31 mars 2015

DE LA MORT À LA VIE





Il s’est identifié à nous
en tout.
Dans sa chair
il a pris nos dislocations
et refait
nos liens brisés.
Par son sang
il nous a reconnectés
à nous-mêmes.
Par sa parole et son souffle
il a rétabli le courant
entre les humains,
le cosmos et Dieu.
Il nous a renoués
avec le Tout.
                 
                                              La conscience profonde, elle seule,
                                                          sait que cela est vrai.

   Une Humanité nouvelle est en marche


                                                             ELOY ROY   

23 mars 2015

CONNEXION JPG ET LE SAMARITAIN - Jean-Paul Guillet



Action missionnaire de
JEAN-PAUL GUILLET, p.m.é.,
à la lumière d’une Parabole


                 « Toi qui es bon pour faire des connections »…
         lui dit le supérieur avec un petit sourire en coin

Par: ELOY ROY


En ce temps-là, il y a de cela 60 ans, il n’y avait pas d’ordinateur, pas d’Internet, pas de Facebook, pas de Tweeter, pas de téléphones intelligents ni de téléphones cellulaires. Dans le Sud du Honduras, pour 400 000 habitants, il y avait à peine le télégraphe et quatre ou cinq téléphones qui cafouillaient. Dieu vit la chose et il se désola. Un peuple si peu « connecté » et si dispersé dans les montagnes devait être malheureux. Il en eut de la peine.

Mais Dieu vit qu’il y avait la RADIO. Alors il jeta les yeux sur son serviteur, Jean-Paul Guillet. Il le combla d’une foule de talents et le dota du don particulier de faire des « connexions » avec les fils électriques. Il lui ajouta un goût prononcé pour l’Évangile de Jésus, pour les microphones, les caméras, les audiovisuels, les films, la musique. Et Dieu envoya son serviteur Jean-Paul à Choluteca avec la mission de « connecter » tout ce bon peuple.

Alors, en janvier 1959, le  jeune Jean-Paul, prêtre de la Société des Missions-Étrangères du Québec, atterrit à Tegucigalpa, sauta dans un camion-bus, soit une « baronesa » pleine à craquer de passagers, de bagages et même de quelques animaux, et alla s’échouer dans les vapeurs de la « Sultane du Sud », après avoir tardé neuf longues heures à franchir les 145 km qui le séparaient de l’aéroport Tocontín.

Sur sa Vespa, avec son accordéon en bandoulière ou dans sa fourgonnette Volkswagen, ce prêtre débordant d’énergie a vite été perçu par le petit monde de Choluteca comme un homme pas mal dans le vent.

Il fit d’abord des baptêmes en série comme tout bon  missionnaire. Il sillonna les montagnes à dos de mule pour accompagner les malades dans leurs derniers moments. Il connut la corvée des fêtes patronales dans de nombreux villages de la campagne. Puis, aux côtés des Guillaume Aubuchon et des Henri Coursol et quelques autres compagnons, il s’est attelé à la tâche de regrouper autour de dirigeants en herbe, de grandes portions de cette population morcelée.

En puisant dans les abondantes eaux de la religiosité populaire, ces pionniers de la mission ont mis au monde des mouvements aussi traditionnels que l’Apostolat de la prière,  la Légion de Marie et les Chevaliers Catholiques. Mine de rien, ces petites organisations allaient fournir les premières pierres d’un énorme chantier qui franchirait bientôt les murs des chapelles et transformerait des milliers d’humbles laïques en  agents d’un énorme changement dans leur société.

