller plus loin :

Le crucifix est d’abord l’image de cet homme réel, appelé Jésus, qui a été cloué à une croix. Par qui? Par les chefs religieux et le pouvoir colonial de sa nation.

Pour quel crime?

Celui d’avoir incité son peuple à se débarrasser de la peur chronique dans laquelle le fondamentalisme religieux et le cynisme de ses dirigeants le tenaient garrotté.

D’abord accueilli comme un messie et même acclamé comme un dieu, il n’a pas tardé à décevoir. Les gens du petit peuple qui s’attendaient à ce qu’il leur bourre la panse et résolve tous leurs problèmes sans devoir changer leur mentalité d’esclaves, lui ont tourné le dos. Ceux qui croyaient que la seule façon de changer les choses était de prendre les armes, l’ont rejeté.  Et ceux qui prétendaient qu’il fallait plutôt se tourner vers la religion en en pratiquant les moindres détails, l’ont simplement pris pour un démon. À la fin Jésus est resté seul. Et on le tua.  


Malgré cet échec,  et en dépit de bourdes sans nom commises par les nombreux faux disciples venus après lui, cet homme continue d’être une source d’inspiration inégalée pour les humains qui cherchent à vivre en liberté dans un monde de justice et de fraternité. Et il l’est tout autant pour beaucoup de gens qui espèrent encore que la mort ne soit pas le  dernier mot sur la vie.

La relation intime avec le Dieu vivant a été le grand secret de la vie de Jésus. De cette source ont jailli les idées-forces qui l’ont guidé  sur son chemin et ont triomphé avec lui de l’ultime épreuve de la croix. Parmi elles, nous retiendrons celles-ci :

Toute loi, même celle que l’on croit marquée de l’autorité suprême de Dieu, n’est pas vraiment de Dieu si elle accable au lieu de rendre libre.

Aucun pouvoir n’est légitime s’il se sert des humains au lieu de les servir.   

Dieu ne remplace pas l’État et l’État n’est pas un dieu.

Les femmes, les enfants, les personnes et les peuples traités comme inférieurs jouissent de la même dignité et des mêmes droits que les individus et les groupes qui s’estiment supérieurs à eux.  

Tout être humain : étranger, ennemi, pécheur, criminel, brisé dans son corps ou dans son esprit, a droit à être traité avec respect, justice et bonté.

Toutes ces grandes activités de la vie comme la culture, l’économie, l’art, la science, l’éducation, la santé, les communications, la politique, la morale et la religion, si elles ne mettent pas la personne humaine et le bien commun au centre de leurs préoccupations, loin de diminuer les souffrances de l’humanité, risquent grandement de les aggraver.  

Tout ce que l’on fait au dernier des humains, est fait à toute l’humanité; et,  pour ceux qui croient en Dieu, c’est  à Dieu lui-même que cela est fait.

Combattre un mal par un autre mal est le moyen le plus sûr de finir par se laisser avaler par le néant.

Le Dieu vivant n’est prisonnier d’aucun temple, car il n’a pas d’autre demeure que les êtres humains; et il n’a pas de plus grande joie que de les voir s’aider à se tenir debout.

Toute dictature, même celle qui semble vouloir se légitimer par le Progrès, la Religion ou la Paix, est hypocrite et criminelle; tôt ou tard elle engendre corruption, aliénation et misère et doit être chassée à coups de fouet. (Ceci s’applique, bien sûr, à la dictature du Marché des plus grands escrocs du monde qui se font une joie de saccager le grand Temple de la Terre sous le prétexte absurde d’en assurer l’avenir…).

Le vrai Progrès est celui dont les bienfaits s’étendent  à tous les hommes et à toutes les femmes de la Terre, et non seulement à une poignée d’hommes et de femmes qui possèdent déjà plus de biens que tous les pauvres de la planète mis ensemble.

La vraie Religion consiste à aimer gratuitement, car c’est gratuitement que Dieu aime tout ce qui est.

La vraie Paix, la seule qui mérite ce nom, est celle qui se construit sur la justice et qui a en horreur toute forme de mensonge.


Pour avoir vécu en accord avec ces principes et pour les avoir propagés, Jésus est torturé et condamné à la croix comme un rebelle, un scélérat et un apostat. Voilà ce que signifie le Crucifix.

Un homme, en qui certains voient le Fils de Dieu, est rejeté parce qu’il remet en question la façon très étroite et peu humaine dont nous, les humains, avons l’habitude de voir les choses et de nous gouverner.  

Très souvent nous préférons nous accrocher à nos crucifix plutôt que de prêter attention à ce qu’ils signifient.