La grande aventure de la Radio

La mission plus personnelle de Jean-Paul commença  à vrai dire le jour où, ayant  accroché des haut-parleurs aux clochers de la vénérable église de Choluteca, il les fit parler. Ce fut la  sensation dans la petite ville. Les gens étaient ravis  d’écouter leur propre musique et d’entendre des voix connues parler de choses proches de leur réalité. Vinrent ensuite les attrayantes projections d’audiovisuels sur les murs des chapelles des petits villages de la montagne. Partout des personnes qui hier encore étaient plutôt muettes, se surprenaient tout à coup à dire des choses, à commenter, à participer...  Jean-Paul savourait déjà le grand bonheur de rendre la voix aux sans voix et de la « connecter » avec la voix du plus célèbre homme du peuple de l'histoire : Jésus de Nazareth.

Après quatre années à Choluteca, Jean-Paul fut envoyé à la capitale  pour prendre en charge la paroisse de la Guadalupe.  À peine arrivé sur les lieux, Evelio Domínguez, l’évêque auxiliaire de Tegucigalpa, demanda à Guillaume Aubuchon, supérieur de la SMÉ au Honduras,  de lui prêter un prêtre pour diriger un projet « d’Écoles radiophoniques » à la Voz de Suyapa, la radio catholique du Honduras. Personne ne savait  de quoi il s’agissait au juste, ni Evelio Domínguez qui n’en avait qu’une idée extrêmement vague, ni Guillaume Aubuchon, ni Jean Paul lui-même. Avec un petit sourire moqueur qui en disait long,  Guillaume parla de la chose à Jean-Paul: « Toi qui es bon pour faire des connexions, tu pourrais peut-être dépanner »…  C’est donc uniquement armé de ce « prestigieux » diplôme et d’un encouragement aussi chaleureux que Jean-Paul plongea tête première dans le projet des Écoles radiophoniques et devint l’architecte et ingénieur de ce qui fut très probablement l’œuvre maîtresse de la mission de la SMÉ au Honduras,

Jean-Paul,  quelques années auparavant, avait déjà eu vent que quelque part en Colombie, à Sutatenza plus précisément, il existait  des « Écoles radiophoniques » dont on disait qu’elles faisaient des merveilles chez les paysans. Il s’était dit alors: « C’est ça qu’il nous faut au Honduras! ». Et maintenant voilà que son souhait avait envie de se réaliser, mais à condition que lui-même invente tout. Il fit donc un saut du côté de Sutatenza pour y chercher inspiration et  il fut fasciné par ce qu’il vit là-bas.

Dès son retour à Tegucigalpa, « l’homme des connexions »  s’entoura d’une équipe de professionnels et d’un groupe de jeunes emballés par l’idée. Un comité de soutien, qu’on appela « Acción Cultural Popular Hondureña »,  fut mis sur pied; les  rêves furent partagés et les tâches distribuées. Après quelques mois de travail ardu, les Écoles radiophoniques entraient en ondes.

Commençait alors une aventure qui devait mettre littéralement  au monde des centaines de milliers de paysans, en majorité analphabètes, qui  depuis toujours se trouvaient privés de moyens élémentaires pour grandir comme familles, comme producteurs agricoles, comme artisans, comme citoyens engagés, comme chrétiens et tout simplement comme personnes conscientes, libres et responsables de leur destin.  

Les Écoles Radiophoniques pénétrèrent partout où les ondes réussissaient à se frayer un chemin  dans ce labyrinthe de montagnes qu’est le Honduras. Elles répandirent lumière et souffle. Elles popularisèrent des moyens techniques, concrets et  pratiques afin que les braves gens des campagnes puissent se développer dans les domaines les plus essentiels de leur vie.

(Comment fonctionnaient les Écoles Radiophoniques? Voir  « *Note 2 »  plus bas).

Les virées

Pour ouvrir le chemin aux Écoles radiophoniques, Jean-Paul sauta dans son mini bus Volkswagen qu’il tenait bourré d’équipement et de matériel didactique, et se lança dans la tournée des principales régions du Honduras. Il allait, disparaissait, s’effaçait, revenait, il était partout. Souvent on l’entrevoyait au cours  de brèves saucettes à Choluteca, plus précisément dans les montagnes du  Corpus, où il allait  vérifier sur le terrain comment tout fonctionnait.

Une petite « université » populaire : la Colmena

Une chose appelant l’autre, en 1965, Jean-Paul fonda à Choluteca, le Centre La Colmena (La Ruche), pour aller plus loin dans la formation  des petits dirigeants issus de toutes les organisations populaires qui poussaient partout. Les moniteurs des Écoles radiophoniques, les responsables de petites coopératives et de syndicats naissants, les promoteurs de la santé et, plus tard, les animateurs des Célébrations de la Parole ont trouvé à la Colmena la petite « université populaire » qu’il leur fallait pour grandir et déployer leurs ailes à un niveau qui allait dépasser les plus beaux espoirs.  

Le contenu de ces programmes élaborés par Jean-Paul lui-même, aidé parfois de quelques collaborateurs, collait à la vie des petites gens. La pédagogie employée rompait avec les vieux schémas: elle était essentiellement participative et non directive, toujours enracinée dans le vécu et orientée vers une pratique communautaire très concrète. On parlait alors de pédagogie « libératrice ». Et aussi  d’une théologie du même nom puisqu’on y abordait l’évangile de Jésus de Nazareth, non comme une doctrine ou une morale, mais comme la rencontre réelle du Dieu vivant - celui qui, en Jésus ressuscité, libère même de la mort - avec son peuple du Honduras souvent forcé de relever des défis surhumains pour simplement survivre.

Pour Jean-Paul, l’expérience de la Colmena a été comme arriver au sommet de l’Everest. Elle lui a apporté l’immense joie de voir des centaines de personnes qui se croyaient rien ou si peu de chose, fleurir comme de grands arbres sous le  soleil de Dieu à la veille de la saison des pluies. Ce fut la grande récompense de sa vie.

Le choc

Tout, cependant, n’a pas été couleur de rose. Parmi les tenants de la bonne vieille église centrée sur la piété et le culte,  Jean-Paul, naturellement, n’a jamais reçu le moindre appui. Et encore moins de la part des grands propriétaires terriens. Ces hommes à la gâchette facile, adeptes de tous les gouvernements militaires, ne voyaient dans les paysans qu’une source de main d’œuvre à bon marché. Comme il se devait, Jean-Paul, par ses programmes à la radio et par ses sessions à la Colmena,  battait en brèche cette vision des choses. Or, lorsque les paysans,  un bon jour, démontrèrent par quelques initiatives passablement éclatantes qu’ils n’étaient plus dupes des grands propriétaires, ces derniers signalèrent Jean-Paul comme le grand coupable de leurs maux et mirent sa tête à prix. Montant fixé : $250 US dollars. Une aubaine!


Radio Paz

Jean Paul quitta La Colmena et garda profil bas jusqu’à ce que les esprits retrouvent leur calme. Puis, à la demande de Marcel Gérin,  maintenant évêque de Choluteca, il créa une station radiophonique diocésaine qu’on appela  « Radio Paz ». Entretemps, tout en mijotant des projets pour la lointaine Afrique,  il  organisa des échanges de solidarité entre les diocèses de Gatineau et de Choluteca et entreprit de faire du transport…

Il fit au moins quatre voyages de camion à Choluteca depuis  Montréal,  au Canada,  et trois ou quatre autres depuis San Francisco, en Californie, pour transporter un matériel usagé pouvant encore servir aux installations du Honduras. Ce matériel, recueilli par des amis  du Québec, (de Radio-Canada, en particulier)  ou de la Californie, fut utilisé pour équiper des stations radiophoniques et assembler des antennes dans différentes régions du Honduras comme Olancho, El Progreso, Santa Barbara, Santa Rosa de Copán, Comayagua ainsi qu’à Choluteca, bien entendu. La plupart de ces voyages à travers le Canada, les États-Unis, le Mexique et la moitié de l’Amérique centrale, Jean-Paul les effectua tout fin seul, chaque fois avec un nouveau camion de seconde main qui, semble-t-il, marchait encore…