Ou carrément nous nous débarrassons de ces crucifix parce que trop longtemps ils ont été utilisés pour sanctifier tout le contraire de ce qu’ils signifiaient.
                                                                           
                                                                                             Eloy Roy




22 avril 2013

LES « TWEAKS » + JÉRÉMIE ET LES MUETS

LES « TWEAKS »


Bravo à mon petit-fils argentin, Ezequiel Escobar, et aux quatre autres étudiants en génie informatique du groupe Tweaks  de Jujuy! Grâce à uSound,  la géniale application qu’ils viennent d’inventer pour les téléphones cellulaires, ce sont les oreilles de millions de malentendants qui vont découvrir une vie nouvelle. Avec cette invention, les Tweaks ont remporté la première étape de la compétition internationale « Imagine Cup » de Microsoft, au niveau de l’Argentine et de l’Uruguay, contre six équipes des meilleures universités de ces deux pays. Ce triomphe les conduira à St-Pétersbourg, en Russie, en juillet prochain, pour la ronde finale où ils se mesureront à 70 équipes qui se sont classifiées à la suite de compétitions auxquelles ont participé 300 000 étudiants de plus de 140 pays. – « Vous avez dit que ces Tweaks viennent de … quel endroit? » - « Des quartiers populaires de San Salvador de Jujuy, en Argentine!- "Subventionnés sûrement par le gouvernement, l'université, des entreprises?..."- "Jamais de la vie! Tout ça est sorti d'eux seulement, de leur audace, de leur créativité, de leur talent, de leur travail acharné, dans la joie et en tirant le diable par la queue!»




JÉRÉMIE ET LES MUETS 



Marc 7, 31-37


On disait des gens de Pilcara qu’ils étaient muets comme des roches.  En  arrivant là, Jérémie s'est proposé de changer cela, « parce que j'ai été envoyé, disait-il, pour que les aveugles voient, que les sourds entendent et que les muets parlent.» 

Ainsi parlait Jérémie:

Pendant des siècles, on nous a forcés à nous taire. On nous disait: « Ferme-toi! De ce que tu vois, tu entends et tu penses, pas un mot!  À ceux qui te demandent quelque chose, tu leur réponds: « Oui, patron, oui, madame, oui Monseigneur.» S'ils te demandent comment tu es, réponds toujours : «Bien». Rien de plus. C’est simple : si tu veux survivre, fais comme si tu étais aveugle, sourd ou muet. Agis comme si tu n'existais pas. Fais le mort...  Comme ça, tu n’auras pas de problèmes. »

Heureusement, de nos jours, les choses changent. Mais beaucoup font encore comme s’ils ne voyaient rien, n’entendaient rien ou n’avaient rien à dire. Pourquoi? Parce qu’il y a encore de la peur. Parce que beaucoup parmi nous continuent de penser que seulement les gens importants  ont le droit de parler. Qu’eux seuls  ont des droits. Nous non.  Parce que nous ne sommes propriétaires de rien, ou de pas grand-chose, nous croyons encore que nous ne sommes rien.  Jetons un coup d’œil à notre histoire :

- À l'époque des Incas, croyez-vous que les gens avaient la liberté de dire ce qu’ils pensaient? …
- Au temps de la conquête et de la colonie espagnole, croyez-vous que le peuple (en particulier le peuple indigène), avait le droit de donner son opinion?
- Même maintenant, après deux cents ans d'indépendance, est-il toujours facile pour le peuple (en particulier pour les indigènes) de parler librement?
- L'Église nous a enseigné autant comme autant que Jésus ouvrait les yeux des aveugles, faisait entendre les sourds, et parler les muets ; mais, en fait, nous a-t-elle jamais encouragés à nous exprimer, à parler, à juger, à penser par nous-mêmes, et à dire autre chose que « Amen » ?…

Est-ce bon pour la santé de passer notre vie à nous taire ? Pourquoi Dieu nous a-t-il donc donné deux yeux, deux oreilles et une langue ? Il est vrai que l’on peut tuer avec la langue, mais pouvons-nous vraiment vivre comme des humains si on ne parle pas? …

Dieu parle, oui ou non ? … Bien sûr, sinon nous n'aurions pas la Parole de Dieu. Or, c’est justement par sa Parole que Dieu a fait toutes choses. Sans elle il n'existe rien, et tout existe grâce à elle, écrit l’évangéliste Jean. Elle est lumière, elle est vie, elle est puissance créatrice de Dieu. Elle s’est faite chair en Jésus pour qu’à notre tour, nous,  les humains, nous devenions lumière, que nous ayons la vie et que nous soyons des créateurs.  (Jean 1, 3-4.14)
  
Ne sommes-nous pas des images de Dieu ? Alors, parlons ! Faisons exister les choses ! Faisons exister notre vie! Cessons de vivre comme des morts !

Il faut réapprendre à parler. Jésus veut cela, même si nous ne savons pas trop comment faire. Au début, nous serons forcément gauches,  un peu comme les enfants qui commencent à peine à parler. C’est pourquoi, nous devons nous pratiquer entre nous, en toute confiance, en nous donnant le droit de nous  tromper. Seuls les morts ne se trompent jamais.