Crise d’Olancho

Nous sommes en 1974. Les paysans sont gonflés à bloc. Depuis quelques années,  différentes organisations tentent de récupérer les terres publiques dont les grands éleveurs du pays se sont emparés au cours du temps. Il existe, au niveau gouvernemental, un Institut de Réforme agraire chargé de  voir à ce que ces récupérations se fassent selon la loi, mais, pour des raisons faciles à deviner, le pauvre Institut ne fait pas de miracles. Les paysans perdent patience et se lancent dans des actions qui ne sont pas toujours légales. On n’attendait que cela pour leur casser les reins. 

À Olancho,  dix paysans et deux prêtres sont capturés, tués et jetés au fond d’un puits. Les assassins tentent d’effacer toute trace du puits à la dynamite. L’évêque du lieu est menacé de mort et chassé à tout jamais de son diocèse. À Choluteca, le gouvernement militaire ferme Radio Paz. Les prêtres de Choluteca réclament une enquête; le gouvernement militaire la leur accorde. Certains d’entre eux, dont Henri Coursol, y jouent un rôle-clé. La lumière se fait, les assassins sont identifiés, jugés et punis par la justice.   

Il semblerait que ce grand réveil du monde paysan, en très grande partie généré par l’Église, a fini par déborder. De proches collaborateurs de Jean-Paul en viennent à créer leur propre parti politique et, à l’insu de ce dernier,  se mettent même à encourager les invasions illégales de terres qui ont cours dans le pays. Ils se permettent, en plus, de recruter le plus grand nombre possible de partisans parmi les meilleurs dirigeants des communautés chrétiennes, créant ainsi beaucoup de mécontentement parmi celles-ci. Pour  les grands propriétaires terriens et les militaires, le chat sort enfin du sac : les « curés » se lancent en politique et cherchent le pouvoir! Ils l’avaient  toujours soupçonné, mais maintenant ils en ont la preuve.  Ils s’en frottent les mains. Le moment est venu pour ces bons vieux ennemis de toujours de refouler l’Église à la sacristie et de reprendre le contrôle du peuple comme dans le bon vieux temps!… Jean-Paul et l’Église de Choluteca se trouvent dans de bien beaux draps.

Rupture

L’Église se replie. Elle coupe les ponts avec les amis devenus soudain politiciens et qui se sont montrés démesurément gourmands et encombrants. À l’interne, elle trace une frontière très précise entre l’engament ecclésial et l’engagement politique.

Tout le monde est d’accord sur un point : on doit, plus que jamais, faire usage de discernement.  Mais la moitié des missionnaires de la SMÉ insistent pour effectuer une sorte de retour à la dimension plus spécifiquement religieuse de la pastorale. Les autres, l’évêque et Jean-Paul en tête, croient, au contraire,  qu’il ne faut pas  relâcher la dimension sociale de l’activité ecclésiale, surtout pas  en ce moment crucial où le monde paysan risque de retomber sous la férule de ses anciens maîtres. Bras de fer entre les deux camps. Les coups sont durs. L’état de grâce en prend pour son rhume.  

Un mois a passé depuis la fermeture de Radio Paz, et déjà Jean-Paul, grâce à ses « connexions »  réussit à rouvrir la station, mais sous un autre nom. Désormais devenue « Radio Valle », la radio du diocèse de Choluteca reprend ses émissions comme à l’accoutumée. Les Écoles radiophoniques font leur retour pour le plus grand plaisir des paysans. Certaines émissions, dont celles qui se diffusent à l’occasion des Semaines saintes de ces années, battent des records d’écoute.

Révolution

Dans l’ensemble, sans trop le rechercher, c’est une révolution (ou presque) que Jean-Paul a mise en marche. Par sa personne, ses  talents et ses « connexions », et grâce aussi aux équipes qui l’ont accompagné (et ce, malgré l’empiètement politique des derniers moments), il a changé la vie de beaucoup de monde et donné ou redonné à tout un peuple: vie, dignité, conscience critique et espoir.

Un peu partout, en montagne, des chemins se sont ouverts, des puits se sont creusés, des écoles et des dispensaires se sont construits, les méthodes d’agriculture et d’élevage se sont mises à jour, des petites coopératives et des syndicats de paysans ont fait leurs premiers pas,  des femmes-servantes se sont transformées en leaders, de nombreux groupes de jeunes se sont levés et engagés à leur tour; et en tous lieux était célébrée la Parole de Dieu. Non pas une Parole de Dieu ballotée à tous les vents de la liturgie traditionnelle, mais une Parole de Dieu qui ne change pas, une Parole permanente, constamment axée sur la conscience de continuer, dans le présent, le grand combat du peuple de la Bible pour se  libérer de tout esclavage en Christ ressuscité. Ce fut, du moins, la grande orientation des Célébrations de la Parole dans les premières années de leur existence.

Il se forgea donc chez le peuple une conscience de constituer désormais une sorte de grand corps capable d’avancer démocratiquement dans la même direction, de parler librement d’une même voix, et de jouer historiquement un rôle irremplaçable dans la vie de la nation. Désormais, la plupart de ces gens éveillés  n’attendaient plus rien  de leurs politiciens traditionnels, qui, pour mieux les exploiter, les avaient toujours divisés et laissés stagner dans l’état lamentable auquel ils tentaient de s’échapper. Des centaines de milliers de personnes « en-dehors de la carte » ont ainsi retrouvé leur place au soleil, à l’intérieur même de leur propre pays.

Pas de machettes, pas de kalachnikovs, pas de bombes, mais révolution quand même. Ou, du moins, une mise en appétit pour une autre révolution, encore plus grande et plus profondément humaine qui se fait toujours attendre et de toute urgence, non seulement au Honduras (dont la situation s’est détériorée à l’extrême depuis quelques années), mais aussi dans l’Église elle-même, et partout sur la planète.

Était-ce de l’évangélisation?

Comme nous l’avons déjà signalé, ce qui a déclenché cette aventure admirable, c’était, au départ,  le désir tout simple de  faire entendre la voix des paysans  et de la « connecter » à la voix de Jésus de Nazareth. Mais, en toute sincérité, il faut ajouter que, même si Jean-Paul Guillet (pas seulement lui, mais lui avec ses équipes et ses compagnons de route) a été le principal architecte de ce qu’on pourrait appeler une véritable « résurrection » du Sud du Honduras, en réalité, c’est Jésus de Nazareth qui en a été le grand inspirateur et le vrai moteur. Tout ce qui s’est fait dans cette grande aventure a été fait à cause de Jésus. Si bien qu’il n’est pas exagéré de dire que Jésus lui-même a écrit de sa propre main  cette belle page d’Évangile.


                                LE SAMARITAIN

Un jour, dans les années 90, alors que j’étais en Chine,  une lettre me parvint de  Rome. Elle portait la signature de Jean-Paul.  Dans cette lettre, Jean-Paul me confiait que quelque chose le chicotait.  Il se sentait coupable de ne pas avoir pu se consacrer davantage à des tâches plus « sacerdotales ». 

« Tu es dans les patates, mon vieux ! »,  lui ai-je rétorqué au retour du courrier. « Regarde Jésus.  Dis-moi sincèrement s’il a rempli beaucoup de tâches « sacerdotales » dans sa vie… Toi, moi, nous, les prêtres de l’Église, nous oublions un peu facilement que ce sont justement les prêtres du Temple, pourtant entièrement consacrés à des tâches « sacerdotales »,  qui ont condamné Jésus à mort ».