Quand, en se frayant un chemin à travers la foule, on amène à Jésus un pauvre homme qui était sourd et qui grognait au lieu de parler, Jésus  le prend à part pour qu’il s’exerce  à parler. Il l’amène assez  loin des curieux  pour que personne ne vienne se moquer de lui et lui crier: « Tais-toi, tu ne sais pas parler ! Tu n’es qu’un ignorant ! Tu n’as même  pas été à l’école. Tu n’es qu’un cruchon!  Tu ne vas quand même pas prétendre que tu comprends quelque chose à la Parole de Dieu!...»…

Jésus aborde avec grande humanité le sourd qui ne savait que grogner. D’abord il le guérit de sa surdité, car pour apprendre à parler il faut d’abord pouvoir écouter. Ensuite il lui montre à bien parler en lui disant: « N’aie plus peur, mon ami! Parle car il y a de la  sagesse en toi. Parle, parce que tu comprends mieux certaines choses que bien des savants. Parle, parce que seuls des gens qui ont souffert comme toi peuvent comprendre Dieu et les humains…  Je te bénis, Père, d’avoir fait connaître aux petites gens bien des choses qui échappent à ceux qui croient tout savoir! » (Marc 7, 31-37; Luc 10, 21).

En organisant toutes sortes de rencontres joyeuses, Jérémie encourageait les bonnes gens de Pilcara - qu’on disait muets comme des roches- à oser parler de leurs choses, de leurs sentiments, de leurs peines, de leurs rêves, de leur colère, de leurs échecs, de leurs goûts, de leurs doutes, de leurs amours. De leur histoire surtout et de leurs bons coups. Et de ce qu’ils connaissaient de Dieu et  de sa Parole.

Jérémie leur expliquait  que la  Parole de Dieu que l’on trouve dans la Bible était, en réalité, la parole toute simple de gens comme eux, souvent très pauvres et soumis à de dures épreuves. Pendant de nombreux siècles ces gens se sont efforcés de déchiffrer le langage de Dieu dans la Nature, dans les événements de leur histoire et dans leurs expériences de vie. Ils ont d’abord regardé avec leurs yeux, puis ils ont beaucoup réfléchi et prié. Ensuite ils ont longuement parlé entre eux de leurs trouvailles.  Finalement, tout cela a été mis par écrit.

À nous de faire la même chose, disait Jérémie. Car Dieu n’a pas parlé seulement dans le passé, mais nous parle encore aujourd’hui, pour continuer de nous créer, nous éveiller, nous éclairer, nous réconforter, et pour faire encore des merveilles parmi nous.  Il nous a parlé par Jésus et il nous parle encore par lui. Écoutons sa parole.

Écouter, sans tout gober toutefois, prévenait Jérémie. Car, dans la Bible, il y a du bon grain mais aussi des tas de cailloux. Il ne faut pas avaler les cailloux. Il faut trier, prendre d’abord ce que l’on comprend et ce qui peut nourrir notre cœur,  et prendre ensuite seulement ce qui libère de la peur et de tout esclavage. Parfois il faut même se battre avec la Parole, comme Jacob avec l’ange, comme Job contre Dieu lui-même, comme Jésus en plein désarroi qui crie à Dieu: « Pourquoi m’as-tu abandonné? »…

Jérémie rappelle par ailleurs que si le silence est meilleur que la parole, comme l’affirment les sages, tout silence n’est pas bon. Autrement Jésus n'aurait délié la langue d’aucun muet.

Ainsi donc parlait Jérémie, et voilà qu’à Pilcara beaucoup de langues se sont déliées. C’était beau d'entendre cela. Une cacophonie parfaite!… Même son cher ennemi et successeur, le vieux curé teuton,  l'a reconnu. Un jour, en le croisant dans la rue, le Teuton s’est jeté avec bruit dans ses bras et s’est exclamé entre admiration et stupeur : « Jérémie, tu as fait un miracle incroyable : tu as fait parler les roches de Pilcara ! Mais… maintenant… »…  Sur ces mots, il est parti sans terminer sa phrase.

Mais maintenant… « il faut leur fermer la boîte!… ». Voilà les mots qui étaient restés sur le bout de la langue du Teuton. Ses actions ultérieures l’ont démontré à profusion. Par exemple, dans sa catéchèse de préparation au baptême, il mettait parents et parrains en garde contre la Bible : «Moi qui ai étudié à la Grégorienne de Rome, je ne comprends pas la Bible, et vous qui n’avez même pas fait une deuxième année d’école primaire, vous croyez y comprendre quelque chose?... Répétez après moi: ‘Je ne suis qu’un cruchon!’…  Répétez, je vous dis, et plus fort, je n’entends rien! »…

C’est comme ça: certains sont envoyés aux muets pour les faire parler, et d’autres pour les faire taire.

                                                                  Eloy Roy

  OPTION JOIE! Le monde est à l’envers. Notre planète s’en va chez le diable. Comme lave de volcan des fleuves de sang coulent sur les f...