Les prêtres du Temple de Jérusalem n’avaient jamais aimé ce Jésus. Ils ne se gênaient pas pour le traiter de glouton, d’ivrogne, de fou, d’hérétique,  d’impur et même de démon, ou de… samaritain! (voir *Note 1). Car ce Jésus, qui n’était pas prêtre, ne se comportait pas comme eux. Il était « laïque » dirions-nous dans notre langage d’aujourd’hui, et il faisait les choses à sa manière. Il venait du peuple et marchait avec le peuple qu’il servait généreusement à partir des magnifiques talents que Dieu lui avait donnés. En toutes choses, il s’en remettait à l'Esprit de Dieu qui, vivant dans les profondeurs et la liberté de son être, lui suggérait quoi penser, quoi dire, quoi faire, et aussi… comment prier.

Pour Jésus, ce qui plaisait à Dieu par-dessus tout, ce n'était pas le culte que les prêtres lui offraient dans le temple, mais les gestes, même sans connotation religieuse, que posaient les gens les plus ordinaires pour aider les appauvris, les méprisés, les oubliés à sortir de leur prostration. De même, il ne parlait jamais de sauver les âmes indépendamment des corps. Il était au service de l’humain dans sa totalité, sans le déchirer en un être spirituel, d’une part, et en un être matériel, physique, psychique ou social, d’autre part. C’est pourquoi il avait l’habitude de toucher les gens avec ses mains et apprit même à ses disciples à se laver les pieds entre eux.

L’idée qu’un bon prêtre doive considérer primordial le service du culte,  et comme secondaire l’engagement social, s’articule donc très mal avec le témoignage de Jésus, car celui-ci n’a jamais rempli de fonctions de culte à la manière des prêtres. Son culte à lui a consisté à donner sa vie pour le  relèvement de son peuple. C’est en cela que consiste le sacerdoce de Jésus.

Une parabole de pure dynamite

Lui-même le démontre très clairement dans cette formidable parabole hautement « subversive » du Bon Samaritain, dans laquelle il ne craint pas de dénoncer le prêtre et le lévite,  et de « canoniser » le Samaritain.  (Luc 10, 25-37).

À ces prêtres et lévites qui plaçaient la pratique religieuse au-dessus de tout,  et qui séparaient les choses et les gens entre « purs » (comme eux), et « impurs » ou hérétiques (comme Jésus lui-même  et ses disciples), Jésus répondait que ce n’étaient pas eux, les « purs », qui détenaient le secret de la vie éternelle, mais nul autre que cet impur, ce semi païen, le méchant samaritain de la parabole.

C’est son Évangile au complet, avec tout son mordant, que Jésus  encapsulait dans cette petite histoire.

Qui donc était ce samaritain de la parabole, sinon Jésus lui-même, qui fréquentait très peu le temple, et passait son temps à se « salir » les mains pour relever ceux qui étaient tombés en dehors du chemin, en dehors de la carte, en dehors de la société, en dehors de la religion, en-dehors de tout?...  Celui qui sauvait, celui qui conduisait à la vie éternelle, c’était lui, Jésus, qui passait son temps à « connecter » le monde en se faisant proche de l'homme laissé pour mort au bord du chemin,  et qui le relevait dans son corps (et non seulement dans son âme) avec ses blessures, ses liens défaits, son drame, son histoire.   

Passer rapidement sur la parabole du Bon Samaritain, c’est comme passer à côté de tout l'Évangile de Jésus  pour continuer à prétendre que ce qui est « sacerdotal »,  « spirituel » et « religieux » est plus pur, plus sacré et plus important que toute autre tâche au service des humains.

TOUT EST SACRÉ - À culte nouveau, sacerdoce nouveau

Si donc il doit y avoir un sacerdoce « chrétien », il faut cesser d’imiter les prêtres de Jérusalem et en finir avec cette séparation artificielle, fausse et néfaste entre le sacré et le profane, entre  le pur et l’impur, entre le supérieur et l’inférieur, etc. Car la principale source de la plupart de nos inégalités religieuses, hiérarchiques, raciales et sociales et la racine même de nos violences, de nos guerres, de nos compétitions à mort, de nos luttes fratricides, de nos discriminations, de nos complexes, de nos souffrances  se trouve probablement là. Un sacerdoce authentiquement chrétien doit donc se faire une joie d’imiter un certain « samaritain » appelé Jésus qui, loin d’abolir  le sacré, déclare que tout est sacré, même le profane, et qui donne sa vie carrément pour cela.  « Va, et toi aussi, fais de même! » (Luc 10, 37).


Eh bien, face à une Église désincarnée, « spiritualiste » et manichéenne, qui, malgré quelques timides progrès,  persiste encore de nos jours à proclamer saint et plus digne de Dieu tout ce qui se tient à l’écart de la  chair, du corps, du sexe, de la femme et de la vie ordinaire des humains, comme le travail, la science, la technologie, l'économie, la politique, l’écologie, etc., soyons samaritains! Prêtres ou laïques, en tant que disciples de « Jésus Samaritain », n’hésitons pas à répandre partout l’idée que  le salut du monde est plus une affaire de « connexion » que de  soutanes ou de culte, et qu’on ne s’approche pas de Dieu dans la mesure où on s’éloigne de la matière et de l’humain. Qu’il y ait une différence entre la matière et l’esprit, personne ne le nie,  mais, en régime chrétien, cela ne s’oppose pas mais s’unit, car Dieu « s’est fait chair » (Jean 1, 14), et ce que Dieu a uni l’homme ne doit pas le séparer (Matthieu 19, 6).


Tout est connecté et interconnecté

Tout est sacré et tout est connecté, interconnecté et…vivant. Le salut du monde réside en cette réalité merveilleuse ignorée et bafouée par l’immense majorité des humains, et plus spécialement par notre monde « civilisé ». Une réalité que Jésus traduit par le don de son Esprit, son unique héritage. Un Esprit qui ne s’enferme aucunement dans le roucoulement des colombes blanches  ou la cage des rituels. Un Esprit qui est, disons-le,  pure « connexion »: connexion avec soi-même, connexion avec la Réalité, connexion avec l'Humanité entière, connexion avec les plus petits de la Terre, connexion avec l'Univers, connexion  avec le Royaume, connexion avec la Parole et la Source de toute Lumière qui est à la fois « Trois et Une ».  Dieu lui-même est Connexion!… 

Despedida

Revenons à Jean-Paul.  En 1982, après des années de gouvernements militaires, Honduras se tournait vers la  démocratie. Dans le but de promouvoir la responsabilité citoyenne, Jean-Paul organisa, sur une durée de quatre mois, seize grands débats publics sur des thèmes brûlants de l’actualité avec des étudiants et même des candidats à la Présidence. Ces rencontres étaient diffusées en direct depuis la Maison de la Culture (une autre création de Jean-Paul), depuis huit heures du soir allant parfois jusqu’à deux heures du matin.  Participation enthousiaste, électricité dans l’air, tout un peuple se forgeait une conscience politique éclairée. C’est sur cette belle note d’effervescence citoyenne que prirent fin pour Jean-Paul 24 années de service missionnaire au Honduras.

Retour au Canada

Cette même année, il rentra au Canada, où il travailla pendant cinq ans à la promotion des moyens de communication sociale conjointement avec un réseau d’instituts missionnaires impliqués dans des projets pour une « Église en croissance ». Épaulé par quelques professionnels de Radio-Canada, il alimenta quarante émissions de télévision communautaire avec une série de documentaires qu’il réalisa lui-même sur les expériences innovantes dans les Églises de huit pays d’Afrique, d’Amérique latine et d’Extrême-Orient. 

Rome

En 1987, il fut appelé à Rome où il assuma pendant 17 ans la direction du Service Missionnaire de l’Organisation Catholique Internationale du Cinéma et de l’Audio-visuel (OCIC) (devenu en 2001 l’Association Catholique mondiale pour la Communication « SIGNIS »). Pendant cette période il rayonna un peu partout sur la planète tout en contribuant, entre mille autres activités, à planter des stations radiophoniques et des antennes de radios dans pas moins que 70 diocèses d’une vingtaine de pays de l’Afrique.

Surf

C’est sur cette majestueuse vague soulevée par l’ « Esprit de Connexion » que Jean Paul Guillet a surfé tout au long de sa vie. Il a su « connecter » les dispersés en commençant par les plus appauvris trouvés par centaines de milliers « au bord » de sa route. En les voyant, il n’a jamais « pris l'autre côté  du chemin », mais, par ses  multiples « connexions », il « s'est fait proche » d’eux, il les a relevés en leur rendant leur dignité. Il leur a donné confiance en eux-mêmes et les a reliés en communautés. Il les  a initiés à la démocratie. Il leur a fait connaître leurs devoirs et surtout leurs droits qui étaient complètement ignorés et bafoués. Il leur a donné le goût de la justice. Il a éveillé en eux la  conscience critique qui est le secret de la liberté des humains et des enfants de Dieu. Il leur a donné une joie de vivre, un espoir en l’avenir et un avant-goût de la « vie éternelle ».

Le mot de la fin

Le temps s’écoula. Il y eut beaucoup de soirs et beaucoup de matins. Dieu vit toutes les « connexions » qui avaient recollé ensemble de grands morceaux de son peuple dispersé. Il vit comment ce peuple s’était redressé et mis à marcher. Alors, avec un sourire large comme le ciel, il se frotta les mains en s’exclamant: « Ma foi, tout cela est SUPER! » 

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* NOTE 1 : Par les prêtres, les pharisiens et les experts en religion, Jésus est traité de « glouton et d’ivrogne » (Matthieu 11, 19); de « possédé du diable » (Marc 3, 22); de « samaritain » et de « démon » (Jean 8, 48); de « blasphémateur » dans le sens d’hérétique et d’apostat (Matthieu 26, 64); et de « fou » par sa parenté (Marc 3, 21).


*NOTE 2

        Comment fonctionnaient les Écoles Radiophoniques?

Dans chaque petite localité, un petit radiorécepteur était mis à la disposition de la communauté. Une personne qui savait lire et écrire, et qu’on appelait  le « moniteur », servait de lien entre les animateurs de la radio centrale et le petit groupe de paysans assemblés autour de lui.
                             
La station centrale transmettait son enseignement à tous les groupes réunis autour de leur moniteur. Des instructions précises étaient données au moniteur tandis que celui-ci,   armé  d’une craie, d’un tableau noir et de quelques « cartillas », transmettait à son tour la théorie et la pratique à son auditoire. Des espaces étaient ménagés pour que les gens prennent le temps de digérer l’enseignement et surtout pour qu’ils aient la chance d’interagir.

Cela supposait qu’auparavant,  il s’était déjà effectué un travail minimum dans toutes les régions du pays  pour « vendre » le projet aux communautés et pour choisir les moniteurs. Par la suite, il fallait accompagner périodiquement ces moniteurs, approfondir leur formation, assurer le  suivi de toute l’affaire, et permettre que ce qui se faisait à la base soit renvoyé au centre afin que les programmes évoluent constamment en fonction des communautés et que les communautés elles-mêmes aient leur part à faire dans le déroulement de cette formation à distance.


Ce travail de base,  essentiel il va sans dire, était effectué par les responsables des paroisses dont les communautés rurales relevaient.  Dans le Sud du Honduras, cette tâche fut d’abord assurée à des degrés divers par les collègues missionnaires, avant de devenir pour la plupart d’entre eux une pièce-maîtresse de leur action missionnaire. 

  OPTION JOIE! Le monde est à l’envers. Notre planète s’en va chez le diable. Comme lave de volcan des fleuves de sang coulent sur les f...